Les conséquences traumatiques des violences (y compris éducatives) : comprendre la sidération, la dissociation et la mémoire traumatique

Muriel Salmona, spécialiste du traumatisme et de la victimologie, expose les conséquences psycho-traumatiques des violences. Elle rappelle que les violences sont traumatisantes et génèrent un ensemble de mécanismes de sauvegarde qui sont à l’origine de la presque totalité des conséquences psychotraumatiques de ces violences. Du fait de mécanisme de sauvegarde activé par le corps et le cerveau, la plupart des personnes victimes de violence ne sont pas en capacité de se défendre.

La sidération : les fonctions supérieures sont bloquées

Face à des violences traumatisantes et incompréhensibles, qui n’ont aucun sens, la personne qui en est victime ne peut pas intégrer ces violences dans une histoire sensée et ces violences font comme effraction dans sa capacité de penser. Il y a comme une paralysie des fonctions supérieures : tout ce qui devrait permettre d’agir est bloqué et la victime se retrouve dans une situation d’immobilisme psychique et moteur (incapacité à crier, à se défendre, à courir, à appeler à l’aide).

Plus de 70% des personnes qui subissent des violences sexuelles connaissent cet état de sidération et cet état est plus susceptible d’apparaître quand la situation est impensable (quand un proche est l’agresseur : parent, conjoint…).

C’est pourtant précisément ce qui est reproché aux victimes (le fait de ne pas avoir crié, de ne pas s’être débattues…). Plus l’agresseur est terrorisant (propos et actes incohérents, menaces verbales ou physiques notamment), plus la sidération est importante.

C’est à partir de cette sidération que va se mettre en place une cascade de conséquences sur la santé mentale et physique de la victime à long terme.

La dissociation traumatique

Les personnes en proie à la sidération sont comme paralysées et ne peuvent plus moduler leur réponse émotionnelle. A partir du moment où l’amygdale (siège des émotions, qui sécrète de l’adrénaline et du cortisol) s’allume dans le cerveau mais qu’il n’y a pas de réponse (du fait de la sidération), l’amygdale envoie plus d’adrénaline et de cortisol dans l’organisme pour le pousser à réagir dans une optique de survie.

Le problème est que l’organisme se retrouve avec des doses d’adrénaline et de cortisol qui représente un danger vital (on peut avoir des atteintes neurologiques et même mourir de stress extrême).

Pour assurer la survie, le cerveau disjoncte (protection du coeur et du cerveau). Cette disjonction passe par la sécrétion de morphine et kétamine qui anesthésie la personne physiquement et émotionnellement. La personne ne ressent plus ni douleur ni émotion, entraînant un phénomène de dépersonnalisation. Tout se passe comme si la personne regardait la scène dans laquelle elle est impliquée de l’extérieur : c’est précisément le phénomène de dissociation traumatique. Dès lors, l’agresseur peut imposer à sa victime tout ce qu’il veut, d’autant plus que le seuil de tolérance à la douleur de la victime augmente (moins de douleur étant ressentie en lien avec la sécrétion de morphine par l’organisme).

Cela explique pourquoi une victime peut rester aussi longtemps sans parler, parce qu’elle est véritablement anesthésiée. Tant que la victime est en contact avec l’agresseur, elle reste dissociée parce que la peur est présente (la dissociation peut donc durer des jours, des semaines et même des mois dans le cas de violence intraconjugale ou sur enfants). Les victimes dissociées tolèrent alors des situations intolérables.

De plus, les victimes dissociées ne ressentent plus d’émotions et les personnes de l’entourage ont du mal à se connecter à ce qu’elles vivent du fait même de cette absence d’émotion (si pas d’émotion transmise, pas d’empathie stimulée et pas/ peu d’inquiétude de la part des proches).

Par ailleurs, avoir connu une fois la dissociation traumatique une fois dans sa vie expose au fait de revivre à nouveau des violences parce qu’une personne anesthésiée est une cible facile.

La mémoire traumatique : une mémoire qui n’a pas été intégrée en mémoire autobiographique

En parallèle de la dissociation traumatique se produit une interruption de la mémoire qui entraîne la mise en place dans le cerveau d’une mémoire qui n’est pas contextualisée dans le temps et dans l’espace. Cette mémoire traumatique va faire revivre à la personne les pires événements, sans qu’elle comprenne pourquoi elle est envahie de sensations atroces (attaque de panique, angoisse, phrases de l’agresseur réentendues comme une petite voix intérieure…).

La mémoire traumatique est un enfer : tant que la personne est dissociée, elle ne ressent pas la douleur mais la mémoire traumatique explose dans la personne n’est plus dissociée (ex : quand la personne est protégée, n’est plus en contact avec son agresseur).

On ne peut pas vivre avec une mémoire traumatique car cela veut dire qu’on a comme un terrain miné qui peut s’allumer aussitôt qu’un lien, une odeur, un bruit ou n’importe quoi qui réveille la mémoire traumatique. La personne va alors mettre en place des stratégies évitantes (comme ne plus sortir de chez elles) ou des pratiques dissociantes pour ne pas vivre ces états atroces (alcool, drogues, mises en danger pour faire monter le taux d’adrénaline et de cortisol afin de faire disjoncter le cerveau et retrouver un état dissocié).

Les personnes en proie à leur mémoire traumatique sont par ailleurs colonisées par la petite voix de leur agresseur et peuvent réentendre les phrases prononcées par ce dernier (ex : tu en nul, tu ne vaux rien, tu as mérité ce qui t’arrive…). Les victimes peuvent avoir l’impression de devenir folles (les douleurs revenant à l’identique lorsque la mémoire traumatique est réactivée et la petite voix pouvant paraître réelle).

Plus les violences sont commises à un jeune âge, plus les victimes sont impactées. L’amygdale est active dès le troisième trimestre de grossesse donc les bébés peuvent être impactés par la sidération, la dissociation et la mise en place d’une mémoire traumatique.

Toutefois, cette mémoire traumatique peut être traitée et intégrée dans la mémoire autobiographique. L’accompagnement thérapeutique vise à faire en sorte que la personne ne revive pas à l’identique son traumatisme.

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Pour aller plus loin et comprendre le lien entre violence éducative (y compris dite ordinaire) et la mise en place de la mémoire traumatique, je vous recommande la lecture du livre de Muriel Salmona Châtiments corporels et violences éducatives -Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses (éditions Dunod)

Pour aller plus loin : MIPROF – Paroles d’experts – Muriel Salmona