Les 8 principes de la pédagogie noire selon Alice Miller à connaître pour briser le cercle de la violence éducative
Dans son livre C’est pour ton bien : Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, Alice Miller démontre que le mépris et la persécution des enfants, la répression de leur élan vital et de leur créativité, ainsi que la négation de la sensibilité des enfants comme des adultes caractérisent l’éducation traditionnelle dont l’apogée fut atteinte à la fin du XIX°/ début XX°. Alice Miller utilise les termes de “pédagogie noire” pour désigner l’éducation qui a pour but de briser la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant (“il faut bien les mater”, “il faut bien leur montrer qui est le chef”). Elle la dénonce en tant que racine de la violence sociétale et connaître la pédagogie noire aide à briser le cercle de la violence éducative. Cette pédagogie noire repose sur 8 principes :
1. Les adultes sont les maîtres de l’enfant encore dépendant
Les enfants exécutent des ordres non pas parce qu’ils sont justes, mais parce que ce sont des ordres émanant de la “hiérarchie”.
2. Les adultes tranchent le bien et le mal comme le feraient des dieux tout puissants
3. La colère des adultes est le produit de leurs propres conflits intérieurs (bien qu’ils n’en soient pas conscient et/ou ne veulent pas le reconnaître)
4. Les adultes rendent les enfants responsables de cette colère
5. Les parents ont besoin d’être protégés
Il ne faut donc pas “céder” aux besoins des enfants sous peine de se faire avoir, de se faire “bouffer” pour reprendre des termes courants.
6. Les sentiments vifs qu’éprouve l’enfant pour son maître constituent un danger
La pédagogie noire repose sur la répression et la négation des sentiments quels qu’ils soient. Il ne faut pas montrer trop d’amour sous peine de passer pour un être mièvre, il ne faut pas non plus exprimer de colère.
La colère est interdite et l’opposition aux parents est réprimée par différents moyens comme le mensonge, l’humiliation ou encore les coups. Pourtant, les enfants qui ont eu la possibilité de réagir aux souffrances, aux vexations et aux échecs qu’ils rencontraient (c’est-à-dire par la colère) conservent dans leur maturité cette aptitude à réagir de façon adéquate. Adultes, ils n’éprouvent pas le besoin de sauter à la gorge des autres quand on leur fait du mal.
Je vous propose de compléter la lecture avec cet article : 18 pistes pour accompagner les colères des enfants avec bienveillance
7. Il faut le plus tôt ôter à l’enfant sa volonté
Les moyens de l’oppression sont : les pièges, les mensonges, la manipulation, l’intimidation, la privation d’amour, la honte, l’isolement, l’humiliation, le mépris, la moquerie jusqu’à l’utilisation de la violence. Le ridicule et l’humiliation peuvent tout autant blesser un enfant que des coups.
Je vous propose de consulter ces articles pour des alternatives à ces habitudes éducatives :
7 alternatives au coin et à l’isolement des enfants
8. Tout cela doit se faire très tôt de manière à ce que l’enfant ne s’aperçoive de rien et ne puisse trahir l’adulte.
Pour Alice Miller, cette pédagogie noire (ou éducation traditionnelle) repose plus sur des rapports de pouvoir que des rapports de respect et d’amour.
Quelles sont les répercussions de cette pédagogie noire aujourd’hui ?
Alice Miller admet dans son livre que les parents ont changé depuis (son livre a été écrit en 1984).
L’obéissance, la contrainte, la dureté et l’insensibilité ne passent plus pour des valeurs absolues. Mais la réalisation de ces nouveaux idéaux est souvent entravée par la nécessité de maintenir refoulée la souffrance de sa propre enfance, ce qui conduit à un manque d’empathie. – Alice Miller
Le manque d’empathie qui caractérisent certains adultes ayant souffert d’une enfance violente les empêche de s’ouvrir à la souffrance des autres (et notamment à celle des enfants fessés, punis, humiliés). Alice Miller écrit que certains adultes qui ont eux-mêmes été victimes d’une éducation traditionnelle peuvent être capables respecter l’enfant et accueillir ses émotions, même si ce n’est pas la majorité. Cela est possible à partir du moment où ces personnes ont ouvert les yeux sur leurs souffrances d’enfants et ont pu trouver du soutien auprès de témoins lucides et éclairés capables de compatir à ces souffrances sans les nier ou les minimiser. Alice Miller reconnaît quoiqu’il en soit qu’il sera difficile de se débarrasser en l’espace d’une ou deux générations des habitudes éducatives de la pédagogie noire ancrées dans nos sociétés depuis des siècles.
Par ailleurs, les enfants éduqués selon les principes de la pédagogie noire ont tendance à développer une vision négative d’eux-mêmes. Ils peuvent se décrire comme des enfants “bêtes” et “vilains”, “que personne n’aime” et ont du mal à s’avouer fiers de quelque chose qu’ils réussissent. Ils ont plus peur que les autres d’entreprendre de nouvelles choses par peur de mal faire ou encore par honte. Ils deviendront alors des adultes peu sûrs d’eux mêmes.
Comment briser le cercle de la violence éducative ?
Comprendre le mécanisme de la mémoire traumatique
Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique, définit la mémoire traumatique comme “une mémoire émotionnelle non intégrée qui, au moindre lien rappelant les violences et leurs contextes, les fera revivre à l’identique à l’enfant victime, avec les mêmes émotions (le stress, la peur, la détresse, le désespoir, la honte, la culpabilité…) et les mêmes perceptions (douleurs et les cris, les phrases assassines, la haine et la colère du parent violent…), tandis que l’adulte violent revivra également la scène violente avec ses actes et ses émotions, ainsi que les réactions de l’enfant.”
