Qu’est-ce que la mauvaise foi ?

La mauvaise foi de l’adolescent s’inscrit dans un rapport de force. En tant que parents et professionnels, nous pouvons chercher à voir les émotions, la motivation derrière les mots mensongers.

adolescent mauvaise foi comment reagir

Définition de la mauvaise foi

Dans son livre Face aux gens de mauvaise foi, Hervé Magnin définit la mauvaise foi comme un “phénomène relationnel qui consiste à tromper volontairement autrui sur ses propres intentions afin de mieux les réaliser”. La personne de mauvaise foi cache son but dans le but d’atteindre son but. Il y aurait deux buts dans la mauvaise foi : le vrai est celui qu’on cache; le faux est celui qu’on montre. Un des invariants de la mauvaise foi est le double niveau explicite/ implicite (l’objectif caché, occulte). La personne qui fait preuve de mauvaise foi pense ne pas pouvoir satisfaire son désir en l’exprimant directement. En conséquence, elle cache ses intentions. La mauvaise foi peut revêtir deux faces :

  • la mauvaise foi active : la personne pense que la réalisation de son désir, estimé socialement inacceptable s’il est exprimé en toute transparence, passe par l’interlocuteur;
  • la mauvaise foi passive : la personne espère que son interlocuteur ne fera pas obstacle à l’atteinte de son objectif caché.

Quand un adolescent fait preuve de mauvaise foi

Hervé Magnin expose un exemple d’adolescent qui fait preuve de mauvaise foi. Il s’agit d’un adolescent de 17 ans qui s’apprête à rejoindre, à pied, ses copains à l’autre bout de la ville pour jouer aux jeux vidéo.

– Ado : Tu t’inquiètes pas si je rentres un peu en retard. Avec les travaux sur la route, je suis obligé de faire le grand tour par la passerelle.
– Parent : C’est pas encore fini ces travaux ? Mais je te rappelle quand même qu’on s’était mis d’accord pour 23h au plus tard.
– Ado : Ben oui, mais c’est quand même pas de ma faute s’il y a des travaux.
– Parent : C’est vrai. Mais dans ce cas, débrouille-toi pour partir plus tôt et arriver à l’heure.
– Ado : Allez, s’te plaît, sois cool, donne-moi une demi-heure en plus !

L’objectif caché de l’adolescent est d’obtenir une autorisation de rentrer plus tard, mais il fait preuve de mauvaise foi en prenant un faux prétexte plutôt que demander explicitement l’autorisation. L’idée ici n’est pas de savoir si les travaux dans la rue sont terminés ou non (il se peut que les travaux soient encore en cours, mais cela reste une mauvaise excuse pour rentrer plus tard car il suffirait à l’adolescent de s’organiser pour rentrer à l’heure). En effet, la mauvaise foi ne s’accompagne pas toujours d’un mensonge : mauvaise foi et mensonge ne sont pas synonymes.

Pourquoi la mauvaise foi émerge-t-elle ? Une question de rapport de force

En réalité, comme l’illustre cet exemple, une personne a recours à la mauvaise foi car elle pense que le rapport de force direct n’est pas en sa faveur. Elle choisit donc de contourner l’interdit pour le transgresser d’une manière détournée. La mauvaise foi est en réalité comme un coup de poker dans un contexte jugé défavorable. Dans le cas de l’adolescent, pourquoi ce dernier a-t-il besoin de faire preuve de mauvaise foi pour espérer rentrer plus tard ? Qu’est-ce qui l’empêche de formuler une demande explicite auprès de ses parents ? Il a l’air de partir du principe que le rapport de force est en sa défaveur et il apparaît qu’il appréhende la réponse de ses parents et qu’il ne supporterait pas un refus de leur part.

Avant de chercher à contrer la mauvaise foi si nos enfants y ont recours, nous pouvons déjà nous interroger sur les raisons pour lesquelles ils y ont recours. Nous pouvons leur dire qu’ils n’ont pas besoin de faire des détours pour nous demander quelque chose. Il se peut que nous n’accédions pas à leur demande pour une raison que nous estimons valable et nous pouvons nous tenir prêts à accueillir leur déception et leur frustration. Il se peut également que nous acceptions la demande, avec ou sans aménagement. Dans le cas de l’adolescent à pied, des solutions gagnants/ gagnants sont envisageables :

  • OK pour rentrer une demi-heure plus tard mais pas à pied pour des raisons de sécurité : il faudra trouver une manière de rentrer qui convienne à tout le monde (par exemple, les parents d’un ami ramènent l’adolescent).
  • OK pour passer une demi-heure de plus avec les amis, mais pas après 23h : l’adolescent pourra y aller plus tôt dans ce cas et quitter la maison à 18h30 au lieu de 19h.

Par ailleurs, quand un adolescent fait preuve de mauvaise foi, il est inutile de l’humilier en l’accusant de mentir. D’une part, comme expliqué plus haut, la mauvaise foi ne s’accompagne pas toujours de mensonge. D’autre part, mettre en cause la bonne foi peut déclencher des jeux psychologiques et une guerre de tranchée : le parent taxe l’ado de menteur, l’ado taxe le parent d’accusations gratuites ou de procès d’intentions.

