Il faut bien préparer les enfants à vivre dans une société violente…
Il est une rengaine qu’on peut souvent lire (ou entendre) à propos de l’éducation positive/ non violente ; les enfants ne rencontreront pas que des personnes “bienveillantes” dans la vie donc il faut bien les préparer à vivre dans une société violente. Cet argument sert en général à justifier les violences éducatives de toute sorte (punitions, privations, humiliations, tapes…)
Le système punition/ récompense est toxique.
Laurence Dudek, psychopédagogue, répond à ce postulat dans son livre Parents bienveillants, enfants éveillés (First éditions). Elle écrit au sujet du système punitions/ récompenses :
Si les punitions et les récompenses peuvent être efficaces pour le dressage (qui consiste à créer des automatismes inconscients, sans compréhension du sens de l’action), elles ne fonctionnent pas pour élever les enfants ni pour les instruire, parce que ces pratiques coercitives ) à forte composante émotionnelle inhibent l’intelligence qui permet d’assimiler et de s’approprier les savoirs. Ce que les enfants soumis à ces modes de fonctionnement apprennent pour de bon, ils l’apprennent malgré cela et non pas grâce à cela.
Quand on apprend à un enfant à fonctionner sous la menace (punition) ou par la promesse d’une gratification (récompense), on dégrade sa motivation interne (sa capacité à faire les choses en fonction de ses valeurs, de ses besoins, de son élan) ainsi que son éthique (il “obéit” à l’autorité sans comprendre le sens de la règle ni pour lui-même – en termes de sécurité, de santé, d’hygiène… – ni pour les autres – en termes de respect des autres, de fonctionnement de la vie collective, de solidarité…).
L’un des effets pervers les plus insidieux de la méthode punitions/ récompenses et de la compétition est d’axer les apprentissages sur des conséquences individuelles (et auto centrées) et pas sur celles qui touchent les autres (ou l’environnement). On transforme alors les aptitudes naturelles des enfants à la compassion en compétences concurrentielles, au risque de produire des générations d’irresponsables, sans autre morale que celle du profit individuel et sans empathie dans leur vie sociale… N’est-ce pas déjà ce que nous faisons ? – Laurence Dudek
La violence physique n’est pas éducative.
Par ailleurs, aucune violence physique n’est éducative. La violence ne fait que perpétuer la violence. Quand un adulte frappe un enfant (fessée, tape sur les mains, claque, oreilles tirées, pichenette sur la tête, cheveux tirés…), il lui apprend la violence. On comprend alors que préparer les enfants à vivre dans une société violente n’a pas de sens.
Laurence Dudek fait la liste de ce que les enfants apprennent quand ils sont traités avec violence (même celle dite “ordinaire” telles que les fessées, les gifles, les agressions verbales…) :
- les enfants apprennent qu’il faut souffrir et avoir peur pour “bien” se comporter,
- les enfants apprennent qu’on a le droit de faire du mal pour le “bien” d’autrui,
- les enfants apprennent à utiliser la violence sur des plus petits qu’eux,
- les enfants apprennent à mentir pour se protéger de la douleur,
- les enfants apprennent à fuir leurs responsabilités pour éviter les coups,
- les enfants intègrent la violence comme quelque chose de normal dans la vie humaine,
- les enfants, en grandissant, sont tentés de reproduire la violence dans tous les domaines de la vie,
- les enfants apprennent qu’il existe un lien entre amour et violence : on peut aimer et frapper, on peut être aimé et être frappé,,
- les enfants apprennent à ne pas reconnaître les violences physiques et psychologiques comme des violences réelles (mais comme des manifestations d’amour et des outils éducatifs légitimes),
- les enfants apprennent à obéir aux plus forts et à l’autorité sans contester,
- les enfants apprennent à imposer leurs idées de force par la simple conviction que, quand on estime avoir raison et qu’on a de la force, on a le droit de l’utiliser pour s’imposer aux autres,
- les enfants apprennent à mettre de côté leur sens moral pour obtenir des récompenses et l’approbation de l’autorité et pour éviter les coups.
Cela perpétue la violence du monde, la coercition plutôt que la négociation, la guerre plutôt que le partage, la loi du plus fort en toutes circonstances. – Laurence Dudek
Nous avons à la fois le choix et le pouvoir de faire autrement…
Or, pour paraphraser Thomas d’Ansembourg, nous pouvons choisir de faire partie de la solution plutôt qu’entretenir le problème. Nous pouvons décider de ne plus faire preuve de quelque sorte de violence que ce soit envers les enfants (violences physiques, punitions, chantage, menace, retrait d’amour, isolement, cris…). Nous pouvons décider de ne plus entretenir une société violente.
Par ailleurs, des enfants élevés avec bienveillance ne sont pas forcément mal “préparés” à une société violente. Ils peuvent au contraire être plus résilients, être eux-mêmes des modèles de gestion des conflits pour les autres enfants, être suffisamment émotionnellement forts pour s’affirmer sans s’imposer. De plus, même s’ils rencontrent des difficultés et frustrations, savoir qu’ils peuvent compter sur des parents capables d’entendre leurs émotions douloureuses et de leur assurer un soutien inconditionnels, leur permet de construire une sécurité affective qui les suivra à vie.
Briser le cercle de la violence éducative ordinaire : difficile mais possible
Bien sûr qu’il est difficile de briser le cercle de la violence éducative ordinaire et de sortir des mécanismes violents hérités de l’enfance. Bien que cela soit difficile, cela reste possible. Laurence Dudek propose quelques pistes pour arrêter d’avoir recours à des comportements violents :
- décider solennellement de ne plus utiliser les violences éducatives : prendre un engagement envers soi-même et envers d’autres (notamment les enfants et le/la conjoint.e),
- corriger les comportements quand il y a dérapage vers les violences éducatives : revenir avec les enfants sur ce qui a été dit ou fait, présenter des excuses, accueillir les émotions des enfants et leur expliquer que le changement est en cours,
- demander aux enfants d’aider à souligner ce qui est violent pour eux et de rappeler l’engagement non violent aux parents,
- si les mécanismes sont trop difficiles à dépasser, il est possible faire appel à un professionnel (thérapeute, coach parental, atelier de communication parents/enfants…),
- se poser la question : “Quelle raison je souhaite que mon enfant ait pour faire ce que je voudrais qu’il fasse ?” (si la réponse tend du côté de l’intérêt personnel, du plaisir, du partage, de l’autonomie, de la satisfaction de réussir, alors il devient évident que les violences éducatives même “ordinaires” sont toxiques).
………………………………………………………………………………………
Source : Parents bienveillants, enfants éveillés : les 10 clés de l’éducation efficace de Laurence Dudek (FIRST éditions). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur les sites de ecommerce.
Commander Parents bienveillants, enfants éveillés sur Amazon, sur Cultura, sur la Fnac ou sur Decitre.