Il n’existe pas de consensus scientifique au sujet de l’addiction aux écrans.
Parler d’usages problématiques plutôt que d’addiction aux écrans.
Dans son livre Nos ados sur les réseaux sociaux, même pas peur !, Béatrice Kammerer, journaliste spécialisée dans l’éducation, relaie les propos du psychiatre Serge Tisseron au sujet de l’addiction aux écrans : « Il n’y a pas d’addiction aux écrans ni aux réseaux sociaux reconnue par les instances internationales, seulement aux jeux vidéo de la part de l’O.M.S. [Organisation mondiale de la santé], mais c’est une addiction comportementale très différente d’une addiction à un produit toxique ». Une addiction est une pathologie qui se caractérise par deux éléments :
- d’une part, l’existence d’un syndrome de sevrage, dans lequel l’arrêt brutal de la consommation du produit entraîne des troubles physiques inconfortables, voire dangereux pour le patient,
- d’autre part, un risque de rechute, qui ne peut être prévenu que par une abstinence totale du produit à l’origine de l’addiction.
Serge Tisseron estime que ces deux critères ne se retrouvent pas dans la consommation d’écrans. Il ne s’agit pas de nier que la consommation d’écran peut perturber la vie d’un individu, au point qu’il s’en retrouve psychologiquement dépendant, mais les médecins préfèrent parler de « troubles du comportement » ou d’« usages problématiques » plutôt que d’addiction aux écrans.
Le trouble du jeu vidéo existe.
Dans le domaine des technologies numériques, un trouble est toutefois reconnu par l’OMS : il s’agit du « trouble du jeu vidéo ». Depuis 2019, ce trouble est inscrit dans la Classification internationale des maladies (CIM-11). Un diagnostic de ce trouble inclut plusieurs symptômes : avoir un usage intensif des jeux en ligne, mais aussi souffrir d’une forte désocialisation, observée sur plus de douze mois. Pour Serge Tisseron, si l’ado a des amis, s’il va à l’école sans problème, la question du trouble ne se pose pas.
Et les réseaux sociaux : addictifs ou pas ?
Un seuil pour établir une addiction aux réseaux sociaux est difficile à établir.
Plusieurs chercheurs tentent d’établir un seuil à partir duquel on pourrait parler d’une « utilisation problématique des réseaux sociaux ». Les critères sur lesquels ces chercheurs s’appuient pour caractériser une dépendance sont multidimensionnels :
- le fait de penser constamment au moment où on va se connecter,
- le fait de se sentir mal quand on ne peut pas le faire,
- le fait de négliger ses autres activités (comme les devoirs scolaires pour les adolescents),
- le fait que les réseaux sociaux soient à l’origine de conflits intrafamiliaux.
Béatrice Kammerer constate que ces tentatives sont infructueuses pour le moment. En effet, une question demeure : les symptômes listés peuvent être autant l’effet direct des réseaux sociaux que les révélateurs de difficultés personnelles ou de pathologies, de nature neurodéveloppementale ou psychiatrique (comme une dépression, un trouble bipolaire, ou une schizophrénie).
« Ces excès disparaissent généralement tout seuls avec le passage à l’âge adulte. En effet, cette période correspond au décalage physiologique qui affecte la maturation du cerveau adolescent. Il a une hypersensibilité aux récompenses et aux attentes des pairs, mais ne dispose pas encore des moyens de réguler ses désirs et ses impulsions. C’est pourquoi la passion effrénée pour les jeux vidéo ou les réseaux sociaux occupe généralement trois ou quatre ans, entre 11-12 ans et 15-16 ans, sauf évidemment en cas de pathologie psychiatrique sous-jacente. » – Serge Tisseron
Ecrans et troubles neurodéveloppementaux : corrélation n’est pas causalité, conséquence n’est pas cause.
Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives et directeur de recherche au CNRS, a relayé une étude récente suggérant que le fait d’être porteur d’un trouble du spectre autistique augmente le temps d’exposition aux écrans. Cela signifie que la propension de certains enfants autistes à se retrouver exposés aux écrans au-delà de la moyenne est une conséquence de leur trouble neurodéveloppemental. Cette étude, reposant sur des analyses génétiques de prédisposition à des troubles, semble indiquer que les écrans ne provoquent pas l’autisme, mais que les prédispositions génétiques à l’autisme augmentent le risque d’avoir une exposition croissante aux écrans. Franck Ramus est prudent quant aux conclusions définitives de cette étude : elles méritent d’être confirmée par des études ultérieures afin de savoir si les résultats sont réplicables.
Lire l’analyse des résultats par Franck Ramus : Les écrans et l’autisme : le rôle des prédispositions génétiques
Les effets des écrans sur la santé mentale des ados sont encore à questionner.
Depuis 2010, il existe une corrélation entre apparition des écrans et dégradation de la santé mentale des adolescents. Là aussi, nous pouvons nous demander si cette corrélation est une causalité ou bien si cette corrélation cache une causalité inverse : est-ce parce que la santé mentale des adolescents s’est dégradée – en lien avec des facteurs externes – que leur consommation d’écran a augmenté ? Les chercheurs n’ont pas encore tranché cette question. Le problème de santé mentale des adolescents et des étudiants est réel (dépression, troubles anxieux), d’autant plus qu’il a été aggravé par les confinements, mais ce problème ne doit pas être instrumentalisé pour désigner un unique coupable (les écrans), au risque d’oublier les facteurs environnementaux, neurodéveloppementaux et politiques.
Pour aller plus loin : Quels sont les effets des écrans sur le développement des jeunes enfants et sur la santé mentale des adolescents ?
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Source : Nos ados sur les réseaux sociaux, même pas peur ! de Béatrice Kammerer (éditions Réseau Canopé) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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