La parentalité positive, de la théorie à la pratique
Lors du salon Primevère de Lyon en 2020, j’ai eu la chance d’assister à la conférence de Gwendoline Vessot, autrice de 200 moments de parentalité positive… (ou pas) ! (éditions L’Instant Présent). Elle y a présenté les enjeux de la théorie en parentalité positive, ainsi que des outils utile. Je vous propose un résumé de cette conférence dense et pleine d’humour (la marque de fabrique de Gwendoline qu’on retrouve également dans son livre !)
La parentalité positive en théorie : ce n’est pas la caricature qu’on en fait parfois
Gwendoline Vessot travaille dans les ressources humaines et a commencé à s’intéresser à la parentalité positive quand des questions liées à sa pratique professionnelle et à l’éducation de ses enfants se sont croisées. Dans le cadre de ses fonctions en ressources humaines, elle a été confrontée aux causes et aux conséquences des problèmes interpersonnels : des gens en perte de sens, des adultes incapables de faire preuve de responsabilité individuelle, des personnes qui mettent de côté leur sens éthique pour obéir à des ordres immoraux, des salariés en burn-out à force de ne pas écouter leurs limites, des conflits qui n’arrivent pas à être traités sans violence. Qu’est-ce qui fait qu’on en arrive à ces situations à l’âge adulte ? Cela s’explique par ce qu’on a appris (ou pas appris) dans l’enfance.
Gwendoline Vessot a alors cherché dans quelle mesure il est possible d’élever des enfants avec un sens éthique bien ancré, une capacité à écouter leurs propres limites, avec une capacité à prendre en compte les autres sans s’écraser ni s’imposer. La parentalité positive lui semblait une approche séduisante pour cheminer en ce sens mais cette approche lui faisait peur en même temps. Elle craignait d’élever des “charmantes crapules” égoïstes ignorant les besoins des autres. Par ailleurs, elle ne voulait pas d’injonctions au sacrifice maternel et encore moins de culpabilisation des parents qui ne feraient jamais assez bien.
En creusant le sujet et en variant ses lectures, elle s’est rendue compte que la parentalité positive est avant tout un modèle de relations équilibrées qui propose des ressources multiples pour concilier les besoins des enfants ET des parents. Ce n’est pas l’un ou l’autre mais bien l’un et l’autre. La parentalité positive prend soin des petits comme des grands. Gwendoline Vessot explique qu’elle s’est réconciliée avec la parentalité positive quand elle a compris que les ressources ne sont que proposées, non pas imposées, et que la parentalité positive consiste en un éventail de courants dont on peut adopter certains aspects et pas d’autres.
La parentalité positive à l’épreuve du quotidien : on est tous d’excellents parents avant d’avoir des enfants !
Tous les enfants font des crises pour des raisons qui paraissent futiles aux adultes, tous les enfants rechignent à se brosser les dents, tous les enfants réclament avec insistance des bonbons ou des gâteaux au supermarché. Et tous les parents rencontrent des difficultés dans la manière de faire face à ces situations. Au quotidien, le moindre petit truc a un potentiel d’explosion (un plat trop chaud ou trop froid, un verre pas de la bonne couleur, un partage non équitable du nombre de frites dans l’assiette…).
Il va fatalement nous arriver à un moment ou un autre de ne pas faire comme on aurait aimé, de nous montrer moins bienveillants que ce que nous aurions aimé. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons nous en rendre malades. Les “ratés” sont des occasions de nous rappeler de nos objectifs à long terme pour les traduire en conduites parentales quotidiennes : élever des enfants qui n’obéissent pas aveuglément mais qui sont guidés par leur sens de la responsabilité individuelle et collective.
Gwendoline Vessot s’appuie sur deux piliers pour maintenir le cap de la parentalité positive dans son quotidien de mère :
- une phrase d’Haïm Ginott, l’un des pères fondateurs de la parentalité bienveillante : “Si l’on veut améliorer le comportement, il faut d’abord s’occuper des sentiments“. Cette phrase nous invite à accepter toutes les émotions, dans le sens où elles ne sont pas un problème en soi mais une information sur les causes des comportements qu’on estime inappropriés.
- un objectif à long terme, qu’on peut perdre de vue à court terme, est d’élever des enfants qui n’agiront ni contre leur conscience ni contre leurs limites personnelles. Cela suppose de notre part d’accueillir les émotions des enfants, de leur laisser la responsabilité de leurs besoins, de solliciter leur avis (“et toi, qu’en penses-tu ?”) et de les laisser faire l’expérience de leur capacité d’agir.
