L’alexithymie : une déficience dans l’identification des émotions (caractéristiques, causes et conséquences sur la santé psychique et physique)

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Les caractéristiques de l’alexithymie

Peter Sifneos, psychiatre américain, a créé le concept d’alexithymie en 1973. Une personne alexithymique est caractérisée par une certaine incapacité à :

  • identifier ses émotions (tant agréables – joie, enthousiasme, gratitude, amour.. que désagréables – colère, tristesse, peur, déception…)
  • mettre en mots ses émotions
  • distinguer ses émotions de ses sensations corporelles
  • avoir une vie imaginaire
  • identifier les émotions des autres et donc à faire preuve d’empathie
  • nouer des relations intimes et profondes (distance affective)
  • vivre la vie (il semble traverser la vie plutôt que l’incarner et la vivre)

Les experts ont par la suite ajouté d’autres éléments très caractéristiques des individus alexithymiques :

  • une image de soi et des autres très conventionnelles avec des jugements en termes de popularité, de pression sociale, de ce qui est bien ou mal
  • une gestion de l’anxiété et des conflits par le déni dans une tendance répressive (négation des émotions et des problèmes) et dissociative (anesthésie émotionnelle)
  • un hypercontrôle des besoins et des envies dont la satisfaction est reportée sans raison
  • une fierté à se montrer objectif et rationnel
  • un sentiment d’absence de sens à la vie
  • des types de défense immature
  • distance physique avec les autres (peu de toucher et de proximité physique)
  • privilégier les aspects pragmatiques des situations (préférer l’action à l’introspection)

Les conséquences de l’alexithymie

Des chercheurs ont comparé les alexithymiques à des daltoniens : ces derniers ne sont pas conscients des couleurs mais, par apprentissage social, sont capables de dire que l’herbe est verte. Les alexithymiques sont eux capables de parler des émotions (ils connaissent les mots) mais seulement d’une manière intellectuelle, sans les ressentir dans leur corps, dans leur coeur.

L’alexithymie empêche de faire face aux facteurs de stress en lien avec l’absence de conscience affective permettant d’identifier un événement particulier comme stressant. En effet, chez les alexithymiques, les émotions ne jouent pas leur rôle de messagères (par exemple, sur la nocivité de la situation ou du comportement de l’autre).

L’alexithymie n’est pas seulement présente chez des patients souffrant d’une maladie psychosomatique mais elle apparaît aussi chez des patients atteints de troubles tels que l’alcoolisme, la toxicomanie, l’état de stress post-traumatique ou encore la boulimie. L’alexithymie est également présente chez des personnes non malades si bien que l’alexithymie est considérée comme une variable de personnalité. Sifneos en a même fait la “personnalité de notre temps”, c’est-à-dire un ensemble de traits correspondant au profil socialement attendu dans nos sociétés modernes occidentales.

Des liens ont été établis entre l’alexithymie et des affections tant somatiques que psychologiques (ex : dépendance aux drogues ou à l’alcool, troubles des conduites alimentaires ou attaques de panique).

Comment devient-on alexithymique ?

Lien entre alexithymie et style d’attachement

Le mode de fonctionnement alexithymique apparaît comme un blocage dans le développement affectif consécutif à ce que “des parties plus ou moins grandes de l’expérience affectives [auraient été] exclues de la communication avec la mère et ne [seraient pas] intégrées dans les modèles affectifs et cognitifs organisés dans les relations, ce qui déterminerait un accès limité à la reconnaissance vis-à-vis d’une vaste gamme d’affects et d’émotions profondément déstabilisants”. (Corcos et Speranza).

Pour Yvane Wiart, la théorie de l’attachement telle que conçue par Bowlby permet de comprendre les origines de l’alexithymie. Cette théorie s’appuie essentiellement sur la notion de modèles affectifs et cognitifs, impactant la représentation de soi (suis-je bon ou mauvais ? suis-je digne d’amour ? suis-je capable ?…) et les relations aux autres (les autres sont-ils sûrs ? dois-je m’attendre à ce qu’ils m’aident ou à ce qu’ils m’ignorent ?…). Les humains ont tendance à conserver ces représentations tout au long de leur vie.

Au gré des interactions avec ses figures d’attachement, les enfants, dès le plus jeune âge, développent des schémas affectifs et cognitifs des relations humaines qui lui permettent de prévoir, de guider ou de modifier ses propres comportements dans les situations stressantes.

Les sujets alexithymiques, incapables d’identifier certaines expériences émotionnelles et incapables d’utiliser l’activité imaginaire pour communiquer et moduler les émotions, ne peuvent donc pas réguler leurs émotions ni par eux-mêmes ni par le recours aux relations interpersonnelles. Pour cette régulation, ils sont amenés à recourir à des stratégies adaptatives qui se révèlent souvent inefficaces, comme l’hypervigilance anxieuse portée aux symptômes somatiques, l’agir impulsif, la recherche d’une hyperstimulation dans des comportements compulsifs ou toxicomaniaques. – Corcos et Speranza

L’action thérapeutique

Yvane Wiart estime que les trois quarts de la population “normale” ont un style d’attachement insécure (anxieux, évitant ou désorganisé-désorienté).

Yvane Wiart conclut donc qu’alexithymie, modalités d’attachement et somatisations sont intrinsèquement liées. Elle écrit que le stress et sa gestion au quotidien ne sont pas si simples qu’on pourrait le croire à première vue parce que nous fonctionnons la plupart de manière non consciente en lien avec les schémas que nous avons élaborés au cours de notre enfance et de notre adolescence.

Nous avons donc tendance à percevoir et à réagir au stress d’aujourd’hui, comme nous avons appris à le faire hier. C’est là qu’on prend conscience qu’une petite remise à jour s’impose, toujours possible heureusement, si on veut éviter de courir à la catastrophe. – Yvane Wiart

L’action thérapeutique consiste à faire prendre conscience à l’individu de ses modalités d’attachement qui influencent la manière dont il se perçoit, dont il perçoit les autres et le monde qui l’entoure. Il s’agit de mettre à jour les représentations tenues pour vérités, d’en retracer les origines dans les modèles relationnels de l’enfance afin de permettre une plus grande souplesse dans les réactions du quotidien (et donc une amélioration de la santé psychique et physique à terme).

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Source : Stress et cancer : Quand notre attachement nous joue des tours de Yvane Wiart (éditions De Boeck supérieur). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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