Faut-il choisir entre tout passer aux enfants (laxisme) ou tout leur refuser (autoritarisme) ?

Faut-il tout passer aux enfants (laxisme)

Jesper Juul, thérapeute familial danois, propose des éléments de réflexion pour résoudre le dilemme qui se pose à de nombreux parents à un moment ou un autre : faut-il tout passer aux enfants (pour éviter de les rendre malheureux et pour éviter les crises) ou faut-il tout leur refuser (pour leur apprendre que la vie n’est pas facile et éviter d’en faire des enfants pourris gâtés) ?

Jesper Juul commence par rappeler que nous, en tant qu’adultes, ne serions pas prêts à nous refuser à nous-mêmes tout ce dont nous avons envie et que, en même temps, nous sommes capables de différencier nos envies de nos besoins (on peut avoir envie de quelque chose sans en avoir besoin et donc accueillir cette envie, la reconnaître, sans y céder).

2 piliers pour adopter une position de “leadership” dans nos relations avec les enfants

Juul estime que nous pouvons nous appuyer sur deux piliers pour adopter une position de “leadership” dans nos relations avec les enfants :

  • Faire confiance à nos valeurs, nos aspirations profondes et, en même temps, à notre intégrité et notre sens de la responsabilité individuelle

Ces aspirations et ce sens de la responsabilité vont permettre d’accueillir la demande de l’enfant et de prendre le temps d’une réponse authentique et pleine de sens pour nous (plutôt qu’un oui lâché pour avoir la paix ou un non rigide issu d’habitudes ou de croyance plus que de valeur accordée à la relation).

Cet accueil peut prendre la forme d’un discours intérieur de clarification :

Je sais maintenant ce dont mon enfant a envie mais est-ce que je veux le lui donner ? Est-ce en accord avec ma personnalité, avec mes valeurs profondes et ce que je peux assumer (à tous les points de vue : personnellement, financièrement…) ? Est-ce important pour son bien-être et son développement ? 

Cela implique que nous puissions changer d’avis, que nous prenions un peu de temps pour réfléchir.

Nous n’avons pas besoin bien sûr de le faire pour chaque demande (a priori, si l’enfant veut boire de la Javel ou sauter du troisième étage, nous n’avons pas besoin de ce type de réflexion).

En revanche, cela peut être utile dans les cas où nous avons un doute, où nous nous sentons tiraillés entre deux approches, où les deux parents sont en désaccord, où l’enfant revient à la charge avec des arguments valables qui peuvent nous pousser à réviser notre position.

Réfléchir et changer d’avis ne sont d’ailleurs pas des marques de faiblesse : si nous comparons la famille à un état, comment qualifierions-nous un état qui ne prend jamais en compte les arguments de ses citoyens, qui impose toutes ses décisions sans aucune possibilité de négociation, qui tient plus à ses opinions qu’au bien-être collectif ?

 

  • Réfléchir à la forme que nous voulons donner à notre amour (et à la raison pour laquelle nous voulons le faire ainsi)

Nous pouvons faire le choix de toujours dire oui aux demandes des enfants. Nous aurons alors des enfants ravis, la famille sera peu confrontée aux conflits et nous bénéficierons d’une image populaire.

Cela se passera probablement ainsi pendant les 3-4 premières années et, si nous sommes vraiment doués pour servir les enfants, pour nous négliger nous-mêmes (nos besoins, nos émotions, nos aspirations) et, surtout, si les finances le permettent, alors cette “harmonie” (de surface en réalité) pourra se prolonger encore quelques années.

Jesper Juul prévient cependant : cette forme d’amour manque autant de chaleur que de substance, ce qui amène inévitablement les enfants à devenir de plus en plus exigeants parce qu’ils ne se sentent pas nourris affectivement par ce type de relation.

Par ailleurs, les enfants font totalement confiance à leurs parents et les enfants apprennent par l’exemple : ils apprendront que pour aimer, il faut tout accepter et donner (notamment des cadeaux, de l’argent, une partie de soi même quand on n’en a pas envie) et que pour être aimé, il faut réclamer et recevoir sans restriction (les refus devenant des preuves de rejet, de “non amour”).