9 solutions pour passer de la théorie de la parentalité positive à la pratique
Gwendoline Vessot est formatrice Faber et Mazlish en communication parents/enfants. Son approche s’inspire donc des outils conçus par ces deux précurseurs. Gwendoline Vessot rappelle que, plus on possède d’outils dans notre escarcelle de parents, plus on devient efficace pour aborder les difficultés quotidiennes sans violence.
Quand on possède un couteau-suisse bien garni, on se sent moins impuissant et on s’énerve moins. On devient aussi plus souple car, pour chaque cas et situation, on dispose de plusieurs solutions à activer et à personnaliser.
Lors de sa conférence, Gwendoline Vessot a exposé 9 outils de parentalité positive :
1. Valider les sentiments
Quand on écoute les sentiments des enfants sans les censurer ou les minimiser mais en se reliant à leur propre réalité, ces derniers s’apaisent. Écouter les sentiments et accueillir les émotions ne signifie ni dire oui à tout, ni prendre en compte seulement les besoins des enfants. Cela signifie simplement accompagner les difficultés que traversent les enfants en mettant des mots (ou des gestes compatissants) sur ce qui leur est difficile à vivre.
Il est par exemple tentant de rassurer immédiatement un enfant qui est triste ou qui a peur. Pourtant, c’est plus efficace de valider la peur ou la tristesse (la reconnaître et dire “oui” à l’émotion pour la laisser exister). Il est possible, dans un second temps après l’accueil de l’émotion de peur, de demander à l’enfant : “et toi, qu’en penses-tu ?”. Reconnaître la peur de l’enfant lui permet d’avoir confiance en ses perceptions et ressentis, de les prendre en compte. Ensuite, lui demander son avis lui permet de faire sa propre appréciation de la situation (notamment du degré de risque qu’il est prêt à prendre).
2. Donner une information plutôt qu’un ordre
Donner une information est utile car cela consolide le contrôle intérieur des enfants et sollicite leur intelligence. A l’inverse, un ordre a peu de chance d’être efficace à long terme car l’enfant ne fait qu’obéir conduit par un contrôle externe. L’ordre sera peut-être exécuté sur le coup mais aura besoin d’être répété car aucune réflexion n’aura été engagée.
Une information peut donner des explications sur comment les autres fonctionnent ou sur comment la vie plus globalement fonctionne. Faber et Mazlish prennent l’exemple d’une bouteille de lait laissée sur la table. Il est possible de dire aux enfants que le lait tourne quand il n’est pas réfrigéré.
Un autre exemple souvent cité est celui de l’éponge : “Oups, le verre est renversé et l’eau dégouline. On a besoin d’une éponge. Elle est dans l’évier”.
3. Décrire le problème
Décrire le problème consiste à simplement dire ce que nous voyons (exemple : “Je vois des chaussures par terre dans l’entrée”). On laisse l’opportunité aux enfants de trouver une solution à ce problème sans se sentir accusés ou stupides. Leur manière d’agir ne dépend plus du regard des adultes mais de leur capacité à trouver par eux-mêmes des solutions.
Il est possible de compléter la description du problème par une question qui engage l’intelligence de l’enfant : “Comment tu peux faire ?”.
Décrire le problème, c’est aussi exposer nos propres besoins en contradiction avec ceux des enfants : “Je vois que toi, tu as envie de… Et pour moi, c’est important de… On a un problème, qu’est-ce qu’on peut faire ?”/ “Là, j’ai trop besoin de calme. Est-ce que tu serais d’accord pour… ?”
4. Offrir des opportunités d’exercer du pouvoir personnel
L’idée ici est de permettre aux enfants d’exercer leur autonomie. Cela peut passer par :
- leur laisser le choix entre deux alternatives acceptables pour nous (ex : “quand tu n’es pas contente, tu peux faire une demande avec des mots ou demander de l’aide”)
- demander aux enfants ce dont ils ont besoin : “quand est-ce que tu seras prêt ?”/ “tu as besoin de combien de temps encore ?”
- demander aux enfants ce dont on a collectivement besoin : “que nous manque-t-il ?”/ “de quoi avons-nous besoin ?”
5. Laisser les enfants faire des expériences
Laisser les enfants faire des expériences peut nous rebuter car cela nous fait perdre du temps mais c’est par l’expérience que les compétences des enfants s’améliorent. Pour reprendre l’exemple de l’éponge pour le verre renversé, il est possible que les jeunes enfants empirent le mal en étalant l’eau plus qu’en ne l’épongeant. Pourtant, non seulement ils prendront l’habitude d’agir pour réparer leur maladresse mais ils affineront également leurs gestes avec le temps.
