De la nécessité de guérir notre enfance pour une éducation consciente et bientraitante
Il est une critique qui revient souvent au sujet de l’éducation bientraitante/ non violente et elle concerne la difficulté à rester calme, à éviter de crier et à contrôler la colère face aux enfants. D’une part, l’éducation bientraitante ne vise pas à faire de chaque parent des moines bouddhistes (lire cet article : L’éducation bienveillante, est-ce ne jamais se mettre en colère ?) et, d’autre part, nous ne vivons ni en dehors de notre environnement ni de notre passé.
Non seulement le quotidien nous apporte son lot de soucis et de stress, mais des émotions douloureuses issues de notre propre enfance viennent s’ajouter aux difficultés inhérentes à la vie de famille. C’est la raison pour laquelle certains préfèrent parler d’éducation “consciente” plutôt que d’éducation bienveillante pour mettre l’accent sur la nécessité d’un travail de déminage du passé dans le cheminement vers la bientraitance éducative.
Restés non seulement insatisfaits dans le passé, mais le plus souvent non identifiés comme tels, ils entretiennent le manque et il suffit de peu pour qu’ils entrent en compétition avec ceux de nos enfants, nous empêchent de les entendre, de les comprendre et souvent d’agir envers eux de manière appropriée. – Isabelle Filliozat
Par exemple, un parent qui n’a jamais été pris dans les bras par ses parents quand il pleurait enfant peut avoir du mal à supporter les pleurs de son propre enfant et à le consoler. Accueillir la tristesse de l’enfant et le câliner, ce serait voir l’enfant recevoir la tendresse que le parent n’a jamais reçu dans le passé. Le parent peut avoir eu tellement de peine de n’avoir jamais reçu de câlins et de réconfort qu’il ne veut pas réveiller la douleur intolérable de ce manque. Il va alors, par mécanisme de protection, être tenté par une double négation :
- nier son besoin d’ancien enfant : “Je n’ai jamais eu de câlin et j’en suis pas mort.”
- nier le besoin actuel de son propre enfant : “C’est de la comédie. Il m’énerve avec ses jérémiades.”
Là où mes émotions d’enfance restent refoulées, je ne peux percevoir la réalité des besoins de mon enfant. Je vais soit projeter mes propres besoins, forcément démesurés puisque frustrés depuis longtemps, soit nier tout besoin pour ne pas sentir ma souffrance. – Isabelle Filliozat
Il arrive même que certains parents fuient leurs enfants parce qu’ils redoutent le contact avec leurs émotions d’enfance. Ce n’est pas facile de vivre avec des enfants quand on a enterré sa propre enfance, oublié ses émotions d’enfant.
Or, rappelle Isabelle Filliozat, un parent qui a guéri ses blessures anciennes devient capable d’accueillir ses propres besoins et ceux de son enfant ici et maintenant.
Guérir son enfance est un pré requis pour écouter, comprendre et accompagner les enfants avec bientraitance. Une personne qui n’a pas pu pleurer ses blessures d’enfance parce ces blessures (émotionnelles et/ou physiques) n’ont pas été identifiées comme des injustices (sous le couvert du fameux “c’est pour ton bien” ou “je te donne une fessée parce que je t’aime“) et parce qu’aucun témoin secourable ne s’est trouvé là pour rétablir la vérité (“non, un parent n’a pas le droit de donner une fessée, ni de pincer ou de tirer les cheveux“, “oui, tu as le droit d’être en colère contre ton parent qui t’a frappé“). C’est très courant dans les familles d’étouffer les émotions des enfants et de nier leurs besoins, en particulier leurs besoins affectifs. Cela se manifeste notamment dans le fait que toute tentative de l’enfant de dire sa vérité face à des parents incompréhensifs est considérée comme de l’insolence, de l’irrespect. On dit de l’enfant qui défend son intégrité et sa dignité qu’il “répond” et l’enfant s’expose à des punitions et une escalade de la violence.
Quand des tensions et émotions d’enfance ont été enfouies, elles ressortent douloureusement face aux enfants.
Pour guérir, il s’agit de regarder la réalité de sa propre enfance. Cesser d’idéaliser ses parents et oser voir qu’ils ont pu nous faire mal ou se montrer injustes. Se souvenir. Se donner le droit de sentir les émotions auxquelles, enfant, nous n’avons peut-être même pas eu accès. – Isabelle Filliozat
Le fait qu’un enfant éveille en nous un sentiment insoutenable, une tempête émotionnelle menant à une perte totale de contrôle et, parfois, à de la violence (fessée, claque avec une main qui part toute seule) indique un nœud lié au passé. Elever nos enfants peut alors se révéler être une formidable occasion de nous élever en même temps que nous les élevons à condition d’écouter nos inconforts et de traiter nos pétages de plomb comme des indices d’une histoire à travailler.
Pour certaines personnes, ce travail intérieur va devoir passer par un accompagnement thérapeutique.
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Source : Au coeur des émotions de l’enfant d’Isabelle Filliozat (éditions Poche Marabout). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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