Comment la capacité d’aimer se développe (et ce qui endommage la capacité d’aimer)
L’importance de la période qui entoure la naissance humaine
Michel Odent a été responsable des services de chirurgie et de maternité à l’hôpital de Pithiviers et milite pour faire reconnaître l’écologie pré- et périnatale comme la forme la plus vitale d’écologie humaine.
Dans son livre L’amour scientifié (éditions Le Hêtre Myriadis), il affirme que la capacité d’aimer est dans une grande mesure déterminée par des expériences précoces et que la période qui entoure la naissance est particulièrement importante.
Il pense que l’approche selon laquelle on ne résoudra pas la crise écologique sans changer les structures sociales et politiques, sans réorienter la recherche scientifique, sans développer des technologies appropriées, sans transformer les échanges commerciaux et les principes de l’économie et sans introduire de nouveaux systèmes philosophiques est partielle et tronquée.
Selon le Dr Odent, la solution à tous les problèmes urgents auxquels l’humanité doit faire face exige d’abord le développement des différents aspects de la capacité d’aimer, ce qui inclut un sentiment de compassion pour les générations qui ne sont pas encore conçues. Or c’est précisément la période qui entoure la naissance qui est le chaînon critique.
La priorité est de remettre en cause la façon de naître des bébés humains de façons à perturber le moins possible le premier contact entre mère et nouveau-né. – Michel Odent
Plaidoyer pour un accouchement physiologique
Michel Odent plaide pour l’accouchement qu’il qualifie de “physiologique”. Cette expression ne signifie pas que cela doit se passer exactement comme il le décrit. Le terme physiologique qualifie une référence dont il convient de ne pas trop s’éloigner quand on raisonne en termes d’amour humain.
Pour mettre un bébé au monde, une femme doit libérer un cocktail d’hormones. La partie profonde du cerveau qui fonctionne comme une glande sécrète ces hormones (ocytocine, endorphine, prolactine, ACTH…). La partie la plus active du corps d’une femme qui accouche est donc la partie primitive de son cerveau. Il y a perturbation du processus d’accouchement quand il y a stimulation de la partie supérieure du cerveau, le néocortex (par exemple quand une sage femme demande le code postal ou le numéro de sécu à une femme en travail ou que celle-ci se sent observée par une caméra tenue par son conjoint).
Par ses nombreuses années d’expérience et ses lectures, Michel Odent a acquis la conviction que la femme qui accouche a besoin d’être à l’abri de toute stimulation de son néocortex. Pour mettre l’intellect au repos, mieux vaut donc éviter de stimuler le néocortex d’une femme en travail via :
- le langage (devoir parler ou être sollicitée par le langage),
- la lumière (l’obscurité ou une lumière tamisée favorisant l’accouchement),
- le fait de se sentir observée (l’intimité est un besoin fondamental de la femme qui accouche et est incompatible avec le fait de se sentir observée),
- l’absence de sécurité (l’adrénaline sécrétée face au danger réel ou perçu stimule le néocortex et tend à inhiber le processus d’accouchement).
Le rôle des hormones de l’accouchement dans la formation de la capacité à aimer
Les différentes hormones sécrétées par la mère et par le bébé pendant l’accouchement ne sont pas éliminées immédiatement après la naissance et chacune d’entre elles joue un rôle spécifique dans l’interaction mère-bébé. Ainsi, immédiatement après la naissance, l’ocytocine (hormone nécessaire pour les contractions de l’utérus et hormone de l’altruisme et de l’ouverture) et la prolactine (hormone de l’allaitement et hormone du maternage et du repli) se complètent.
Michel Odent parle notamment du rôle de l’adrénaline. L’adrénaline perturbe le déroulement de l’accouchement quand elle est sécrétée au début ou au cours du travail. En revanche, pendant la dernière phase de l’accouchement physiologique, le cerveau de la mère qui accouche sécrète des endorphines. La mère est donc alerte juste au moment de la naissance du bébé et cette hormone déclenche un comportement de protection envers le bébé tout juste né.
