Les choix proposés aux enfants : bienveillance ou manipulation ?
Je vous propose aujourd’hui un article invité rédigé par Evelyne Mester, auteure du livre Mon enfant, mon égal (éditions Le Hêtre Myriadis). Evelyne est certifiée en coaching, formatrice au Jeu de la vie, formée à la Communication NonViolente (International Intensive Training CNVC), conférencière et mère de quatre enfants.
Evelyne Mester propose une réflexion sur un outil bien connu de la parentalité positive : les faux choix. Elle formule des constats, pose des questions, esquisses des solutions, insiste sur les droits des enfants et rappelle qu’être un parent bienveillant, ce n’est pas être un paillasson ou zen. Ce texte peut bousculer mais fait appel à notre intelligence (plutôt que proposer des recettes ou une méthode toute faite).
Les “faux” choix : un outil de parentalité positive questionnable
« -Crikalou, mon p’tit Poulet d’Amour, allez hop on se prépare, tu sais on va chez Mamie pour son anniversaire aujourd’hui, va vite mettre une belle chemise !
-Nan ! Je veux mettre mon costume de shérif et mes supers baskets qui clignotent !
-Tss tss tss… Je sais que tu aimerais beaucoup mais c’est pas possible mon chéri, on se met chic pour un anniversaire ! On s’est faits tout beaux, nous, regarde. Allez viens on va choisir quelque chose ensemble : voyons voir ce qu’il y a dans cette Armoire aux Trésors… Ohhhhhhh une magnifique chemise toute blanche !… Et regarde ici, une sublime chemise à petits motifs bleus, tu fais si grand quand tu la portes !… Alors, tu veux mettre la chemise blanche ou la chemise bleue ?
-La bleue ! »
Et voici une crise évitée. Un parent soulagé et conforté dans ses capacités de parent. Et un enfant respecté.
Respecté ?
Comment en est-il arrivé à changer d’avis aussi vite ? Qu’est devenu son choix vestimentaire premier ?
Magique et sans violence, me direz-vous, donc où est le problème ?
En effet il n’y en a pas si nous considérons qu’en tant que parents notre rôle est d’apprendre à nos enfants comment se comporter. Mais je vous propose un autre angle de vue.
En effet, Maman n’est pas violente. Elle pratique une parentalité dite « positive », sait qu’il est bon de légitimer les émotions de son enfant tout en lui expliquant les raisons d’un refus, de valoriser ses comportements « appropriés », connaît les stades de développement de l’enfant ce qui lui permet d’adapter ses exigences, et utilise des astuces bien efficaces pour que son fils obéisse sans avoir besoin d’élever la voix ni de punir.
Comme par exemple la méthode du « faux choix » sur la couleur de la chemise, qui permettra que son enfant se sente libre… de mettre malgré tout une chemise car Maman l’a décidé.
Respect de l’enfant et choix limité imposé : compatibles ?
J’appelle ça « la main de fer dans un gant de velours ». Autrefois l’enfant serait parti en boudant chez Mamie, dans sa pimpante chemise (de la couleur choisie par Maman), les yeux rougis et des traces de doigts sur sa joue brûlante, qui se seront effacées le temps de faire le trajet (en tout cas les parents l’espèrent).
Crikalou, lui, à l’étroit dans ses chaussures de ville, regarde depuis son siège auto avec regrets sa paire de baskets posée devant la porte, mais il savoure déjà le compliment de Mamie à son arrivée :
« -Ooooh mais que tu fais teeeelllllllement grand dans cette tenue !
-C’est moi qui ai choisi ma chemise, Mamie ! »
Que demande le peuple ?
Il n’aura pas su ce qui le poussait tant à mettre son costume de shérif, et pourquoi c’était si important pour lui. Il aura perdu l’occasion, une fois de plus, de se découvrir lui-même sur ses envies, ses goûts, ses émotions, ce qui le fait vibrer. Perdu une occasion de savoir qui il est.
