Il n’y a aucune gloire à serrer les dents et faire comme si de rien n’était en cas de souffrance ou traumatisme

Il n'y a aucune gloire à serrer les dents et faire comme si de rien n'était en cas de souffrance ou traumatisme

Serrer les dents n’est pas de la résilience

Dans son livre Réveiller le tigre : guérir le traumatisme, Peter Levine regrette que notre culture moderne véhicule la croyance selon laquelle “endurer” serait synonyme d’être fort et qu’il serait héroïque de poursuivre notre route comme si de rien n’était malgré les symptômes de souffrance.

Levine continue en écrivant que nous sommes susceptible d’accepter cette croyance parce que notre néo-cortex (siège de la capacité à raisonner et rationaliser) nous donne l’impression de pouvoir sortir d’un événement grave sans séquelle. Nous allons continuer notre route en “serrant les dents“, malheureux mais admiré par les autres pour cette (apparence de) force, parfois appelée “résilience”.

Or, selon Levine, cette règle sociale qui nous pousse à nous comporter en super héros et super héroïnes porte en réalité préjudice tant aux individus qu’à la société.

Quand nous voulons continuer notre vie sans tenir compte de la nécessité de transformer nos expériences traumatiques, notre apparente solidité n’est qu’un leurre : les effets du traumatisme s’amplifient, se consolident, se chronicisent et les réponses inachevées, figées dans notre système nerveux, deviennent des bombes à retardement qui un jour se déclencheront. – Peter Levine

Accepter sa vulnérabilité : clé de voûte du bonheur

Levine parle d’effondrement personnel (on pourrait rajouter collectif) et ajoute que le véritable héroïsme consiste à reconnaître ses traumatismes et non à les supprimer ou les nier.

La vulnérabilité est inhérente à l’humanité et elle est au coeur de la dignité humaine. La vulnérabilité et la fragilité ne sont pas honteuses.

Guérir d’un traumatisme : cerveau, esprit et corps pour retrouver la maîtrise de soi

L’importance de la reconnexion du corps et de l’esprit

Dans son approche, Peter Levine insiste sur l’importance de la reconnexion du corps et de l’esprit parce que leur déconnexion est une conséquence importante du traumatisme. Il explique que la perte des sensations (notamment tactiles) est une manifestation physique fréquente de cette déconnexion. Cette reconnexion esprit/corps doit se faire doucement, sous peine d’être immobilisé par la terreur.

Les travaux de Peter Levine sont proches de ceux de  Bassel van der Kolk, spécialiste mondial du syndrome de stress post-traumatique, qui insiste sur les 3 dimensions cerveau/ esprit/ corps pour guérir d’un traumatisme.

Pour Van der Kolk, la conscience du corps est à la base de la guérison face à un traumatisme. Les traumatisés ont souvent peur de ce qu’ils éprouvent car leurs sensations physiques sont devenus leur ennemi. L’angoisse d’être envahi par des sensations désagréables maintient leur corps bloqué et leur esprit fermé. Pour sortir de ce cercle vicieux, les personnes traumatisées doivent nécessairement s’ouvrir à leur expérience intérieure.

Le premier pas consiste à s’autoriser à se concentrer sur les sensations et à remarquer que les sensations sont passagères et dues à de légers changements de position, du flux respiratoire et du fil des pensées (exemple : « Quand je suis anxieux, ma poitrine est comme dans un étau. »)

Pleine conscience, mouvement, rythmes et action

Bassel Van der Kolk estime que le meilleur moyen de changer ce que l’on éprouve quand on est traumatisé est de prendre conscience de son expérience intérieure et de “pactiser” graduellement avec elle.

Le psychiatre rappelle que les émotions sont inscrites dans le corps. 80 % des fibres du nerf vague (qui relie le cerveau à une série d’organes internes comme le cœur et les poumons) courent du corps vers le cerveau. Ainsi, nous pouvons réguler notre système d’excitation dans le cerveau par notre manière de respirer, de scander et de bouger.

