L’éducation positive ferait des dégâts à long terme (enfants tyrans, décrocheurs scolaires, adolescents ne supportant pas les efforts…)
Il est une réflexion qu’on entend souvent quand on évoque l’éducation positive : des enfants élevés dans le respect finiraient mal car ils se comporteraient comme des tyrans, voire des “sauvages”, et seraient des inadaptés sociaux. A l’adolescence, ils risqueraient de mal tourner, de décrocher scolairement et la parentalité bienveillante ne pourrait faire que des dégâts à long terme. En réalité, l’adjectif “positive” reflète simplement l’idée qu’on va chercher les motivations des comportements des enfants, c’est-à-dire leur fonction positive en fonction de besoins et de stades de développement émotionnel, cognitif et moteur, plutôt que les punir. On s’inscrit dès lors dans une démarche d’enseignement de compétences.
L’éducation positive n’est ni du laxisme ni une culpabilisation des parents
Cette association du laxisme, voire de la négligence, et de l’éducation postive m’évoque une comparaison : les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme n’ont pas cherché à savoir si le respect des droits humains fondamentaux était efficace pour que les humains se comportent « bien » (nous pouvons d’ailleurs nous interroger sur la définition d’un bon comportement citoyen). Il me semble que seuls les états totalitaires considèrent les droits humains accessoires et leur privilégient l’ordre et la sécurité. Le respect de la dignité humaine et de l’intégrité sont des droits humains fondamentaux et ces droits sont également ceux des enfants.
De plus, les enfants ont non seulement leur libre-arbitre mais aussi leur propre patrimoine génétique. Rien n’est fixé à l’avance et l’hérédité et l’environnement familial agissent l’un sur l’autre. La personnalité de l’enfant va trouver un terrain de développement dans d’autres influences éducatives que celle de leurs parents. Ni les gènes, ni l’environnement de la petite enfance n’expliquent à eux seuls le comportement du sujet adulte. Un comportement n’est jamais « tout génétique » ou « tout environnement ». Ces deux phénomènes semblent plutôt intriqués, causant la grande diversité des comportements humains.
Ainsi, l’environnement dans lequel un humain évolue peut favoriser (ou au contraire défavoriser) des comportements violents car l’expression des gènes est directement et durablement modifiée par le milieu. Quand on parle de l’éducation positive, on comprend d’autant plus l’intérêt de la diffusion des informations autour de
- l’éducation bientraitante (informations sur les besoins affectifs des enfants, outils de parentalité positive, ressources pour accompagner les émotions des enfants, stades de développement des enfants, théorie de l’attachement…);
- des obstacles que les parents peuvent rencontrer sur leur chemin vers la bientraitance éducative (mémoire traumatique, style d’attachement adulte, contexte culturel, politiques familiales et organisation sociale…).
Par ailleurs, un comportement à un instant T ne prédit pas toute la vie future car le cerveau est malléable. Un enfant insolent ou un adolescent décrocheur ne sont pas condamnés à rater leur vie car les rencontres qu’ils feront peuvent changer une trajectoire. Par ailleurs, des troubles neurologiques (comme le TDAH) ou psychiatriques (du type schizophrénie) peuvent expliquer une partie des difficultés attribuées à une éducation défaillante. Le recours à des professionnels de la santé est indiquée en cas de difficultés persistantes qui dégradent la qualité des relations et rendent le quotidien insupportable, source de souffrance.