Il sait déjà depuis longtemps par contre que quelqu’un qui a le statut « d’adulte » sait mieux que lui. Toujours. Et que même s’il se sent écouté et pris en compte, son parent prend la décision finale. Toujours.
Oh j’exagère, me direz-vous, ce n’est qu’une petite situation de rien, et il n’était pas si mécontent finalement !
Quelques semaines plus tard, Maman retrouvera peut-être le costume en boule au fond du placard : « Ben alors mon Crika-Loulou, tu ne joues plus au shérif, tu aimais tant ça ? »
Ainsi, insidieusement, « respectueusement », l’enfant fera « notre » bonhomme de chemin, au lieu de faire « son » bonhomme de chemin.
Et ainsi continue la vie.
La négation des émotions et besoins des enfants : des répercussions individuelles et collectives à long terme
Il finira par entrer tout comme ses parents dans les attentes sociétales qu’on lui aura transmises, sera plus ou moins dans le rang et mettra tout en œuvre pour faire comme tout le monde.
Et un jour peut-être, vers ses 40 ans, il se dira : « Je suis là en confinement forcé avec ma famille pour cause de Coronavirus, je devrais être heureux d’avoir tout mon temps, moi qui cours partout tous les jours au boulot, et voilà que je déprime… Je ne suis bien nulle part finalement. A quoi bon tout ça, je sais pas quoi faire de ma vie, je sais même pas ce dont j’ai envie. »
Bien sûr sa déception pour tenue-de-shérif-non-portée-dans-le-courant-de-l’enfance ne l’aura pas traumatisé (cela dit il est devenu policier NDLR), mais il y aura eu aussi : « Tu sais je comprends que tu n’aies pas sommeil, mais il faut dormir maintenant, demain tu te lèves tôt ! », et aussi : « Tu n’as pas faim mais si tu ne manges pas tu n’auras pas de force pour ton combat de sumos tout à l’heure, tu as envie de le gagner ou pas ?», et puis encore : « Oui je vois bien que tu adores ton jeu vidéo mais c’est prouvé par la science que tu vas perdre des neurones, je dois veiller sur ta santé ». Maman veillait sur lui. Maman décidait pour lui. Pour prendre soin de lui, elle en était persuadée. Parce qu’elle savait mieux, lui n’était qu’un enfant.
J’ai trouvé plusieurs fois sur Internet une phrase qui m’a interpelée : « si l’enfant ne fait pas ce qu’on attend de lui, c’est peut-être parce que ce qu’on attend de lui n’est pas adapté à son âge, ou que la manière dont on le lui demande n’est pas appropriée. »
Le présupposé caché derrière me paraît tout de même assez effrayant : l’enfant est-il programmé à la naissance pour obéir, et s’il ne le fait pas, malgré un parent zélé, il serait donc « dysfonctionnant » ?
Je dirais plutôt : si l’enfant ne fait pas ce qu’on attend de lui, c’est peut-être parce que ce qu’on attend de lui ne correspond pas à ce qu’il souhaite faire !
Bienveillance parentale : et si on choisissait plutôt d’être vrais ?
Pour des interactions humaines qui respectent l’intégrité de tous, adultes comme enfants
Si on arrêtait d’attendre quoi que ce soit de lui ? Et si nous cessions de soumettre nos enfants au bon vouloir de l’adulte sous prétexte de responsabilité légale et d’éducation, de la même façon que le mari le faisait autrefois sur son épouse ? Ou par croyance qu’ils ne sont pas « capables », tout comme on le disait des femmes, à qui on refusait le droit de vote et la possession d’un compte bancaire il n’y a encore pas si longtemps ?
Pour moi, la volonté d’éduquer l’enfant ressemble parfois à un aveu à demi-mot de nos peurs et de nos incompétences :
- Osons-nous lui laisser sa responsabilité sur ce qu’il décide de vivre et d’expérimenter ?
- Souhaitons-nous l’accueillir en confiance tel qu’il est y-compris avec ses côtés sombres ?
- Savons-nous protéger nos propres besoins et notre propre intégrité ?
- Désirons-nous respecter sa façon à lui de voir le monde ?
