Les personnes narcissiques ne sont pas toutes perverses.

Dans son ouvrage Les Narcisse, Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychothérapeute spécialiste du harcèlement moral, estime qu’il existe 3 types de narcissismes pathologiques (ce qui sous-entend qu’il existe du narcissisme non pathologique).

Il existe un narcissisme sain qui est un prérequis à un développement affectif harmonieux et qui permet de porter un regard bienveillant sur soi-même afin de s’autoriser à développer ses talents. Un narcissisme sain implique de connaître ses ressources intérieures, mais aussi d’accepter sa vulnérabilité et ses failles. – Marie-France Hirigoyen

Les « Narcisse pathologiques » tels que Marie-France Hirigoyen les entend peuvent ressembler à des personnes présentant de simples traits narcissiques, mais la différence essentielle repose sur leur incapacité à aimer et à respecter l’autre pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il peut leur apporter. Les Narcisse pathologiques sont proprement incapables de se détacher d’eux-mêmes pour s’ouvrir aux autres. Marie-France Hirigoyen remarque que, habituellement, une pathologie psychique se définit par la souffrance ressentie par la personne elle-même, tandis que les troubles de la personnalité narcissique se définissent par l’impact négatif de ce type de personnalité sur autrui. Les Narcisse pathologiques peuvent être des femmes autant que des hommes.

Il y a toujours une grande fragilité qui renvoie à une insuffisance dans la construction du narcissisme. Si les Narcisse sont tellement préoccupés par ce que pensent les autres, c’est qu’ils ont un besoin constant d’être rassurés à travers le regard de l’autre sur leur capacité à être aimés. – Marie-France Hirigoyen

Pour Marie-France Hirigoyen, les 3 narcissismes pathologiques sont :

les Narcisse grandioses,
les Narcisse vulnérables,
les Narcisse pervers.

Leur point commun est qu’ils cherchent tous à « se faire bien voir » pour séduire l’autre afin que celui-ci puisse leur renvoyer une image valorisante.

Les Narcisse grandioses (ou mégalomanes)

Les Narcisse grandioses (ou mégalomanes) sont centrés sur eux-mêmes. Dans un groupe, ils ont besoin d’être le centre de l’attention et ils parlent abondamment de leurs projets « extraordinaires ». Ils ont tendance à commencer leurs phrases par « je » : « J’ai fait ceci, j’ai dit cela. J’ai mal ici, je m’en vais là, j’ai réussi tel truc… »

Comme les Narcisse grandioses sont persuadés de leur supériorité, ils pensent qu’ils sont plus intelligents et plus importants que les autres et qu’ils méritent une place exceptionnelle. En conséquence, ils pensent que tout leur est dû et s’arrogent des privilèges. Par exemple, ils trouvent normal de bénéficier de passe-droits comme de court-circuiter une file d’attente. Quand ils sont employeurs, ils peuvent estimer que leurs collaborateurs n’ont pas besoin d’être rémunérés car ces derniers devraient être flattés de travailler avec eux.

Ils cherchent à se lier à des personnes avec certaine notoriété, car leur estime personnelle se nourrit en miroir de la valeur qu’ils attribuent à ces (micros) célébrités. Il arrive aussi qu’une personne soit idéalisée dans un premier temps, puis méprisée si cette personne ne leur est plus utile.

Sur le plan professionnel, comme ils sont soucieux de plaire et d’être reconnus, les Narcisse grandioses ont tendance à flatter la hiérarchie. Ils savent se montrer charmants et drôles quand il le faut, et leur narcissisme se trouver renforcé par la bonne image d’eux-mêmes qui leur est renvoyée.

Sur le plan amical, les Narcisse mégalomanes ont du mal à comprendre pas que certaines personnes agacées cherchent à les tenir à distance, si bien qu’ils se plaignent de l’ingratitude de ces prétendus amis.

Sur le plan amoureux, les Narcisse grandioses ne s’inscrivent pas dans un rapport de séduction réciproque où chacun est attentif à l’autre, mais dans un rapport de séduction narcissique destinée à fasciner l’autre. Marie-France Hirigoyen écrit que ces personnalités narcissiques ne sont pas capables de tendresse et d’affection, car elles recherchent avant tout de la valorisation. Le ou la partenaire d’un Narcisse grandiose doit l’admirer, le soutenir ou le plaindre, mais ne doit pas s’attendre à recevoir en retour de la considération ou de l’attention. Si le ou la partenaire réclame plus de considération, le Narcisse grandiose ira se faire plaindre et se valoriser en multipliant les aventures extraconjugales.