Ce que les enfants apprennent réellement
A mon sens, on touche ici à une question d’éthique et de philosophie. Les violences éducatives (même dites ordinaires comme l’isolement forcé, la censure des émotions, les punitions ou encore le chantage) apprennent aux enfants des leçons mais pas celles qui leur permettent d’être des adultes dotés d’une éthique personnelle et en bonne santé mentale. Un enfant dont la dignité est bafouée par des violences physiques (fessée, claque, tirage d’oreille, privation de nourriture ou encore isolement forcé) et/ ou psychologique (chantage, punition, humiliation, ultimatum…) peut être amené à :
- s’endurcir pour survivre (ou du moins ne pas trop souffrir),
- s’identifier au jugement implicite contenu dans les coups et ainsi s’accuser en justifiant les violence qu’il subit (“les adultes ont raison de me frapper parce que je suis méchant”, “ils ont raison de ne pas avoir de peine pour moi parce que je ne le mérite pas”, “je ne suis pas digne d’être aimé”),
- croire à la loi du plus fort (les forts ont le droit de taper les faibles),
- justifier les violences éducatives en refusant de les reconnaître pour ce qu’elles sont (“j’en ai pris des fessées et j’en suis pas mort”),
- se conformer pour éviter la souffrance, au détriment de l’imagination, de la créativité, de l’enthousiasme, de l’exploration, de l’initiative individuelle,
- rechercher la souffrance comme seule manière d’éprouver du plaisir ,
- perdre son instinct de défense contre les agressions extérieures ,
- adhérer aux pires idéologies justificatrices de la violence (faire du “mal” au nom d’un “bien” supérieur, ce “bien” passant avant le respect dû à tout être humain),
- faire naître des désirs de substituts au bonheur : avoir, pouvoir, biens matériels, paraître.
C’est précisément quand un enfant subit des violences éducatives même dites “ordinaires” qu’il finit par intégrer cette violence physique et affective dans son répertoire de comportements normaux. A l’inverse, quand un enfant est reçu avec empathie, tendresse et douceur par des parents qui répondent à ses besoins, ce même enfant intègre l’empathie, la tendresse et la douceur à son répertoire de comportements normaux (tout en gardant en tête que le cerveau des enfants est immature, que la colère est une émotion saine à accueillir et que les comportements enfantins d’agressivité ne sont pas synonymes de violence mais de manque de régulation de l’impulsivité en lien avec leur immaturité).
L’accompagnement respectueux et bientraitant des enfants est éminemment exigeant… c’est pourquoi l’éducation positive est parfois accusée de culpabilisation parentale.
Je préfère parler d’éducation émotionnelle que d’éducation positive. Le concept de co-éducation émotionnelle (que je développe dans mon livre paru aux éditions Hatier en 2020) rend compte de l’exigence de l’accompagnement respectueux et bientraitant. Il ne s’agit pas d’abdiquer nos besoins et limites personnels, mais précisément de les prendre en compte sans passer par des jeux de pouvoir ou de domination. Jesper Juul, thérapeute danois, nous dit qu’il faut pouvoir dire non à nos enfants pour pouvoir dire oui à notre intégrité de parents. Nous pouvons prendre le temps de passer nos croyances éducatives et nos principes rigides au tamis du sens (par exemple : est-ce que mon attente est adaptée à ce que mon enfant est capable de faire d’un point de vue moteur ?).
On ne s’engage pas dans une démarche d’éducation bientraitante par peur du conflit en maquillant la peur de dire non en « bienveillance ». Il n’est pas question de se montrer« zen » mais d’être des humains créatifs, aussi conscients que possible de ce qui se joue en eux, qui incarnent ce qu’ils disent sans jouer un rôle de parent éducateur ou de parent gentil. Jesper Juul nous invite à « dire non en ayant la conscience tranquille » sans passer par la violence pour autant : affirmer des « non » personnels en fonction de l’âge des enfants, des circonstances, de notre propre niveau de fatigue et, surtout, à partir de ce que nous ressentons réellement à l’intérieur. Nous devons nous préparer à accueillir la frustration et la colère de l’enfant quand nous disons non (ou alors serions-nous prêt à changer d’avis et à laisser un enfant boire de la Javel s’il fait une « crise » pour avoir la bouteille?). En parallèle, nous pouvons demeurer ouverts et demander un temps de réflexion si la demande de l’enfant nous met mal à l’aise. Nous pouvons nous tenir prêts à entendre les arguments de l’enfant. Parfois, nous serons amenés à changer d’avis, parfois non, mais le point à garder en tête est le concept d’ «équidignité » cher à Jesper Juul, c’est-à-dire prendre les besoins des enfants comme des parents au sérieux.
……………………………………………………………….
Pour aller plus loin, la lecture de mon livre vous donnera des pistes pour raisonner autrement face aux comportements des enfants qui nous mettent en difficulté (avant de chercher à plaquer des astuces et conseils au risque de constater que “l’éducation positive, ça ne marche pas”). Il est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
Commander La coéducation émotionnelle sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac