Les adultes ont tendance à minimiser et même justifier les violences faites aux enfants (y compris dites “éducatives” et “ordinaires”)

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Même quand des adultes se souviennent avoir reçu des fessées, des claques ou encore des humiliations, les conséquences de ces maltraitances peuvent rester refoulées. En effet, de nombreux enfants apprennent très tôt que leurs émotions sont interdites et, surtout, qu’elles doivent rester ignorées tout au long de leur vie. Certains adultes évitent à tout prix l’émergence de leurs émotions car ils n’ont pas eu dans l’enfance le droit de vivre avec leurs émotions, c’est-à-dire de les ressentir pleinement, de les comprendre, et de bénéficier de soutien en cas de détresse ou de partage enjoué en cas de joie. Bien que ces personnes redoutent leurs émotions et les minimisent (voire les nient complètement), il est humainement impossible de vivre sans en éprouver aucune. Rien (alcool, cigarettes, délinquance, sexe…) ne peut remplacer ce qui a été perdu dans l’enfance.

[…] On leur a volé leur âme, on a détruit leurs sentiments, on a méprisé leurs droits, on s’est vengé sur eux, victimes innocentes, des humiliations subies jadis. Parce qu’un enfant n’a aucun droit. – Alice Miller

Alice Miller remarque que, en temps de paix, il n’existe qu’une manière permise de satisfaire ouvertement et par la violence ses désirs de vengeance inconscients liés aux violences éducatives (y compris dites “ordinaires” comme les fessées, les humiliations, les ultimatums ou encore les isolements forcés) : dans l’éducation de ses propres enfants. C’est la raison pour laquelle tant de parents minimisent les actes violents commis sur leurs enfants et adoptent un discours justifiant les fessées, claques, punitions, menaces, répression des émotions et privations en tout genre (à la fois pour eux-mêmes car ils auraient mal tourné sinon et qu’ils avaient mérité d’être traités ainsi, mais aussi pour les enfants qui seraient proprement insupportables et qui dépassent les limites au point qu’il n’y aurait plus d’autres options que la violence physique ou psychologique pour les “éduquer”).

Le caractère violent des fessées et claques, du tirage de cheveux ou d’oreilles, de l’isolement forcé, des hurlements contre l’enfant, des privations de nourriture, du fait de laisser un bébé pleurer ou encore des dénigrements est même nié. Tous ces actes seraient éducatifs et ce qui est perpétré avec une intention éducative ne pourrait pas être violent (parce qu’utiles, efficaces et reçus dans l’enfance sans conséquence aucune sur la vie adulte, si ce n’est des conséquences positives puisqu’on a “bien tourné”). Ces différentes formes de violences dites “éducatives” sont utilisées par de nombreux parents qui ne se rendent pas compte des impacts de ces violences et qui les prennent pour des mesures éducatives appropriées, normales, indispensables même parfois.

Ouvrir les yeux sur les causes et les conséquences des violences faites aux enfants sous prétexte d’éducation

Pourtant, pour combattre la cruauté, il faut au moins la percevoir. Un adulte qui justifie les violences éducatives n’a pas eu le droit de percevoir que l’éducation qu’il a reçue relevait (au moins en partie) de la cruauté. Les enfants et les adultes ont besoin de témoins pleins de sollicitude qui confirment que ce que ressent l’enfant fessé, moqué, menacé d’abandon ou de retrait d’amour est légitime (colère contre le parent, profonde tristesse, peur…). Ces témoins lui permettent de comprendre qu’il subit une réelle injustice et qu’il n’existe aucune aucune excuse pour cela (non, un parent n’a pas le droit de taper un enfant ni de l’humilier, ni de le menacer de privation d’amour). Pour combattre les effets des violences éducatives (y compris celles dites “ordinaires”), nous avons besoin de témoins qui donnent l’opportunité à l’enfant de vivre ce qu’il ressent profondément et qui font passer le message que la violence n’est jamais acceptable, y compris évidemment de la part des parents sur les enfants.

Quand ces témoins compensateurs font défaut, les enfants maltraités, humiliés, exclus n’ont pas d’autre choix que de refouler leurs sentiments et de maquiller la maltraitance en manifestation d’amour. C’est très courant dans les familles d’étouffer les émotions des enfants et de nier leurs besoins, en particulier leurs besoins affectifs. Cela se manifeste notamment dans le fait que toute tentative de l’enfant de dire sa vérité face à des parents incompréhensifs est considérée comme de l’insolence, de l’irrespect. On dit de l’enfant qui défend son intégrité et sa dignité qu’il “répond” et l’enfant s’expose à des punitions et une escalade de la violence.

Le risque est que, lorsque l’impuissance de l’enfant ne trouve pas de bras protecteurs où se réfugier ou de témoins qui condamnent toutes les formes de violence (tirer les oreilles, envoyer au lit sans manger, dire à un enfant qu’il est bête, menacer un enfant de partir sans lui…), cette impuissance peut se changer en dureté et en confusion entre amour et maltraitance.

Notre devoir d’adulte est donc d’ouvrir les yeux sur le fait que la société est du côté de l’adulte et accuse l’enfant de ce qui lui est fait (avec des discours du type “Il l’a cherché”, “Il avait dépassé les limites”, “Si on leur donne la main, ils prennent le bras”, “Sans fessée/ punition, ils tourneraient mal”…).

L’enfant, abandonné à sa solitude par la société, n’a pas d’autre solution que de refouler le traumatisme et d’idéaliser ceux qui le lui ont infligé. […] Les conséquences d’un crime ne sont pas effacées par le fait qu’aussi bien le criminel que la victime sont aveugles. […] Dans la mesure où ils permettent de découvrir irréfutablement et sans ambiguïté la source de connaissance cachée dans le vécu de l’enfance, les récits des victimes peuvent aider la société en général et la science, en particulier, à augmenter leur degré de conscience. – Alice Miller

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Source : La Souffrance muette de l’enfant : L’expression du refoulement dans l’art et la politique de Alice Miller (éditions Aubier). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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