Par ailleurs, le bébé sécrète lui-même des hormones de la famille des endorphines pour s’adapter à la privation physiologique d’oxygène de la dernière phase de l’accouchement. Ces hormones font que le bébé naît avec de grands yeux… et cela tombe plutôt bien parce que le croisement des regards est important pour créer de l’attachement mère-bébé.
Par ailleurs, plus on reçoit d’ocytocine, plus on développe des récepteurs à ocytocine. Plus on reçoit de l’amour, plus on est capable d’amour. Plus on reçoit de l’empathie, plus on devient empathique et ce processus commence dès la naissance et continue avec l’allaitement. Il y a de l’ocytocine dans le lait humain : le bébé en absorbe en tétant. C’est l’hormone de l’amour, de l’altruisme.
Ce qui se passe quand on perturbe le processus physiologique d’accouchement humain
La plupart des cultures interfèrent avec le premier contact mère-bébé
Le Dr Odent regrette que, en ce qui concerne la naissance des bébés humains, nous sommes dans une situation sans précédent.
La plupart des cultures interfèrent avec le premier contact mère-bébé. Ces perturbations peuvent avoir des natures et des degrés différents selon les lieux et les époques dont voici quelques exemples (non exhaustifs) :
- négation du besoin d’intimité lors de l’accouchement;
- stimulation du cortex préfrontal (lumière vive; questions posées à la mère; salles d’accouchement grandes, rangées, très propres…);
- jugement négatif sur le fait de crier, de se comporter comme un “animal” (lié à un changement de conscience chez la femme qui accouche physiologiquement du fait du cocktail d’hormones libéré);
- transmission de croyances selon laquelle le colostrum est mauvais (allant jusqu’à faire jeter leur colostrum aux mères);
- section immédiate du cordon;
- bains donnés tout de suite après la naissance;
- prise en charge médicale immédiate après la naissance pour pesage, nettoyage…
On peut penser que ,si les perturbations du premier contact mère-bébé au moyen de croyance et rituels sont quasi universelles, c’est qu’elles présentent d’une manière ou d’une autre un avantage en ce qui concerne la survie des groupes humains. Cet avantage est, selon Michel Odent, la domination de la nature et la domination des autres groupes humains. Il devient alors avantageux dans ce contexte de modérer et de contrôler les différents aspects de la capacité d’aimer via la perturbation du processus d’accouchement et des premiers instants de vie du bébé humain.
Les groupes ethniques qui ont réussi – c’est-à-dire ceux qui n’ont pas disparu – sont ceux qui ont trouvé les moyens de réduire et de contrôler les différents aspects de la capacité d’aimer, c’est-à-dire aussi d’aimer la nature. – Michel Odent
Une question en suspens : l’humanité sous le jour de l’amour et de l’empathie pourra-t-elle survivre à l’obstétrique ?
Michel Odent constate que, aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la plupart des femmes, dans presque tous les pays du monde, deviennent mères sans s’imprégner des hormones qui devraient accompagner un accouchement humain. Les femmes qui accouchent par voie vaginale peuvent compter sur des substituts des hormones naturelles qui ne sont pas des hormones de l’amour (perfusion d’ocytocine synthétique, péridurales se substituant aux sécrétions d’endorphine…). Les autres accouchent par césarienne.
Selon Michel Odent, l’obstacle le plus important pour une remise en cause des conditions de la naissance est une profonde incompréhension, à l’échelle culturelle, de la physiologie de l’accouchement. Il est facile d’expliquer cette incompréhension. Pendant des milliers d’années, tous les groupes humains ont transmis de génération en génération des façons plus ou moins subtiles d’interférer avec les processus physiologiques. La socialisation de la naissance allait de pair avec l’avantage que représentait le développement du potentiel humain d’agressivité, c’est-à-dire le contrôle de la capacité d’aimer.
Quel avenir alors pour les membre d’une civilisation nés dans de telles conditions ?
