Le perfectionnisme rend malheureux : le comprendre pour l’apprivoiser et le dépasser

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Brene Brown, docteure en sciences humaines et spécialiste de la vulnérabilité, définit la vulnérabilité comme la capacité à supporter l’incertitude, ce qui se caractérise par l’acceptation de la prise de risque et l’ouverture émotionnelle (oser confier éprouver de la tristesse, de la peur ou de la honte). Dans son livre Le pouvoir de la vulnérabilité, elle rappelle que les choses les plus importantes et les plus précieuses dans la vie arrivent quand on trouve le courage d’être vulnérables et imparfait. Or le perfectionnisme est un obstacle à la vulnérabilité.

Une définition du perfectionnisme

Le perfectionnisme n’est pas synonyme de recherche de l’excellence. Le perfectionnisme a plus à avoir avec l’évitement des reproches et jugements de la part des autres et de la honte chez soi.

Le perfectionnisme ressemble à un mécanisme de défense qui repose sur le postulat suivant : “si j’agis parfaitement (ou en ayant l’air parfait), j’obtiendrai l’approbation des autres.” Le perfectionnisme rend malheureux parce qu’il entretient la pensée que nous ne sommes jamais suffisants, que ce que nous faisons n’est jamais assez bien, dans un cercle vicieux d’émotions et pensées douloureuses.

Le perfectionnisme est un bouclier de vingt tonnes qu’on trimballe avec soi, convaincu qu’il protège, alors qu’en réalité, il empêche de se faire voire. – Brene Brown

Le perfectionnisme s’accompagne de la peur d’échouer, de se tromper, de décevoir, d’être critiqué. C’est la raison pour laquelle il est corrélé avec l’anxiété et la rigidité (difficulté à changer de stratégie ou d’objectif, non écoute des signaux du corps qui invitent à ralentir, épuisement à force de vouloir faire toujours mieux). En ce sens, le perfectionnisme a une dimension autodestructrice parce que la perfection n’existe pas. Par ailleurs, le perfectionnisme est addictif parce que, quand on expérimente régulièrement la honte et la peur du jugement, on est persuadé que c’est par manque de perfection.

Le continuum du perfectionnisme : nous y sommes tous plus ou moins sujets

Brene Brown fait remarquer que la plupart des gens se situent quelque part sur le continuum du perfectionnisme. Quand il s’agit de dissimuler des blessures émotionnelles, de préserver une image ou une identité, de se montrer meilleur qu’autrui pour se rassurer sur sa propre valeur, tout le monde joue plus ou moins “les arnaqueurs”.

Pour certaines personnes, le perfectionnisme ne surgit que dans des moments importants (qui ont beaucoup d’enjeu) ou lors d’épisodes de vulnérabilité. Pour d’autres personnes, le perfectionnisme est un trait de personnalité. Pour Brene Brown, apprivoiser le perfectionnisme, c’est développer la capacité à passer des pensées “Que vont penser les gens ?” aux pensées “Je suffis”.

Cette question du perfectionnisme peut s’appliquer à divers pans de la vie et c’est souvent la recherche de la perfection qui est à l’origine de l’épuisement, notamment parental.

Perfectionnisme et parentalité bienveillante : des risques de burn out parental

Certains parents (et en particulier les mères) qui s’engagent dans le chemin de la parentalité bienveillante peuvent souffrir de perfectionnisme, au point de risquer un burn out parental. Il n’existe pas de remèdes miracles et cela peut prendre beaucoup de temps de guérir d’un burn-out parental.

La première étape consiste à prendre conscience qu’on en est atteint et d’oser en parler (aux proches, au médecin traitant ou à des professionnels de la santé mentale). Il est essentiel de se donner le droit de communiquer sur ce sujet sans tabou et sans culpabilité (en brisant le mythe de la maternité forcément heureuse, du parent zen sans limite personnelle ni émotion, du super parent qui tient un foyer immaculé). Accepter l’imperfection peut être difficile pour certains parents mais est pourtant vital. La plupart des mères veulent être d’excellentes mères (qui ne disent jamais non, qui proposent des loisirs créatifs, qui interdisent les écrans, qui cuisinent bio etc…), elle s’efforcent de tout bien faire comme il faut et, pire, de chasser de leur esprit toute pensée qui ne serait pas positive ou aimante. Ces mères ont tendance à fonctionner sur le modèle du “tout ou rien”. Si ce n’est pas parfaitement bien, elles ont le sentiment d’avoir échoué. Pourtant, la maternité n’est pas (que) un don de soi exaltant et aucun parent n’a la garantie que la parentalité sera source de bonheur pur, sans aucun accroc ni ras-le-bol plus ou moins fréquent.

Non seulement, le perfectionnisme augmente les risques de burn out (en niant les émotions légitimes et en contraignant à des tâches toujours plus exigeantes) mais cela peut également dégrader la relation avec les enfants. Les enfants n’ont pas besoin de parents parfaits : ils ont besoin de parents authentiques.

Pour aller plus loin : Burnout parental : que faire pour ne pas craquer ?

 

Apprivoiser le perfectionnisme

Dire “C’est déjà bien comme ça, tu n’as pas besoin d’être parfait” n’est pas aidant pour les personnes qui souffrent d’un perfectionnisme élevé. Le plus important est de valider le besoin de perfection en reconnaissant que, pour elles, c’est extrêmement important, si ce n’est vital, d’être parfaites. Mieux vaut accepter le besoin de perfection, plutôt que chercher à le combattre ou à le nier. En effet, la validation et l’acceptation sont les éléments manquants pour passer du perfectionnisme “négatif” (source d’anxiété et de souffrance) à un perfectionnisme “positif”. Ce perfectionnisme positif consiste à donner le meilleur de soi, en prenant en compte les compétences de départ et le contexte; en acceptant les erreurs et les échecs; en étant assez souple pour découper les grands objectifs en objectifs moins élevés, pour demander de l’aide, pour renoncer ou bien prendre plus de temps pour y arriver si nécessaire.

