Il n’y a aucune raison de souffrir pour apprendre et progresser : lien entre mémoire traumatique et idéologie No Pain No Gain

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Crédit illustration : freepik.com

 

Dans leur livre Sybernetics : Musculation stratégique, Olivier Lafay et ses co-auteurs rappellent à quel point notre société est empreinte de l’idéologie No Pain No Gain (sans souffrance, pas de progression).

Dans l’introduction, on peut lire que nous sommes endoctrinés par une éducation où seul l’effort violent conduit au mérite et à la récompense et où il faut sortir de sa zone de confort à tout prix pour réussir. Pourtant, les apprentissages (de quelle que nature qu’ils soient, y compris physiques) sont plus efficaces et respectueux quand ils sont effectués dans la douceur et l’écoute de soi.

L’approche de la musculation telle que proposée par Olivier Lafay et son équipe peut s’appliquer à tous les types d’apprentissage : il n’y a aucune raison de souffrir pour apprendre, progresser et croître; il n’y a aucune raison de se faire mal pour avancer.

L’idéologie No Pain No Gain n’a aucun fondement ni biologique ni psychologique mais seulement culturel et éducatif.

Lien entre mémoire traumatique et idéologie No Pain No Gain

La mémoire traumatique, un héritage familial, social et culturel

La mémoire traumatique est une mémoire inconsciente dans laquelle ont été emmagasinée les violences (physiques et/ou verbales) et les chocs émotionnels auxquels nous avons été exposés au cours de notre vie, en l’absence de remédiation.

Nous sommes tous (ou presque) colonisés par notre mémoire traumatique. En effet, les violences éducatives y compris ordinaires (laisser un bébé pleurer, fessées, claques, retrait ou refus d’amour parental, isolement forcé, menace, moquerie, punition…) sont largement utilisées et même valorisées comme méthode éducative.

Cette prédominance des violences éducatives dans notre société s’explique par plusieurs facteurs :

  • les parents souhaitent le bonheur et l’intégration de leurs enfants dans la société mais ne connaissent pas d’autres manières de faire que celles qu’ils ont eux-mêmes subies et qui sont socialement mystifiées comme étant “pour notre bien” (on a le droit de faire du mal sous prétexte d’éducation et un jour, les enfants remercieront leurs parents pour le mal qu’ils leur ont fait subir);

 

  • un entretien des croyances telles que “la vie n’est pas facile“, “il faut bien endurcir les enfants”, “la vraie vie, c’est pas les bisounours” ou “il faut tout faire pour réussir” dans un cercle vicieux (les enfants éduqués dans cette optique entretiennent et reproduisent la violence);

 

  • les parents méconnaissent les mécanismes biologiques humains et ne réalisent pas la portée de leurs actes sur la construction psychique des enfants (baisse de l’estime de soi et de la confiance en soi, stress qui détruit des neurones et use l’organisme, mise en place d’une mémoire traumatique, conduites à risque dans le futur, maladies chroniques et psycho-somatiques…);

 

  • la plupart des parents n’ont pas pu rencontrer de “témoins lucides” (expression d’Alice Miller) ou de personnes secourables au cours de leur vie (un témoin lucide montre son indignation et fait preuve d’empathie pour les blessures de l’enfant d’alors sans chercher à excuser les parents ou minimiser les souffrances éprouvées dans le passé et maintenant) .

Le fonctionnement de la mémoire traumatique

On peut mourir d’un stress extrême (et les enfants soumis à des violences éducatives y compris dites ordinaire vivent un stress extrême) donc le cerveau met en place des mécanismes hors normes pour assurer la survie de l’organisme.

Cependant, ces mécanismes ont un coût élevé parce qu’ils entraînent la mise en place de la mémoire traumatique. La mémoire traumatique se présente comme des réminiscences de la violence revécue à l’identique comme “une machine à remonter le temps infernale” (Muriel Salmona).

On peut résumer le système normal d’alarme émotionnel face au danger ainsi :

  • 1er temps -> amygdale (centre d’alarme dans le cerveau régi par les émotions) ultra réactive pour préparer à la fuite ou, si impossibilité de fuite, à l’attaque,
  • 2ème temps -> amygdale contrôlée par le cerveau supérieur (le cerveau qui réfléchit, relativise, raisonne),
  • 3ème temps -> enregistrement du souvenir dans la mémoire consciente via l’hippocampe qui est le siège de la mémoire dans le cerveau (ce qui permet par exemple d’associer le bruit du tonnerre à l’orage et non pas de sentir sa vie menacée à chaque orage à cause d’un bruit inconnu).

En situation de violence, ce système normal dysfonctionne. Face à une violence qui met la vie en danger (l’enfant se sent réellement en danger de mort quand il est soumis à des violences éducatives y compris ordinaires rappelons-le), l’organisme déclenche un système d’alarme total.

L’amygdale s’allume et sécrète des hormones de stress mais la partie supérieure du cerveau et l’hippocampe ne suivent pas (les deuxième et troisième temps du processus normal sont inhibés) : c’est la sidération traumatique et la victime est paralysée.

La dissociation est comme une “machine à effacer les souvenirs” (puisque l’hippocampe est disqualifié et ne peut donc pas enregistrer l’événement de manière consciente en lui attribuant une teinte émotionnelle).