Faire face à la mauvaise foi d’un adolescent

Ne pas attaquer de front pour préserver la dignité et la relation

Quand nous soupçonnons un adolescent (ou toute autre personne) de faire preuve de mauvaise foi, l’attaquer de front avec une phrase du type “Hé ho ! Tu me prends pour un imbécile !” risque d’enclencher un cercle vicieux d’attaques/ contre-attaques. La violence verbale, des désirs de vengeance et des plans encore plus élaborés pour cacher les objectifs réels sont des risques à moyen et long terme.

Si nous avons des doutes sur ce que l’adolescent souhaite réellement, nous pouvons tenter de mettre au jour ses intentions réelles pas à pas :

  • Reformuler les propos à l’aide de l’écoute active (sans commentaire ajouté)
  • Valider ce qui est justifié dans les propos de l’ado
  • Epurer et dégrossir le contexte en posant des questions : “Tu peux m’en dire davantage ?”
  • Recevoir et accueillir les informations les unes après les autres au regard de la logique du prétexte (dans l’exemple de l’adolescent, il s’agit de reconnaître l’existence des travaux et de mettre en doute le lien entre ces travaux – qu’on ne met pas en doute – et le retard qui semble nécessairement en découler)
  • Prendre acte des embûches évoquées par l’adolescent et y trouver des solutions alternatives
  • Emettre des hypothèses sur l’objectif caché sans accabler la personne : “En fait, ce que tu voudrais, c’est tout simplement pouvoir rentrer plus tard et rester une demi-heure de plus chez ton copain ? C’est ça ? Très bien, je comprends. On peut en discuter.”

Mieux vaut éviter de contrarier la personne si elle est en partie démasquée. Des phrases comme : “Ah, je le savais, tu mentais ! Et en plus, tu boudes maintenant. On aura tout vu. Tu n’as pas intérêt à me demander quoi que ce soit maintenant.” ou “Mais tu m’as pris pour une bille. Et maintenant, c’est toi qui râles. Tu peux toujours rêver pour sortir plus tard.” sont humiliantes et ne favorisent pas la confiance mutuelle. On cherchera toujours à protéger la dignité de la personne qui a recours à la mauvaise foi et, en même temps, on lui fait comprendre que la mauvaise foi n’est pas un mode de communication efficace. L’objectif est de faire passer l’idée que des prétextes sommaires ne viendront pas à bout de la résistance sur le terrain du raisonnement logique.

La pédagogie n’est pas seulement un métier. Elle se manifeste aussi à travers un état d’esprit dont l’ouverture au changement est un des principaux ingrédients. Le souci d’échanger, de partager, de communiquer ce qu’on a appris de la vie, en est un autre. L’approche transparente de la gestion de la mauvaise loi présuppose qu’il faut essayer de ne pas faire l’économie de cette leçon plus ou moins digeste. – Hervé Magnin

L’erreur : une opportunité d’apprendre

Un autre exemple de recours courant à la mauvaise foi chez les adolescents est la réception du bulletin scolaire (encore que ce soit moins le cas maintenant avec EcoleDirecte ou ProNote). Un ado peut prétexter que les bulletins n’ont pas encore été envoyés, que les camarades de classe ne l’ont pas reçu non plus, ou que le professeur principal a annoncé que les envois ont pris du retard. Découvrir un mauvais bulletin est un enjeu ponctuel et limité, dans le sens où les parents ne vont pas arrêter d’aimer leur enfant ou le mettre à la porte pour une mauvaise note. Mais il est possible que l’adolescent redoute une leçon de morale, une punition ou du chantage : il apparaît utile que les parents rappellent à l’ado qu’ils l’aiment, qu’ils ont pu faire des erreurs par le passé en ne lui accordant pas assez d’attention ou de confiance, et qu’ils sont prêts à entendre ses difficultés. La peur d’être sermonné ne permet parfois pas à l’ado de voir plus loin que le bout de son nez.

Il n’est pas rare que l’enjeu clé soit dérisoire au regard des perturbations que la mauvaise foi engendre. Il s’agit d’identifier la mauvaise foi comme une des pollutions qui dégradent la qualité du lien. – Hervé Magnin

En tant que parents, nous pouvons veiller à ce que les moments de vérité ne soient pas redoutés par les enfants. En ce sens, des relations bientraitantes et une éducation respectueuse sans punition ni chantage participe à créer des relations de proximité affective. Si la mauvaise foi émerge malgré tout, elle peut être la partie émergée d’un “iceberg d’incommunicabilité”. Hervé Magnin estime que comprendre les raisons d’un manque ponctuel de sincérité peut apporter un renouveau dans la relation si chacun profite de l’occasion pour dire enfin ce qu’il (elle) ne dit jamais, par peur, par pudeur, par intérêt mal calculé, pour protéger quelqu’un d’autre… ou n’importe quelle autre motivation. Le droit à l’erreur, à la fois chez les parents et chez les enfants, est un élément clé de l’éducation et les erreurs peuvent constituer un terreau fertile pour apprendre des choses sur les relations humaines.

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Source : Face aux gens de mauvaise foi : ne laissez personne abuser de votre confiance de Hervé Magnin (éditions Eyrolles). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur les sites de ecommerce.

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