De plus, laisser les enfants faire des expériences nourrit leurs besoins d’utilité et d’appartenance à une communauté. On ne demande pas seulement l’arrêt du comportement gênant mais on invite l’enfant à contribuer et à faire l’expérience de ses compétences.
6. Traiter la colère comme une information utile et l’exprimer sans accuser
La colère est acceptable aussi bien chez les enfants que chez les adultes. L’émotion de colère est différente de l’expression de la colère. Le problème n’est jamais l’émotion de colère en soi, mais la manière dont est manifestée la colère.
La colère est une réaction saine face à l’injustice, à l’impuissance, à l’échec, à la frustration, au constat de l’inertie. C’est l’émotion qui répare en cas d’échec ou de deuil et pousse à agir pour plus de justice.
Il est possible de dire notre colère face aux enfants sans pour autant les attaquer, les accuser ou leur crier dessus : “Pour moi, c’est vraiment très désagréable !”/ “Stop, je n’aime pas du tout être tirée par le sac.
7. (Se) Donner le droit à l’erreur
Si nous donnons le droit à l’erreur aux enfants, nous pouvons accueillir nos propres erreurs comme un terreau fertile pour aligner au mieux nos actes et nos valeurs à l’avenir. Prendre du recul pour voir ce qui nous a amenés à réagir par une punition ou par des cris permet d’identifier les déclencheurs et de trouver des solutions. Attention toutefois à ne pas transformer le droit à l’erreur en déresponsabilisation (comme si on avait finalement le droit de bafouer les droits des enfants à grandir sans violence).
Ce qui peut également aider est de noter tous les jours ou toutes les semaines au moins une chose qu’on a réussi, une chose dont on est fier en tant que parents. On peut aussi se souvenir que, même si on a l’impression de “travailler” dans le vide, on oeuvre aujourd’hui pour construire le futur malgré le manque de résultat immédiat.
8. Passer par le jeu et l’humour
Le jeu parents/enfants peut avoir des vertus thérapeutiques. La parentalité ludique nous invite à construire des ponts plutôt que des murs entre les membres de la famille.
L’idée est de remplacer l’irritation et les jeux de pouvoir (qui risquent de mener à la violence) par du lien et du contact. Les problèmes de comportement deviennent des jeux qui sont l’occasion de créer du lien et d’enseigner des compétences sans recourir à la force. Consacrer quelques minutes à un jeu permet de gagner du temps : non seulement jouer prend moins de temps que s’énerver et négocier à n’en plus finir mais, à moyen et long terme, la relation de confiance et de respect fait diminuer les oppositions et les résistances.
Par exemple, il est possible, avec un enfant à l’attachement insécure, de jouer à se “disputer un enfant” entre parents : les deux parents courent après l’enfant en disant “il est à moi”/ “non, il est à moi !” Les jeux de chahut sont utiles pour libérer la tension et donner une forme d’expression non violente à l’agressivité : bataille de polochons gagnés par l’enfant, bataille de pouces ou d’eau…
9. Se ressourcer et s’écouter en tant que parent, élément clé de la théorie en parentalité positive
Être parent est épuisant et personne ne nous demande de nous sacrifier sur l’autel de la parentalité. Nous avons parfaitement le droit d’exprimer nos émotions et nos besoins dans un langage personnel tant qu’il est non menaçant et de solliciter la contribution des enfants : “Pour être capable de…, j’ai besoin de…”.
Nous pouvons également satisfaire nous-mêmes nos besoins en trouvant des solutions, des idées et des ressources personnelles. Se traiter avec respect peut passer par un aménagement de l’environnement afin de satisfaire les besoins des parents et des enfants ou bien par une révision des attentes parentales (en fonction de l’âge des enfants, après un travail sur les activateurs de notre mémoire traumatique…). Gwendoline Vessot a relaté un événement de sa vie de famille : ses enfants étaient surexcités et ils ne pouvaient pas sortir de la maison. Elle a alors choisi de se donner du calme en prenant un livre et en s’installant sur le canapé pour lire. Son attitude a été contagieuse et les enfants ont fini par adopter une activité plus calme.
En conclusion, Gwendoline Vessot rappelle que la parentalité positive est souple (et, en un sens, créative) : il ne sert à rien de se forcer à utiliser un outil qui ne nous convient pas. Nous pouvons adopter la vision des “petits pas” en nous disant que nous faisons chaque jour un pas de fourmi vers des futurs adultes bien dans leurs pompes.
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