Ayant une vision très utilitaire des autres, ils sont incapables d’aimer et respecter une personne pour ce qu’elle est, car la relation qu’ils entretiennent ne sert qu’à rehausser leur valeur personnelle. S’ils nouent des relations amicales ou amoureuses, c’est seulement si cela leur permet d’atteindre leurs objectifs ou d’augmenter leur estime d’eux-mêmes. – Marie-France Hirigoyen

Comme aucune réussite ne peut rassurer les Narcisse sur eux-mêmes, ils vivent dans une insécurité qui ne les quitte pas. Ils ont peur de ne pas être à la hauteur de l’image qu’ils souhaitent donner d’eux-mêmes et de perdre la face. Marie-France Hirigoyen affirme que, pour se maintenir à un haut niveau de supériorité, il leur faut séduire continuellement de nouveaux contacts, masquer leurs faiblesses ou défaillances en agitant un rideau de fumée, mentir pour se mettre en valeur. Cela peut les amener à prendre des risques irrationnels ou à déraper dans des comportements violents ou délictueux.

Les Narcisse vulnérables (ou sensitifs)

Marie-France Hirigoyen estime que les Narcisse vulnérables partagent avec les Narcisse grandioses :

des fantasmes de succès,
une insensibilité aux autres,
une conviction de mériter des passe-droits et privilèges,
une dépendance au regard des autres.

La différence est que les Narcisse vulnérables sont souvent anxieux, envieux et parfois dépressifs. Ils se révèlent plutôt discrets et réservés, et peuvent cacher leur « grandiosité » derrière une fausse modestie. Cette fausse modestie se traduit par une séduction de type plaintive, qui peut passer par la culpabilisation afin d’obtenir la considération d’autrui.

Par exemple, un Narcisse vulnérable pourra attribuer ses échecs aux autres qu’il considère comme des ratés ou des moins que rien. Il ne se sent pas responsable de ses erreurs et aura tendance à rejeter l’aide de son entourage car il ne veut rien devoir à personne. Une réussite aura plus de valeur à ses yeux si elle est le fruit de ses uniques efforts et il pourra mieux s’en vanter en disant qu’il s’est fait tout seul.

Derrière une présentation de douceur, d’inhibition et de vulnérabilité, les Narcisse sensitifs sont des personnes scrupuleuses, ambitieuses, mais également extrêmement susceptibles, craignant en permanence qu’on leur manque de respect : elles ont l’impression d’être l’objet de réflexions et de critiques de la part d’autrui, ou d’être insuffisamment considérées. – Marie-France Hirigoyen

Sur le plan professionnel, les Narcisse sensitifs sont très réactifs à ce qu’ils interprètent comme des attaques personnelles, même quand il s’agit de simples remarques ou conseils. Cela peut les amener à se plaindre de manière abusive de subir du harcèlement moral. Pour Marie-France Hirigoyen, les Narcisse sensitifs sont facilement blessés, car ils sont hypersensibles aux réactions d’autrui. Toutefois, leurs réactions sont plus dépressives qu’agressives.

Les Narcisse pervers (les pervers narcissiques ou psychopathes)

La perversion narcissique est un trouble de la personnalité dangereux car il est teinté de perversion morale.

Les pervers narcissiques sont incontestablement narcissiques, mais ils le masquent sous un abord charmeur et socialement conforme. Leur mégalomanie n’étant pas ostensible, ils n’éveillent pas d’emblée la méfiance. Ils se posent comme référents, alors qu’ils n’ont aucun scrupule d’ordre moral. – Marie-France Hirigoyen

Comme les autres types de Narcisse, ils n’éprouvent pas d’empathie. Tandis que les Narcisse grandioses sont tellement centrés sur eux-mêmes qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils blessent les autres, les pervers narcissiques savent qu’ils infligent de la souffrance. Cette souffrance les laisse indifférents, voire les fait jubiler. La perversion consiste dans la jouissance ressentie à l’idée de se valoriser au détriment d’autrui.

Marie-France Hirigoyen résume la notion de perversion narcissique par cette double tendance :

on parle de narcissisme parce que la personne a besoin d’un public,
on parle de perversion parce qu’elle a besoin de proies.

Les Narcisse pervers savent manipuler les autres et les mener à des compromissions préjudiciables. Ils réussissent à repérer les failles de leurs interlocuteurs, sans jamais attaquer frontalement mais plutôt par allusions, intimidations, pressions ou culpabilisation. Marie-France Hirigoyen estime que, contrairement aux Narcisse grandioses qui se placent au-dessus des règles, les pervers narcissiques les transgressent délibérément et avec jouissance. Quand un pervers narcissique sent qu’il est sur le point d’être démasqué, il se pose en victime et ne reconnaît pas ses torts. Il ne présente jamais d’excuse mais va se défendre par des mécanismes de projection pour faire porter à autrui tout ce qu’il refuse de voir en lui-même.

Les pervers narcissiques au contraire sont des stratèges qui savent exactement ce qu’ils font et qui maîtrisent tout dans les moindres détails. Ils ne commettent pas d’actes antisociaux en tant que tels, car ils sont suffisamment habiles pour se tenir à la limite de ce qui pourrait être sanctionnable juridiquement : ce sont des calculateurs. – Marie-France Hirigoyen

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Source : Les Narcisse : ils ont pris le pouvoir de Marie-France Hirigoyen (éditions La Découverte). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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