La capacité à coopérer et à faire preuve d’altruisme : innée ou acquise ? Innée ET acquise !

La tendance humaine innée à coopérer est progressivement influencée par le processus de socialisation

Une tendance humaine innée à coopérer…

Michael Tomasello est un psychologue cognitiviste américain et a écrit le livre Pourquoi nous coopérons. Il y explique que les jeunes enfants ont des prédispositions à la coopération et que ces prédispositions sont façonnées par la socialisation.

Il a établi une hypothèse qu’il appelle Spelke précoce, Dweck tardif (Early Spelke, Later Dweck hypothesis), du nom de deux autres psychologues américaines dont les théories se complètent.

Tomasello a montré qu’autour de leurs premiers anniversaires (quand ils commencent à marcher, à parler et à devenir des êtres de culture), les enfants humains sont déjà coopératifs et serviables dans de nombreuses situations (mais pas dans toutes). Or ils n’ont pas appris cette tendance à coopérer des adultes : elle leur vient naturellement (c’est la partie Spelke de son hypothèse).

Par exemple, des enfants de 18 mois sont amenés à regarder passivement un adulte qui range des magazines dans un placard. Ensuite, dans un deuxième temps, l’adulte a du mal à ouvrir les portes parce que ses mains sont encombrées de magazines et l’enfant étudié l’aide à les ouvrir. Puis, ayant compris le processus, l’enfant, lors de la troisième phase, anticipe : il ouvre la porte par avance, ce qui aboutit à la création d’une activité collaborative consistant à ranger les magazines. Dans certains cas, l’enfant indique même à l’adulte où mettre les magazines (à l’aide d’un geste de pointage).

A travers plusieurs études et recherches de ce type sur des enfants de 14 à 24 mois, Tomasello a montré que le comportement précoce d’aide chez les enfants humains n’est pas le résultat de la culture et/ou des pratiques parentales de socialisation. Il explique cela pour plusieurs raisons :

  • émergence précoce,
  • insensibilité aux encouragements,
  • effets de sape de la récompense,
  • robustesse aux comparaisons interculturelles
  • ancrage dans des émotions naturellement compatissantes.

… petit à petit influencée par le processus de socialisation

Cette tendance innée à coopérer est graduellement influencée par divers facteurs (tels que le jugement que les enfants forment sur la réciprocité potentielle qu’ils vont obtenir ou encore leur préoccupation de la manière dont ils sont jugés par les autres personnes de leur groupe).  Ces facteurs sont essentiels pour l’évolution de la “coopérativité” naturelle des humains. En grandissant, les enfants humains commencent à internaliser plusieurs normes sociales spécifiques de leur culture telles que la manière dont on fait les choses, dont on doit faire les choses pour devenir un membre du groupe (c’est la partie Dweck de l’hypothèse de Tomasello).

Certes, les enfants possèdent des prédispositions à la coopération mais ces prédispositions sont façonnées par le processus de socialisation (à partir de 3 ans). Ce processus se manifestent par le fait que les enfants apprennent :

  • à devenir plus discriminants, plus critiques et sélectifs à propos de qui aider, qui informer et avec qui partager;
  • à gérer l’impression qu’ils font sur les autres comme une façon d’influencer les actions exercées par les autres à leur égard;
  • les normes sociales qui caractérisent le monde culturel dans lequel ils vivent : ils essayent activement d’apprendre quelles sont ces normes et tentent de les suivre;
  • à participer au processus d’application des normes
    • en remémorant celles-ci à autrui (comme le montrent nos études où les enfants disent aux autres « comment on doit faire »),
    • en se punissant eux-mêmes au travers des sentiments de culpabilité et de honte lorsqu’ils ne les respectent pas.

Tout cela reflète non seulement la sensibilité spéciale des humains aux différentes sortes de pressions sociales, mais également un genre d’identité de groupe et de rationalité sociale qui sont inhérentes aux activités impliquant une intentionnalité partagée, une « intentionnalité-nous » (a shared, « we » intentionality). – Michael Tomasello

 

Les humains ne sont pas pour autant des “anges de la coopération”

La coopération : une définition

Michael Tomasello rappelle que, dans ses travaux, il définit par coopération un comportement mesuré relativement à celui d’autres primates. Le chercheur estime que tous les organismes viables portent en eux une part d’égoïsme parce qu’ils doivent se soucier de leur propre survie et de leur bien-être… sous peine de ne pas laisser derrière eux beaucoup de descendants !

De même, de manière générale, les jeunes enfants humains aiment offrir des objets et de la nourriture aux gens. Mais en même temps, il arrive qu’ils s’attachent à certains objets et qu’ils refusent à tout prix de s’en séparer.

Cependant, la tendance à coopérer des humains se situe au sommet de cette fondation faite d’intérêt personnel.

Michael Tomasello différencie trois types principaux d’altruisme humain,définis en fonction de la « marchandise » impliquée :

  • des biens : être altruiste à l’égard de biens tels que de la nourriture, c’est être généreux, s’engager dans le partage;
  • des services : être altruiste à l’égard de services, par exemple aider un individu à atteindre un objet hors de sa portée, c’est être serviable;
  • de l’information : partager de l’information (y compris des commérages) et des attitudes de manière altruiste avec les autres, c’est être informatif.

Les individus sont plus ou moins altruistes selon les activités, chacune possédant des caractéristiques propres.

L’effet du groupe d’appartenance

Tomasello écrit que les humains ne sont pas des anges de la coopération.

Ils réfléchissent également ensemble pour accomplir toutes sortes d’actes odieux. Mais de tels actes ne sont généralement pas infligés à ceux qui font partie « du groupe ».

De récents modèles évolutionnaires ont montré que la meilleure façon de motiver les gens pour qu’ils collaborent et réfléchissent en groupe est d’identifier un ennemi commun et de l’accuser du fait que « lui » menace « nous » .

Tomasello constate que l’exceptionnelle capacité de coopération des humains semble avoir principalement évolué pour permettre des interactions au sein d’un groupe local. En matière de coopération, un tel esprit de groupe est, peut-être ironiquement, une cause majeure des conflits et des souffrances présents aujourd’hui dans le monde.

La solution serait alors de trouver de nouvelles façons de définir ce “groupe”. C’est peut-être l’un des plus grands défis qui se tend à nous, parents du XXI° siècle. Cette idée de “groupe” à redéfinir me fait penser à la pensée d’Edgar Morin qui parle d’éthique du genre humain qui pourrait nous servir de phare sur ce chemin.

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Source : Pourquoi nous coopérons de Michael Tomasello (éditions Presses Universitaires de Rennes). Disponible en médiathèque, en libriairie ou sur internet.

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