Le bon père de famille : ferme et protecteur ? Non, violent et dominant

Dans son livre En bons pères de famille, Rose Lamy propose de démystifier l’idée des bons pères de famille, qui se posent en protecteurs des femmes et des enfants pour mieux les contrôler. Le père de famille est “bon” parce qu’il est à la fois ferme (pour cacher le fait qu’il est violent) et protecteur. Mais de quoi un père de famille qualifié de bon protègerait-il sa famille ? De la honte si ses enfants ont des mauvaises relations (il faudrait donc trier les personnes de valeur des autres qui méritent d’être fréquentées et séquestrer les enfants pour qu’ils ne sortent plus) ? Protéger les femmes des tentations (et du risque de l’adultère, du déshonneur, comme si les femmes n’étaient pas souveraines sur leurs corps) ? Protéger les femmes et les enfants des agressions extérieures (mais qui seraient les agresseurs potentiels, si ce n’est d’autres hommes… réalité qu’on cache en construisant la figure de l’étranger agresseur, voleur et violeur) ? Le devoir des bons pères de famille s’exerce sur deux volets. D’un côté, il faut punir (sévèrement) les enfants insolents qui se rebellent contre l’autorité oppressive. De l’autre côté, il faut corriger les femmes qui se plaignent, si ce n’est par la violence physique, alors par l’attaque sur leur corps, leur physique et leur réputation : excessives, hystériques, qui nuisent à la cause du féminisme, qui fabriquent des enfants rois paresseux et incultes (ou tyrans, ou pire des enfants Dieu au risque de l’effondrement civilisationnel), mal baisées (mais par qui donc ? ces hommes ne seraient finalement ni de bons pères ni de bons amants), et évidemment, putes.
A l’inverse, un “mauvais” père de famille laisserait donc ses enfants fréquenter des personnes de toute classe sociale et d’origine ? Un mauvais père de famille ne contrôlerait pas la manière dont sa femme s’habille et dont elle s’occupe du foyer ? Un mauvais père de famille serait trop gentil et même laxiste avec ses enfants ? Il ne saurait donc pas se faire respecter et, pour preuve, participerait aux tâches domestiques et éducatives ? On voit bien que la notion de “bon père de famille” est réactionnaire, à la fois sexiste, adultiste et raciste. C’est la raison pour laquelle de nombreuses mères qui s’opposent à la violence dite éducative buttent sur les critiques et l’opposition des pères de leurs enfants qui tiennent encore à ce pouvoir.
Un peu d’histoire au sujet de la notion de bon père de famille
L’autorité des chefs de famille a été inscrite dans le Code Civil de 1804 (dit Code Napoléon). Napoléon estimait que “l’enfant appartient au mari de la femme comme la pomme au propriétaire du pommier” et que “la femme est donnée à l’homme pour qu’elle lui fasse des enfants : elle est sa propriété“. C’est en 1970 que le statut juridique de chef de famille est supprimé et que le ménage est régi à deux. Toutefois, les réactionnaires actuels regrettent cet état de fait. Ainsi, Eric Zemmour accuse la disparition de la notion de chef de famille de la “mort de la famille occidentale”.
La notion même de “chef de famille” permet aux hommes de bafouer l’intégrité physique et psychologique des femmes et des enfants.
La notion de “chef de famille” rend les femmes et les enfants coresponsables de la violence (une femme habillée en bottes et jupe a cherché le viol, l’épouse au foyer qui n’a pas fait les tâches ménagères mérite d’être critiquée et rabaissée, l’enfant qui reçoit une fessée avait provoqué son parent et le châtiment corporel a une valeur éducative). Quand un bon père de famille fait preuve de violence (pouvant aller jusqu’à l’agression sexuelle et le meurtre), on dit qu’il le fait au nom de l’amour, voire d’un excès d’amour. Il agresse et tue parce qu’il aime trop. Ces violences, parfois jusqu’à l’assassinat, sont le rappel ultime de qui possède encore le pouvoir. Les outils du maintien de l’ordre et de l’exercice du pouvoir sont les violences psychologiques (menaces, humiliation, emprise) et les violences physiques (comprenant les agressions sexuelles et l’inceste).
Rose Lamy regrette que, dans de nombreuses situations de conflits conjugaux (parfois dramatiques, allant jusqu’au féminicide), les mots des femmes soient mis au même plan que les coups des hommes. La violence (de la gifle au meurtre) serait une réponse proportionnée contre le péril que représentent les plaintes ou la défense verbale des femmes. Comme si la violence physique masculine était de la légitime défense face à un égo masculin froissé par une femme.
Rose Lamy estime que le discours sur les “bons pères de famille” équivaut à du gaslighting et que l’arme des victimes et des féministes est la parole, la mise en commun, la “création de lien entre les informations que les bons pères de famille nous empêchent de mettre en rapport”.
