Alice Miller : le devoir de se révolter contre les maltraitances éducatives que nous avons reçues
Nous avons le devoir de nous mettre en colère contre les adultes, et en premier lieu nos parents, qui nous ont maltraités
Dans son livre Ta vie sauvée enfin, Alice Miller insiste sur l’importance de ressentir notre révolte contre les maltraitances de toute sorte commises sur nous dans l’enfance sans personne pour nous en protéger (châtiments corporels, hurlements, répression des émotions, isolement forcé, fessée, tirage d’oreille, menace, obligations religieuses comme la circoncision ou l’excision…).
Ni nos parents ni tout autre adulte n’avaient le droit de faire du mal à l’enfant innocent et sans défense que nous étions. Pour nous reconnecter vraiment à notre vitalité et aller mieux, nous devons nous permettre de laisser éclater notre indignation et trouver des gens qui la partagent. Nous avons le devoir de nous mettre en colère contre les adultes, et en premier lieu nos parents, qui nous ont maltraités ou qui ont fermé les yeux sur les maltraitances dont nous avons été victimes (ex : de la part des frères et sœurs).
Comment voulez-vous vivre et connaître la joie de vivre si vous acceptez qu’on ait voulu vous réduire à néant ? – Alice Miller
Alice Miller nous invite à prendre au sérieux nos douleurs physiques, nos pensées douloureuses, nos blocages, nos ruminations, et à y prêter attention car elles viennent des profondeurs de notre être et racontent notre histoire. En effet, le corps est la voix de l’enfant malmené (autrefois par les parents et aujourd’hui par nous-même si nous n’acceptons pas de le croire).
Nous ne devrions pas nous calmer au moment où nous mesurons pleinement l’étendue de cette vérité si douloureuse. Si nous avons été calmes, obéissants et que nous n’avons pas voulu faire de vague pendant toute notre vie, il peut être très difficile d’enfin commencer à nous écouter, à écouter notre corps et à défendre nos droits. Cela passe nécessairement par la colère.
La peur de la colère
Nous pouvons (re)devenir nous-même à tout âge si et seulement si nous sommes décidés à prendre au sérieux nos propres sentiments, nos souvenirs, nos douleurs corporelles et nos rêves.
Le problème est que nous sommes nombreux à avoir peur de la colère car si on l’avait exprimée dans l’enfance, on aurait été puni, exclu, privé d’amour ou frappé. Il y avait donc un danger à exprimer de la colère.
Mais cette peur de la colère peut s’atténuer progressivement à l’aide d’une personne secourable éclairée sur la violence éducative ordinaire, de témoins lucides ou encore d’un thérapeute professionnel formé à la mémoire traumatique.
Le chemin vers le mieux-être passe par le fait de donner tout notre amour à notre enfant intérieur et montrer notre compréhension pour sa légitime colère, sans chercher à excuser nos parents. Ce n’est pas parce qu’ils ont eu une vie difficile qu’ils avaient le droit de faire du mal à leurs propres enfants.
Nous ne devons pas minimiser les fautes de nos parents parce qu’en agissant ainsi, nous nous nuisons à nous-mêmes. Nous nous devons une empathie pleine et entière, à l’enfant que nous étions et à l’adulte que nous sommes aujourd’hui (et non pas à des parents maltraitants ou négligents). Notre enfant intérieur a besoin que nous nous rangions complètement de son côté.
Les dégâts des thérapeutes inconscients
Alice Miller dénonce les “thérapeutes inconscients”, à savoir ceux qui n’ont pas transformé leur propre mémoire traumatique en mémoire autobiographique et qui justifient les violences sous couvert d’éducation ou de culpabilisation des victimes (“vous l’aviez bien cherché”) ou encore qui excusent les parents (“ils ont eu une vie difficile à la campagne à l’époque”,” votre père souffrait lui-même”, “votre mère avait ses propres soucis”).
Certains psychanalystes vont même jusqu’à détourner leurs patients de leurs vérité avec des interprétation psychanalytiques. Le film Le Phallus et le néant de Sophie Robert est d’ailleurs très intéressant en ce sens.
Or Alice Miller assène avec vigueur que tout être humain a le droit d’être lui-même.
Même si, enfant, vous avez été gravement maltraité et humilié, vous avez, quel que soit votre âge, la possibilité de vous révolter, d’éprouver votre colère, de la comprendre et de vous la permettre, afin d’effacer les traces des crimes perpétrés envers vous. Vous n’avez à vous accuser de rien, les coupables, c’était les autres. – Alice Miller
Quand Alice Miller parle des “autres”, elle fait référence, d’une part, aux parents ou adultes maltraitants ou négligents et, d’autre part, aux professionnels et à l’entourage qui ont nié les souffrances d’alors et les symptômes d’aujourd’hui.
C’est douloureux et désespérant de découvrir que nous avons été gravement blessés mais que personne ne croit. Même pas nos parents. C’est tellement insupportable que beaucoup de gens préfèrent s’accuser eux-mêmes et se mettent à douter de leur propre vécu (y compris corporel !), ce qui peut mener à des troubles extrêmement graves.- Alice Miller
Des questions clés pour regarder en face notre enfance
Alice Miller estime que l’enfance n’est pas seulement une tranche de la vie, mais qu’elle est à la base de toute notre vie. Même si nous ne pouvons pas nous en débarrasser, nous pouvons en revanche l’intégrer, à partir du moment où nous acceptons la réalité tragique de notre enfance.
Alice Miller propose quelques questions clés pour regarder en face notre enfance et sortir du mal-être :
- Comment vous sentiez-vous au foyer parental ?
- Aviez-vous le droit de vous insurger contre des punitions absurdes ?
- Aviez-vous même le droit de percevoir que ces punitions étaient absurdes et cruelles ?
- D’où vient cette peur d’avouer quelque chose ou de vous affirmer face à une figure d’autorité ?
- Pouviez-vous mettre en question les propos de vos parents ?
- Avez-vous eu le loisir de décider librement des choses concernant votre propre vie au cours de votre enfance ?
- Quelqu’un dans votre entourage a-t-il eu le courage de vous montrer que vous serviez de bouc-émissaire et que vous étiez mal traités ?
Le concept de témoin lucide ou témoin éclairé est central dans la pensée d’Alice Miller car elle estime qu’il est très difficile de sortir soi-même des conséquences de la souffrance héritée de l’enfance car il est difficile, d’une part, d’être lucide sur soi-même car nous avons tendance à privilégier la loyauté envers les parents et, d’autre part, de nous accorder l’émotion de colère si nous n’y sommes pas encouragés car nous avons trop été habitués à la réprimer.
Le témoin secourable est une personne éclairée au sujet des violences éducatives ordinaires et lucide sur ses méfaits individuels et collectifs. En connaissance de cause, cette personne va intervenir auprès de l’enfant pour lui dire que ce qu’il subit est de la maltraitance, de la violence et que ce n’est pas normal. Elle va également s’indigner avec un adulte qui lui fait part de son passé d’enfant maltraité sans chercher à excuser les parents ou à minimiser la souffrance éprouvée.
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Source : Ta vie sauvée enfin de Alice Miller (éditions Flammarion Champs Essais). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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