Cependant, pour reprendre une expression de Alice Miller, notre corps ne ment jamais. Les enfants se croiront peut-être aimés mais ils ne ressentiront jamais l’émotion dans leur corps; ils ne seront pas “remplis” par ce type de relation basée sur les interactions (notamment financières) plutôt que sur la chaleur et l’émotion d’amour véritable.

Ces enfants sont ceux qu’on dit “gâtés” ou “pourris” mais ce n’est pas parce qu’ils ont eu beaucoup de glaces, de jouets ou d’argent. C’est parce qu’ils ont obtenu tout cela pour de mauvaises raisons : le besoin des parents d’être populaires, leur peur des conflits, leur propre enfance durant laquelle on leur a toujours dit non, ou parce qu’ils pensent vraiment que cette forme d’amour est chaleureuse. Ce n’est pas le cas. – Jesper Juul

Offrir, donner, accéder à toutes les demandes sans conscience, sans sens est effectivement fait par amour (les parents qui le font ont effectivement l’impression de donner de l’amour et espèrent souvent en recevoir en échange) mais il manque dans ces interactions la chaleur et le sens qu’on trouve dans une relation où les parents sont authentiques et assument leur responsabilité et leur “leadership”. Jesper Juul appelle ce type de relation saine une relation “empreinte d’équidignité”.

L’amour que nous ressentons envers l’autre, aussi bien dans la relation à nos enfants que dans celle à notre partenaire, n’a en soi aucune valeur pour l’autre. Il prend seulement de la valeur lorsque nous le transformons en gestes affectueux qui leur permettent de grandir et s’épanouir; or une grande partie de ce qui nous fait grandir et développer personnellement et socialement n’est guère accueilli avec envie sur le moment [par les enfants]. – Jesper Juul

Des valeurs plus que des recettes prêtes à l’emploi

Jesper Juul n’est pas le genre d’auteur à donner des recettes ou des outils prêts à l’emploi pour l’éducation des enfants mais préfère raisonner en termes de valeur. Il a identifié plusieurs valeurs importantes à ses yeux qui peuvent représenter des appuis solides quand nous agissons avec les enfants. Parmi ces valeurs, les quatre plus importantes sont :

  • l’intégrité
  • l’authenticité
  • l’équidignité
  • la responsabilité

Ces valeurs ont des implications sur les relations qui sont, dès lors, empreinte d’autorité personnelle (le message est communiqué dans un langage authentique “c’est important pour moi”/ “ma peur, ma colère me fait dire que..;” plutôt que sur le “c’est comme ça” ou “on a toujours fait comme ça”).

Pour autant, les valeurs ne doivent jamais être plus importantes que les gens. Nous devons nous retenir de rejeter un enfant ou de porter atteinte à son intégrité sur la base de valeurs qui caractérisent ce que nous estimons devoir être une “bonne” famille ou un “bon” enfant.

Jesper Juul affirme que, quand nos paroles ne sont pas vraiment authentiques (quand elles traduisent une leçon de morale, une habitude, une prêche, un explication rationnelle dénuée de chaleur…), alors ces paroles sont vaines.

Il n’y a que très peu de choses qu’on puisse faire passer par l’intellect uniquement à un enfant entre 1 et 5 ans et, même si on joue le rôle classique du parent avec toute la mimique sévère et le ton colérique qui vont avec, cela ne fait pas forte impression. – Jesper Juul

Ainsi, l’autorité personnelle croît chaque fois que les parents (et tout éducateur) osent se montrer ouverts, vulnérables, et, en même temps, prêts à endosser la responsabilité de la qualité des interactions avec les enfants plutôt que de s’en accuser les uns les autres (les conjoints dans une famille ou les collègues dans une équipe d’école ou de crèche) ou d’en rendre les enfants coupables.

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Source : La Vie en famille – Renouveler les valeurs fondamentales du vivre-ensemble de Jesper Juul (éditions Fabert)

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