Briser les tabous au sujet des difficultés et souffrances liées à la condition de mère

Briser les tabous au sujet des difficultés et souffrances liées à la condition de mère

Une injonction sociale sur les femmes à être mères

Dans son livre Ceci est notre post-partum : défaire les mythes et les tabous pour s’émanciper, Illana Weizman estime que nous vivons dans une société où règne une injonction à devenir mères pour les femmes. Toutefois, l’autrice regrette qu’il ne suffise pas pour une femme de remplir son rôle de reproductrice pour être laissée en paix : il lui faut aimer ce rôle, le “surjouer”, le “surperformer“. Tout se passe comme s’il fallait ne jamais s’en plaindre : ni pendant la grossesse, ni pendant le post-partum (les mois suivant l’accouchement), ni se plaindre de la maternité prise comme un tout. La punition sociale est élevée pour les femmes qui osent évoquer leurs difficultés (et parfois leurs regrets) : “Être enceinte, ce n’est pas être malade”, “Tu l’as voulu ce gosse, il faut bien faire avec maintenant, personne ne t’a obligée”, “Il fallait réfléchir avant d’en faire encore un autre/ de les faire si rapprochés”, “De nos jours, les femmes sont faibles, elles se plaignent pour un rien”.

Parler des difficultés liées à la condition de mère est “indigne et inaudible”

Il ne s’agit pas de nier l’amour maternel que la plupart des femmes ressentent (parfois pas immédiatement) pour leur bébé ni de dire que la maternité, ce n’est que du malheur et de la souffrance. Il s’agit plutôt de mettre le doigt sur la “boîte noire” que représente l’expérience de la maternité, et en particulier les mois du post-partum. Les femme qui ont été mères il y a déjà quelques temps et les toutes jeunes mères ont tendance à romancer leur expérience de la maternité et à ne pas dévoiler leurs états d’âme, leurs irrésistibles envies de pleurer, leurs émotions ambivalentes au sujet de leur bébé, leurs douleurs physiques, leur fatigue extrême et leur sentiment de solitude, voire d’abandon, profond. Illana Weizman parle de “travestissement de la réalité“, ” de réécriture”, de “déni des souffrances” car enfanter est à tel point vu comme la réalisation de sa destinée d’une femme que parler des difficultés qui vont avec est “indigne et inaudible“. Les femmes se conforment à ce qui est attendu d’elles pour éviter les conséquences sociales que leurs témoignages pourraient entraîner (critiques, jugement, incompréhension, rejet). Elles peuvent également avoir peur qu’on leur retire leur bébé du fait qu’elles soient considérées comme des mauvaises mères, des mères incompétentes, voire dangereuses pour leur enfant.

Certaines réactions de femmes au sujet de jeunes mères qui témoignent de leurs difficultés maternelles sont comme des rappels à l’ordre, à l’ordre social. Cela se traduit par des sentences du type  “Vous devriez avoir honte de vous exposer ainsi, c’est impudique”,”On est passé par là et on n’en est pas morte”, “La génération actuelle est bien fragile”, “Personne ne vous a obligé à avoir un enfant, il faut assumer maintenant”.

C’est la même chose quand on aborde le sujet de la charge mentale qui saute aux yeux des femmes à la naissance du premier enfant même si elles avaient l’impression auparavant d’être indépendantes et de vivre dans un couple où l’équité dans la répartition des tâches domestique semblait acquise. Les femmes qui abordent le sujet se voient rarement validées dans leur vécu mais reçoivent des conseils du type “Il suffit de demander”, “Quittez votre partenaire si vous n’êtes pas contentes” ou “Lâchez prise”.

Lire aussi : Dompter le problème de la charge mentale des mères

Une rivalité injustifiée entre les différentes souffrances des femmes au sujet de la maternité

L’injonction à devenir mère entraîne un autre effet nocif sur les femmes : de là, naît une rivalité entre les femmes fécondes et celles qui ne sont pas en capacité physique d’enfanter alors qu’elles le souhaiteraient. Il en résulte que les femmes qui ont la chance d’accéder au statut de mère sont contraintes au silence au sujet de leurs souffrances, tant physiques que psychologiques. Parce qu’il y a pire destin que de connaître des difficultés maternelles (celui de ne pas pouvoir devenir mère), les mères en souffrance ne sont pas légitimes pour parler d’elles. Illana Weizman remarque pourtant que la souffrance des femmes en post-partum ne vient pas faire concurrence à celles des femmes infertiles ou dont le conjoint est infertile. C’est comme si la société ne pouvait pas reconnaître toutes les souffrances des femmes en lien avec la maternité : à la fois celle liée à l’impossibilité d’avoir un enfant pour une femme qui le désire ou celle d’une jeune mère en dépression post-partum; celle d’une femme qui vient de subir un deuil périnatal ou celle d’une mère de famille nombreuse en situation d’épuisement parental.

Dans un système qui porte la maternité aux nues, les souffrances de femmes en période de post-partum sont immédiatement invalidées puisqu’elles ont eu la “bonne fortune” d’être mères : se plaindre d’une expression de la maternité, c’est trahir son genre. – Illana Weizman

Prendre la parole autour de nos expériences intimes de mères

Illana Weizman nous invite à prendre la parole autour de nos expériences intimes : parler de toutes nos difficultés à être mères, nous réapproprier nos corps souffrants, changeants et affaiblis de jeunes mères. Parler des douleurs physiques du post-partum, faire part du regret d’être mère qui peut émerger, affirmer que la maternité est une expérience beaucoup plus nuancée que “juste du bonheur”, témoigner de la difficulté à aimer un bébé… ce n’est pas trahir les femmes ou faire du mal aux enfants, c’est se donner la possibilité de sortir de cet état de survie, c’est permettre aux autres femmes d’en faire de même et aux futures mères de mieux savoir à quoi s’attendre.

Pour aller plus loin : Le regret d’être mère : la punition sociale est forte pour les mères qui osent s’exprimer à ce sujet pourtant réel

 

Les mythes entourant la maternité découlent directement de l’assignation privilégiée des femmes à la fonction reproductive, une tâche sociale vue comme un passage obligatoire pour compléter sa destinée de genre. Et, parce que ce destin est écrasant et surpuissant, la glorification qui l’entoure est écrasante et surpuissante. La fable de la maternité est un récit de sacrifice et d’abnégation dans lequel les femmes trouveraient l’euphorie. Quel cynisme que d’octroyer à des valeurs d’oubli de soi l’épanouissement personnel ! – Illana Weizman

 

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Source : Ceci est notre post-partum : défaire les mythes et les tabous pour s’émanciper de Illana Weizman (éditions Marabout). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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