Nous sommes à l’époque où émerge le besoin de développer le respect pour la Terre-Mère et les autres facettes de la capacité d’aimer. L’humanité est à un tournant : toutes les croyances bien enracinées et tous les rituels de la période périnatale sont en train de perdre leurs raisons d’être. – Michel Odent
Je sais que le sujet de l’accouchement est hautement explosif. J’ai déjà parlé du travail de Michel Odent dans cet article et j’ai reçu des commentaires de personnes qui ont décidé de se désabonner de la page Facebook du blog parce que “ça va trop loin”, que cette position est extrémiste et qu’elle culpabilise les femmes. Je voudrais clarifier ma démarche à ce sujet. J’ai moi-même connu un accouchement difficile et ma fille est restée 1 mois en service de néo-natalité. Mais j’aurais aimé avoir lu ce type d’article avant mon accouchement parce que cela m’aurait permis de faire des demandes au personnel soignant pour plus de contact (notamment en peau à peau parce que cela ne m’a jamais été proposé), j’aurais plus questionné les mises au sein à heure fixes (plutôt qu’à la demande) et j’aurais plus parlé à ma fille quand elle était en couveuse. L’idée ici n’est pas de culpabiliser les femmes (et les hommes) mais au contraire de redonner du pouvoir grâce à ce type d’information.
Il s’agit plus d’une critique des moyens modernes, presque industriels, d’accouchement (on voit bien d’ailleurs que c’est un sujet de société actuel avec le mouvement contre les violences gynécologiques) et des idées reçues de la société (sur la naissance, sur l’allaitement, sur le cododo…). Je suis également reconnaissante pour les services de néo-natalité qui sauvent de nombreuses vies mais peut-être que certaines séparations pourraient être pensées différemment et donc mieux vécues par les mères et par les bébés.
Enfin, les neurosciences ont montré que le cerveau est plastique et que les enfants auxquels on témoigne de l’empathie et de la bienveillance font preuve de résilience. Mais là encore, il faut avoir l’information sur les effets néfastes de la séparation mère/ bébé pour savoir à quel point il est important d’apporter les conditions plus tard permettant la résilience aux enfants (et aux adultes).
J’ajouterais que toute cette information autour de la naissance est indispensable et peut être complétée par d’autres approches sur le temps de l’enfance. Je trouve notamment que le travail de Michel Odent et celui de Sarah Blaffer Hrdy, anthropologue, sont totalement complémentaires. Sarah Blaffer Hrdy alerte sur l’avenir de notre espèce : si l’empathie et la coopération ne se développent que dans certaines conditions d’éducation particulière (naissance respectée et éducation non violente notamment), et qu’une part toujours plus grande des membres de l’espèce ne peut pas les obtenir, mais survit cependant assez longtemps pour se reproduire, alors l’empathie et la coopération disparaîtront sous l’effet de l’évolution de l’espèce. Sarah Blaffer Hrdy ne doute pas que les humains dans plusieurs milliers d’années seront intelligents, dotés de compétences technologiques encore inimaginables aujourd’hui mais elle n’est en revanche pas sûre qu’ils seront encore humains à la manière dont nous pensons l’humanité : empathiques et curieux des émotions des autres.
Par ailleurs, n’oublions pas que nous avons à la fois le choix et à la fois nous ne pouvons pas échapper à notre nature humaine. La non violence est un choix mais c’est un choix difficile, qui demande un travail d’information, de déconstruction et de cheminement conscient. Ne nous voilons pas la face non plus : l’amour tel que nous l’entendons dans le langage populaire ne suffit pas pour cheminer vers une éducation non violente. On peut être maltraitant par amour (c’est le fameux “C’est pour ton bien !”). Dire que l’amour suffit pour élever des enfants, c’est faire l’impasse sur la littérature autour de l’accouchement physiologique pour redéfinir l’amour et de la mémoire traumatique pour comprendre pourquoi nous avons tant de mal à passer de la théorie à la pratique.
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Source : L’amour scientifié : les fondements biologiques de l’amour de Michel Odent (éditions Le Hêtre Myriadis); Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet (site de l’éditeur).
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