Tous les événements bloqués dans l’amygdale sont à l’origine de la mémoire traumatique. Comme l’amygdale est devenue hypersensible, elle s’allume au moindre lien qui rappellent les violences (bruits, sensations, caresses…). La victime revit alors la situation avec la même intensité et la même détresse.

La victime n’a pas d’autre choix que d’élaborer des stratégies pour échapper à sa mémoire traumatique à travers des conduites d’évitement et de dissociation. L’évitement est la meilleure stratégie en absence de soin parce que le terrain miné que représente la mémoire traumatique peut exploser à tout moment.

Cela passe par le fait de contrôler, de s’isoler, de consommer des produits dissociants (alcool, cigarettes, drogue, médicaments…), d’adopter des conduites dissociantes (scarifications, brûlures, passages à l’acte violents pour soulager…) : tout ce qui permet que ça disjoncte avant que la mémoire traumatique envahisse les victimes.

Les conduites à risques au volant ou à moto jouent par exemple ce rôle, mais également, entre autre, écouter de la musique à très haut volume, les sports extrêmes ou le sport pratiqué de manière intensive, une alimentation chaotique, l’anorexie, la boulimie, les scarifications… et de façon plus générale, toutes les conduites où la douleur sera vue comme acceptable, et même obligatoire, à un moment ou un autre si l’on désire progresser. – Olivier Lafay et collectif

Les conséquences de la mémoire traumatique sur notre épanouissement et notre santé

On comprend alors que les conséquences de cette mémoire traumatique, en l’absence de soin, portent atteinte à notre épanouissement et à notre santé. De plus, elles entretiennent la valorisation de pratiques non vertueuses en termes de santé (psychique et physique).

Il peut être difficile de faire le lien entre la pratique du sport intensif dans une optique No Pain No Gain et les conséquences de traumatisme. Pourtant, Olivier Lafay écrit : “la pratique sportive très intense et douloureuse, motivée par le dépassement constant de ses limites et la sortie régulière de sa zone de confort, est bien une conséquence de la mémoire traumatique à l’œuvre”.

Nous sommes tellement habitués à souffrir, à être frustrés, rejetés, négligés, mis sous pression, et ce depuis notre plus jeune âge, que ce que nous avons subi devient finalement une règle de vie car nous ne connaissons rien d’autre, et nous méprisons même ceux qui parlent de douceur. […] Il faut souffrir pour réussir, dit-on… Seulement notre expérience prouve bien souvent le contraire […]. A force de violences infligées à nous-mêmes, nous finissons blessés, usés, malades, que ce soit en sport, au travail, en amour… – Olivier Lafay et collectif

Pour une véritable reconnexion à soi et une bonne santé globale

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Pour un effort juste

Olivier Lafay et ses co-auteurs nous invitent donc à une reconnexion avec nous-même en intégrant la mémoire traumatique en mémoire autobiographique et en remettant en cause les croyances du type “il faut souffrir pour réussir” ou “il faut se forcer à sortir de sa zone de confort”.

En effet, pourquoi continuer à forcer dans la pratique sportive alors que la douleur montre qu’on a atteint le point où l’effort est suffisamment productif (si ce n’est parce qu’on est gouverné par des processus inconscients) ?

Dans l’approche Sybernetics, l’effort juste est l’effort qui sera le plus productif pour la progression. Comme l’effort fourni correspond parfaitement à ce qui est nécessaire pour progresser, on garde de l’énergie pour la récupération, la croissance et les autres aspects de la vie.

Au-delà de la musculation

Les pistes proposées dans Sybernetics vont bien au-delà de la pratique de la musculation :

  • sortir du déni (“nous avons été traumatisés et nous continuons chaque jour à l’être car nous vivons dans une société qui provoque cela”),

 

  • apprendre à ressentir les zones corporelles de tension et prendre conscience des émotions refoulées liées à ces zones de tension,

 

  • décharger progressivement ces zones de tension,

 

  • exprimer les émotions profondes et mettre des mots sur les traumatismes (“il nous faut nécessairement un amour authentique, des amis éclairés et lucides ou un thérapeute professionnel pour permettre l’expression des émotions car notre déni de sauvegarde de soi nous empêche d’être pleinement lucides quant à ce qu’on a réprimé”),

 

  • rechercher une vie non pas intense (dans la tension constante) mais palpitante (joyeuse),

 

  • ne pas pratiquer des activités dans la recherche de la performance (le yoga ou la méditation considérés comme moyens de se régénérer plus vite/ de mieux récupérer mais toujours dans une démarche de performances à dépasser n’ont pas de valeur au service d’une santé durable),

 

  • apprendre le fonctionnement du corps dans une démarche de pensée complexe (le seul exercice physique ne suffit pas, les questions du stress, des relations interpersonnelles, de l’alimentation ou encore de la sexualité sont aussi importantes),

 

  • vivre dans l’amour et la tendresse (amour inconditionnel pour soi-même et les autres).

 

Nous avons créé un monde où l’amour (y compris de soi) est presque inexistant mais l’éducation respectueuse, qui ne peut pas faire l’économie d’un travail sur la mémoire traumatique, peut nous aider à changer les choses.

 

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Source : Sybernetics : Musculation stratégique de Raphaël Arditti, Pascal Benattar, Déborah Heynen, Baptiste Meyer, Yann Ollivier et Denis Tiquet sous la direction de Olivier Lafay (éditions LDMT). Disponible en librairie, en centre culturel ou sur internet.

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