Dans son livre Châtiments corporels et violences éducatives : Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses (éditions Dunod), Muriel Salmona explique que la mémoire traumatique est comme une boîte noire contenant un magma indifférencié qui mélange ce qui provient de la victime avec ce qui provient de l’agresseur, sans attribution distincte.
Par exemple, si un parent a subi, quand il était nourrisson, des violences de son père qui l’a secoué en hurlant alors qu’il pleurait, les pleurs de son enfant vont réactiver sa mémoire traumatique en se superposant aux pleurs et à la terreur du nourrisson qu’il était et aux hurlements et à la colère de son père.
Par la “mauvaise magie de la mémoire traumatique de l’adulte” (expression de Muriel Salmona), qui remet en scène les violences subies dans l’enfance, accompagnées des discours passés de ses propres parents, tout ce que fait un enfant va être perçu comme venant d’une mauvaise intention, pour énerver l’adulte, pour lui pourrir la vie.
Les parents violents, au lieu de mettre en place des conduites d’évitement ou des conduites dissociantes envers eux-mêmes, vont, pour échapper à leur mémoire traumatique qui les envahit et qui leur fait revivre les situations violentes de leur enfance, s’en prendre à leur partenaire ou à leurs enfants qui ont déclenché leur mémoire traumatique, en considérant que leurs conjoints, leurs enfants les agressent et sont responsables de leur état. – Muriel Salmona
Connaître le système d’attachement chez les humains (et ses répercussions à tout âge)
Quand le système d’attachement est activé par une menace ou un besoin insatisfait, le bébé signale son besoin impérieux de protection en réclamant la proximité de ses parents par des comportements d’attachement. Ces comportements visent à attirer l’attention des parents, pour les rapprocher (régulation de la proximité), et à obtenir une réponse satisfaisante à son besoin d’attachement (régulation émotionnelle). Ces comportements d’attachement évoluent en fonction de l’âge de l’enfant : comportement de succion, agrippement, poursuite oculaire, petits cris, se tourner vers ses parents, pleurer, crier, vocaliser, gazouiller, sourire, dire « maman ».
C’est à travers les soins quotidiens qu’ils prodiguent au bébé que les parents deviennent les figures d’attachement de l’enfant. Selon les expériences vécues réellement pendant sa petite enfance, un humain se construit une vision du monde et de la relation d’aide qu’il va progressivement intérioriser sous forme de représentations des relations humaines. Quand les parents répondent avec bienveillance et attention aux besoins d’attachement des enfants, ceux-ci développent un attachement sécure; quand les réactions des parents sont inadaptées (parents moins proches, moins accessibles, moins sensibles, moins attentifs), l’enfant peut en venir à développer des stratégies dites insécures (dans une optique d’adaptation et de survie).
Bowlby affirmant dès 1951 qu’il existe un lien entre attachement et santé mentale. La plupart des études ont démontré une surreprésentation des attachements insécures dans les populations cliniques.
Il existe quatre styles d’attachement à l’âge adulte :
- Sécure : modèle de soi positif, modèle des autres positif
- Détaché : modèle de soi positif, modèle des autres négatif
- Préoccupé : modèle de soi négatif, modèle des autres positif
- Craintif : modèle de soi négatif, modèle des autres négatif
Les deux autrices rappellent qu’il est admis que toutes les expériences d’attachement vécues depuis la naissance forgent peu à peu un style d’attachement qui s’inscrit progressivement dans le fonctionnement de la personnalité.
J’ai résumé dans ce tableau les différents styles d’attachement et la manière dont ils influencent la vie dans de nombreux domaines : la réaction face au stress, à la perte, la représentation de la relation d’aide, le développement de l’empathie, les relations de couple, la parentalité, le vieillissement, la santé physique et mentale, l’adaptabilité et l’insertion sociale.
Amorcer un travail sur soi
La lecture de livres, une relation de couple solide, la rencontre de personnes lucides et éclairées sur les souffrances liées aux violences éducatives ordinaires ou encore une psychothérapie peuvent nous aider en tant qu’adultes à comprendre :
- d’où vient la colère qui nous envahit parfois face à nos enfant,
- quelles sont les causes de l’exaspération que nous ressentons face à certains comportements des enfants,
- pourquoi nous ne les autorisons pas à exprimer leurs émotions.
Les gifles et autres fessées que nos enfants subissent ont davantage pour origine nos blessures d’enfant qu’une quelconque bêtise commise. Les comportements non bienveillants que nous pouvons adopter avec nos enfants ne sont pas innocents : ils disent nos propres blessures. – Isabelle Filliozat
Pour aller plus loin : Utiliser nos réactions disproportionnées face à nos enfants pour travailler sur nos blessures d’enfance
Lire et s’informer sur les méfaits de la violence éducative
Nous ne pouvons pas faire autrement si nous n’apprenons pas à raisonner autrement. Les livres d’Alice Miller nous aident à comprendre comment et pourquoi la violence s’est infiltrée dans nos relations avec l’enfant dès sa naissance et en quoi cette violence éducative est nocive. Les violences éducatives dites “ordinaires” ont des conséquences à court et long terme, sur un plan à la fois individuel et collectif.
Adopter des outils pour faire autrement
Quand on a réussi à penser autrement, on peut alors passer à l’étape “faire autrement”.
3 conseils lecture pour briser le cercle de la violence éducative
C’est pour ton bien : Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant d’Alice Miller (éditions Flammarion). Disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce
Pour une enfance heureuse : repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau de Catherine Gueguen (éditions Pocket). Disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce.
Il n’y a pas de parent parfait : l’histoire de nos enfants commence par la nôtre d’Isabelle Filliozat (éditions Poche Marabout). Disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce.