Des femmes “invisibilisées” : un manque de modèles pour les filles
Dans le livre Le deuxième sexe II, Simone de Beauvoir écrit :
Tout contribue à confirmer aux yeux de la fillette cette hiérarchie [entre hommes et femmes]. Sa culture historique, littéraire, les chansons, les légendes dont on la berce sont une exaltation de l’homme. Ce sont les hommes qui ont fait la Grèce, l’Empire romain, la France et toutes les nations, qui ont découvert la terre et inventé les instruments permettant de l’exploiter, qui l’ont gouvernée, qui l’ont peuplée de statues, de tableaux, de livres. La littérature enfantine, mythologie, contes, récits, reflète les mythes créés […] par les hommes.
Mais le pire est peut-être que cette assertion est en partie fausse. Quand on creuse un peu, on se rend compte que de nombreuses femmes ont été à l’origine (ou ont contribué à) de grandes découvertes scientifiques… simplement, l’Histoire a occulté leurs noms. On pourrait citer entre autres Ada Lovelace (qui aurait la première imaginé un ordinateur en 1843), Mary Anning (paléontologue et géologue britannique) ou encore Elisabeth Vigée-Lebrun (artiste peintre française considérée comme l’une des meilleures portraitistes du XIX°).
Simone de Beauvoir remarque par ailleurs que l’homme est le héros privilégié dans presque la totalité des récits contemporains comme dans les légendes anciennes.
Tous les événements importants arrivent par les hommes. La réalité confirme ces romans et ces légendes.
Bien que ce soit moins le cas de nos jours (l’ouvrage Le deuxième sexe II a été écrit en 1949 et, à sa lecture, on ne peut que constater les progrès faits ces dernières décennies en matière d’égalité des droits), on constate qu’aujourd’hui encore les hommes dominent en grande partie le monde. Il suffit de lire les journaux, d’écouter les conversations ou de regarder les informations pour s’en convaincre.
Simone de Beauvoir nous prévenait pourtant déjà au siècle dernier : Prenons garde que notre manque d’imagination dépeuple toujours l’avenir.
Par ailleurs, une étude récente abonde dans ce sens : dans son édition de février 2017, la revue américaine Science a publié une étude selon laquelle les stéréotypes genrés s’inscrivent dès le plus jeune âge dans le psychisme des enfants. A partir de 6 ans, la majorité des filles se reconnaissent beaucoup moins que les garçons dans la catégorie des personnes “très intelligentes”.
“En tant que communauté, nous associons un haut niveau de compétences intellectuelles aux hommes plutôt qu’aux femmes, et notre recherche suggère que cette association est intégrée par les enfants dès six ou sept ans“, conclut Andrei Cimpian, professeur associé au département de psychologie à l’Université de New York, co-auteur du travail de recherche menée auprès de 400 écoliers entre 5 et 7 ans, nés pour la plupart au sein de la classe moyenne, et pour les trois quarts dans des familles blanches (les études par groupe d’origine sont légion outre-Atlantique). source
Une culture qui pousse au renoncement et à la passivité chez les filles
Simone de Beauvoir écrit :
[La fillette] apprend que, pour être heureuse, il faut être aimée; pour être aimée, il faut attendre l’amour. La femme, c’est la Belle au bois dormant, Peau d’Âne, Cendrillon, Blanche Neige, celle qui reçoit et subit. Dans les chansons, dans les contes, on voit le jeune homme partir aventureusement à la recherche de la femme; il pourfend les dragons, il combat des géants; elle est enfermée dans une tour, un palais, un jardin, une caverne, enchaînée à un rocher, captive, endormie : elle attend.
Un jour mon prince viendra… les refrains populaires lui insufflent des rêves de patience et d’espoir. La suprême nécessité pour la femme, c’est de charmer le cœur masculin; même intrépides, aventureuses, c’est la récompense à laquelle toutes les héroïnes aspirent; et le plus souvent il ne leur est demandé d’autre vertu que leur beauté. On comprend que le souci de son apparence physique puisse devenir pour la fillette une véritable obsession; princesse ou bergère, il faut toujours être jolie pour conquérir l’amour et le bonheur; la laideur est cruellement associée à la méchanceté et on ne sait trop quand on voit les malheurs qui fondent sur les laides si ce sont leurs crimes ou leur disgrâce que le destin punit.
Cette réflexion de Simone de Beauvoir me fait penser à celle de Hayao Miyazki, cinéaste japonais et réalisateur de nombreux longs métrages animés, qui prend l’exact opposé :
Beaucoup de mes films présentent des femmes meneuses, fortes, qui se suffisent à elles-mêmes, qui n’hésitent pas à se battre pour les valeurs qui leur tiennent à coeur. Elles ont besoin d’un ami ou d’un soutien, mais jamais d’un sauveur.
Je suis septique à l’idée selon laquelle dès qu’une fille et un garçon apparaissent dans la même histoire, il devrait y avoir une histoire d’amour. Je préfère faire le portrait d’une relation un peu différente dans laquelle les deux s’inspirent mutuellement dans la vie – et si j’arrive à le faire, alors peut-être que je serai plus près d’une véritable expression de l’amour.