Il est tout à fait possible de fonctionner en famille sans que personne n’actionne les fils de marionnette de personne en décidant d’être soi-même, authentique, vrai, simple, transparent et en cessant de vouloir faire de notre enfant ce que nous voulons qu’il soit.
Si nous choisissions enfin de prendre la responsabilité de ce que nous ressentons, et de nous engager à le communiquer clairement, en arrêtant de nous cacher derrière ce qu’on imagine devoir dire et être sous prétexte que « nous sommes l’exemple » ?
Prendre au sérieux les enfants comme les adultes : axe central des relations familiales
Si nous mettions le problème rencontré au centre, dans « l’espace commun », pour que des solutions créatives naissent de l’intelligence collective plutôt que d’imposer même en douceur notre solution à nous ?
« –Moi je suis embarrassée si on n’y va pas en tenue élégante, je crains de choquer ta grand-mère, j’ai peur qu’elle me juge sur la façon de m’occuper de toi, et je ne me sens pas capable de supporter les réflexions de Tantine Berthe… Comment on pourrait faire, Crikalou, t’aurais une idée toi ?
–On peut emporter mon costume dans le sac et je le mettrai après ? Attends, je sais : je mets mes habits chics dessous, et je fais comme Hulk, j’arrache tout et hop ça fait la surprise à Mamie ? Oui oui ouiiiiiiiiiiii !
–T’es content comme ça ? Moi ça me va aussi. »
La crainte du jugement des autres sur soi, le parent, est à mon avis parmi les plus tenaces déclencheurs de violences dites « douces » (mon Dieu quelle appellation !) intrafamiliales, en cherchant à être un « bon parent » aux yeux de notre entourage. Et souvent aussi à nos propres yeux, avec cet appel persistant à jouer un « rôle de parent » plutôt que d’être simplement soi : se forcer à être plus patient, s’évertuer à être plus calme, tenter d’être plus à l’écoute, faire un effort pour proposer plus d’activités ludiques avec les enfants, leur lire plus d’histoires, cuisiner maison, tout cela en cachant bien nos moments de fatigue, ou notre agacement, notre colère, en mettant de côté notre besoin de solitude parfois, ou même souvent.
Crikalou, lui, aurait pu aussi décider d’assumer sa propre responsabilité (et les conséquences) sur le fait de choquer sa mamie, de recevoir les réflexions, de faire tache sur la photo de famille, et même de décevoir sa mère. Cela lui appartient. Et il arrive aussi qu’en comprenant précisément notre prochain qui a été transparent dans sa communication sur ce qui se passe en lui, on souhaite collaborer pour trouver une solution gagnant-gagnant.
Je crois qu’il est temps d’aller plus loin, d’ouvrir les yeux sur le fait que les enfants ne sont ni à modeler à notre image, ni à manipuler de manière « bienveillante » pour que nous soyons obéis, ni à éduquer, ni à formater pour vivre en société, même « pour leur bien ». J’ai juste envie de les regarder vivre, et de les accompagner là où ils le souhaitent et s’ils le souhaitent. Parce que quel que soit leur sexe, leur couleur, leur provenance sociale, les êtres humains sont égaux en droits et en considération. « Nos » enfants ne nous appartiennent pas, ils s’appartiennent à eux-mêmes.
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Le livre d’Évelyne Mester Mon enfant, mon égal (éditions Le Hêtre Myriadis) est disponible en librairie ou sur internet (site de l’éditeur).
>>> Un extrait à lire à ce lien
Commander Mon enfant mon égal sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac (et en format ebook)
Pour aller plus loin,
- la chaîne YouTube d’Evelyne Mester avec des vidéos pratiques (ex : Au secours, mon enfant teste les limites ! ou Faut-il que les parents soient d’accord sur l’éducation ?),
- le blog d’Evelyne Mester qui propose de nombreux textes de réflexion autour du fonctionnement collaboratif en famille : mon-enfant-mon-egal.com (les écrans, les règles et les limites, le respect, la colère, les relations de couple...).