La protection de la réputation des hommes compte plus que le corps des femmes et des enfants.
Rose Lamy a réalisé que la formule “en bon père de famille” est inséparable de la notion de boys club : “un groupe serré d’amis-hommes qui se protègent entre eux” (expression et définition de Martine Delvaux). On retrouver des boys clubs dans l’Etat, l’Eglise, l’armée, l’université ou encore les entreprises. Les bons pères de famille vivent dans l’illusion de ne pas être violents. Non seulement, leur violence serait un dérapage (la norme est l’entente entre les sexes et la petite claque l’exception; la fessée est un acte éducatif qui ne fait même pas si mal par-dessus les vêtements). Mais les hommes violents, ce sont les autres (les cassos, les étrangers, les monstres pédocriminels). Pourtant, les chiffres sont connus : les femmes ont plus de chance d’être tuées par leur compagnon que par un inconnu lors de leur jogging. Selon un sondage Ipsos de novembre 2020, 1 Français sur 10 affirme avoir été victime de violences sexuelles intrafamiliales durant son enfance. Selon Juliet Drouar, autrice du livre La culture de l’inceste, 80 à 85% des agressions sexuelles seraient des incestes. Cécile Cée, autrice du livre Ce que Cécile sait : journal de sortie d’inceste, avance le chiffre de 99,07% des violences sexuelles sur enfant non condamnées.
Rose Lamy estime qu’un père de famille, même de la classe sociale inférieure, profite d’un système sexiste qui ne le punit pas d’exercer son emprise psychologique et physique sur sa cellule familiale. Elle ajoute que les discours des bons pères de famille sont difficiles à mettre au jour tant ils tordent la réalité car ils nous apprennent dès l’enfance à confondre l’amour et la violence, “à considérer les violences punitives comme de l’éducation, à craindre la parole des femmes et des enfants présentés comme un risque pour l’intégrité de la famille et de la société toute entière”.
La violence est en réalité la norme et des Français blancs avec des papiers la commettent.
Rose Lamy dénonce les discours racistes de l’extrême droite et d’une partie de la droite et du centre qui associent délinquance et immigration pour justifier des lois sécuritaires et xénophobes. Les bons pères de familles occidentaux se réclament d’une modernité progressive et égalitaire (auto proclamée), accusant les étrangers de moeurs rétrogrades et sexistes (excision, mariage des mineurs, crime d’honneur). La violence masculine existe aussi en Occident, mais les bons père de famille prennent soin de l’exercer en privé, tout en tordant la réalité et en la dénonçant publiquement (si et seulement si elle est commise par un monstre, un étranger ou un pauvre). Les féministes affirment par exemple que l’inceste n’est pas un tabou en acte puisqu’il est répandu et touche 10% des enfants (cela signifie 3 enfants dans chaque classe de 30 élèves) : c’est le fait de le dénoncer comme un viol et un crime qui est tabou.
[Les bons pères de familles occidentaux] se rêvent aimants et protecteurs contre les hommes violents, les autres, les marginaux, les monstres, les fous, les pauvres et les étrangers. Il est vital pour eux de continuer à alimenter ce mécanisme de distinction pour faire diversion à leur propre violence. – Rose Lamy
Pour Rose Lamy, désigner la figure de l’étranger comme “ayant le monopole de la violence sexiste en France” sert deux objectifs :
- faire oublier la violence des locaux
- justifier des politiques qui restreignent les libertés et l’immigration
Pourtant, dans le scandale de Bétharram, plus de 212 plaignants ont dénoncé des violences (psychologiques, physique et sexuelles) perpétrés par des hommes blancs catholiques et, suite à la médiatisation de l’affaire, plusieurs dizaines de collectifs de victimes d’établissements privés catholiques en France se sont montés dans toutes les régions.
Les hommes immigrés et les hommes racisés ne font pas partie du boys club car seuls les hommes qui apportent aux autres hommes (politiciens, artistes, chefs d’entreprise, militaires, avocats, médecins, journalistes, hommes d’Église) bénéficient de la protection des bons pères de famille. Les hommes blancs paupérisés sont considérés comme des “lointains copains gaffeurs” dans une solidarité teintée de mépris pour les beaufs. Si les hommes auteurs de violences sexistes sont blancs et jeunes (bien que pauvres), les bons pères de famille pardonnent cette erreur de jeunesse et convoquent le droit au pardon (mais ils ne pensent ni au traumatisme de la femme violée, ni à celui de l’enfant agressé s’il s’agit d’inceste sur une cousine ou un cousin plus jeune par exemple).
Le livre de Rose Lamy est indispensable car il nous donne des clés intellectuelles et politiques pour déjouer les manipulations patriarcales et reprendre le pouvoir sur les narrations sexistes, adultistes et racistes qui nous écrasent individuellement et collectivement.
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Source : En bons pères de famille de Rose Lamy (éditions Points). Disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce.
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