Van der Kolk mentionne plusieurs approches pour reprendre le contrôle du cerveau émotionnel :

  • Une recherche, financée par les Instituts américains de la santé, a montré que dix semaines de yoga réduisaient nettement les symptômes de SSPT des patients chez qui tous les traitements, même médicamenteux, avaient échoué.

 

  • Apprendre à respirer calmement et à rester dans un état de détente relative, même en accédant à des souvenirs terrifiants, est essentiel pour surmonter le traumatisme. Plus on reste concentré sur sa respiration, plus ses bienfaits augmentent, surtout si on maintient son attention jusqu’à la fin de l’expiration et qu’on attend un peu avant l’inspiration suivante. En continuant à respirer et à observer l’air qui entre et sort de ses poumons, on pourra penser au rôle de l’oxygène, qui nourrit l’organisme et insuffle aux tissus l’énergie nécessaire pour se sentir vivant et en prise (« en prise » veut dire que les personnes peuvent se sentir en contact avec leur chaise, voir la lumière entrer par la fenêtre, percevoir la tension dans leurs mollets, etc.)

 

  • D’autres traitements se fondent sur la pleine conscience, le mouvement, les rythmes et l’action – comme le yoga en Inde, le tai-chi en Chine et les percussions dans toute l’Afrique. Les Japonais et les Coréens ont créé les arts martiaux, fondés sur le geste intentionnel et la concentration sur le présent, des facultés qui sont altérées chez les traumatisés. L’aïkido, le judo, le kendo et le jujitsu, ainsi que la capoeira au Brésil, sont également de bons exemples.

 

  • Les activités rythmiques en groupe ont aussi un pouvoir thérapeutique (musique, danse, théâtre, jeux sensoriels…).

3 facteurs qui empêchent la résilience chez les humains

Selon Boris Cyrulnik, la résilience est la reprise d’un type de développement après un traumatisme. Selon lui, les 3 facteurs qui empêchent la résilience chez les humains.

1.L’isolement

Si on est seul, on n’a aucune chance de reprendre un développement.

2. Le non sens

Le non sens relève de l’impossibilité et/ou de l’incapacité à faire un récit de ce qui s’est passé.

3. La honte

La personne elle-même s’empêche de résilier en éprouvant de la honte car elle se met en situation de désocialisation. Pour Boris Cyrulnik, la honte est la preuve de notre condition humain car ce sentiment est la preuve de la prise en compte d’autrui, de son monde mental, de ses représentations verbales, de son regard social . La honte incite à se cacher, à se protéger du regard des autres par peur des représentations mentales que l’autre va faire sur nous tels que les jugements moraux ou les condamnations sociales de tel ou tel comportement.

Lire aussi : Mieux vaut s’accepter imparfait.e que ne pas s’accepter du tout : comment dépasser la honte ?

Les hontes sont des poisons de l’âme et empêchent la reprise d’un processus de développement. Une personne agressée va par exemple avoir une représentation d’elle même diminuée, amoindrie parce qu’elle a été agressée et va subir une sorte de “double peine” du fait de l’agression et de la honte ressentie alors qu’elle n’est coupable de rien.

On peut sortir de la honte comme on sortirait d’un terrier pour s’exposer à nouveau au regard des autres. Cela demande un travail sur soi pour se renforcer et, souvent, un changement de mentalités dans la société (on peut penser à la honte des Juifs sous le régime nazi ou à la honte des femmes violées encore aujourd’hui du fait de la culpabilisation des victimes qui n’auraient pas dû s’habiller comme ceci ou qui n’auraient pas dû se trouver seules à tel endroit, à tel moment…). L’art peut être d’une grande aide dans ce processus : l’art comme thérapie individuelle et l’art comme outil de dénonciation militante des injustices sociales (cinéma, littérature, musique…).

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Pour aller plus loin : Réveiller le tigre : guérir le traumatisme de Peter Levine (InterEditions). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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Photo de Anh Nguyen (Unsplash)