Brene Brown, s’appuyant sur les travaux du Dr Kristin Neff, propose des points d’appui pour apprivoiser et dépasser le perfectionnisme :

Faire preuve de bienveillance envers soi-même

Cette bienveillance est une manière d’accepter les émotions douloureuses plutôt que chercher à les nier ou à en attribuer une cause (externe – “c’est sa faute à elle” – ou interne – “c’est ma faute”). Nous pouvons apprendre à devenir des amis bienveillants pour nous-mêmes, à faire preuve de douceur envers nous-mêmes.

Un exercice pour y parvenir peut être de noter chaque jour dans un journal une chose pour laquelle nous nous sentons mal ou honteux, pour laquelle nous nous jugeons négativement Nous nous mettrons alors dans la peau d’un ami bienveillant (qui veut notre bien) et écrirons quelques mots de douceur, de gentillesse, de réconfort envers nous-mêmes.

Développer la pleine attention 

Brown rappelle qu’on ne peut pas à la fois ignorer une souffrance et ressentir de la compassion envers cette même souffrance. La pleine attention nous invite à regarder puis accepter les pensées et émotions douloureuses sans nous suridentifier à elles.

Quelques exercices de pleine attention peuvent aider à prendre conscience de ce qui nous traverse, des sensations qui émergent dans notre corps et des émotions que nous éprouvons.

Par exemple, pendant une minute entière, nous pouvons tenter de ne rien faire d’autre que se concentrer sur la respiration :

  • commencer par inspirer et expirer lentement.
  • compter jusqu’à quatre en inspirant puis compter jusqu’à quatre en expirant

Naturellement, l’esprit va essayer de s’évader; il s’agit alors de remarquer les pensées et idées qui émergent et de les laisser passer (“Tiens, je pense à… et je reviens à mon inspiration”). Chaque fois qu’une pensée surgit, il s’agit juste de ramener l’attention sur la respiration. C’est tout, sans chercher à bien faire, à ne pas penser, à bien respirer ou à être performant.

Nommer et comprendre les émotions 

Il est possible de reconnaître et admettre les émotions douloureuses (comme la peur, la honte ou la tristesse) avec douceur, auto-empathie et même humour ou autodérision. Toute la palette des émotions est utile : la nature ne nous aurait pas dotés d’émotions si ces dernières étaient superflues à la vie ou mauvaises. Il n’y a pas de vie sans émotion. Ainsi, la peur est une sentinelle qui avertit d’un danger (réel ou imaginaire). Nous pouvons remercier la peur et écouter son message avant d’agir en fonction de ce message : la peur disparaîtra alors car elle a accompli sa mission (prévenir d’une menace et déclencher une action pour faire face à cette menace afin de préserver la vie).

Cette conscience de la nature des émotions permet d’accepter que la souffrance et les sentiments d’impuissance, de défaillance font partie de l’expérience humaine commune. Tous les humains connaissent à un moment ou un autre des échecs et ont besoin d’aide. Ce n’est pas être faible que d’être vulnérable : c’est être humain.

Même si la vulnérabilité consiste à faire part de ses sentiments et de ses expériences, il importe de bien choisir celles et ceux qui ont “gagné le droit” de les connaître. On ne peut pas toujours avoir de garantie quand on prend le risque de parler et de s’ouvrir avec authenticité, mais nous pouvons nous prémunir d’une trahison ou d’une incompréhension en choisissant à qui se confier et quand.

Brené Brown estime que la vulnérabilité est fondée sur la réciprocité et la confiance. Une fausse vulnérabilité sans bornes mène au détachement, à la méfiance et à la rupture. Faire des révélations intimes intempestives, “tout dire” est justement une manière de se protéger de la vulnérabilité réelle, de la création d’un lien profond de confiance.

Or la confiance est un processus lent et progressif qui se construit à partir de petits moments du quotidien. La confiance se nourrit de micros instants où on “est là” pour l’autre, où on prend la décision d’entrer en contact avec l’autre.

Brene Brown avertit que la confiance peut être ébranlée par des grosses trahisons (adultère, mensonge, ruine financière, révélation d’une confidence…) mais aussi par la négligence quotidienne à travers le détachement (le manque de démonstration d’amour, le manque de gestes d’affection, l’absence de volonté de consacrer du temps et de l’énergie à la relation…). La détachement est l’absence d’intimité, d’authenticité… et donc de vulnérabilité.

Ne pas faire cavalier seul

Penser qu’on peut tout faire seul, ne compter que sur soi-même est source d’insatisfaction et de souffrance. Les êtres humains étant des animaux sociaux, nous avons un besoin vital de relations sociales et c’est justement la force inhumaine que cela nécessite de faire cavalier seul qui en fait un objet d’admiration (c’est le mythe du “self made man” qui a souffert certes, mais qui a réussi donnant à cette souffrance un sens).

Or Brown rappelle que le parcours de la vulnérabilité n’est pas un voyage qu’on entreprend seul. Il y faut du soutien et des gens qui nous acceptent inconditionnellement, qui nous relèvent quand nous faisons des erreurs ou connaissons des échecs (et plus nous osons, plus nous risquons de connaître l’échec).

Pouvoir se montrer brave, courageux et en même temps peureux ou triste à des personnes de confiance qui ne jugeront pas ou ne se détourneront pas fait partie de l’équation. En effet, on ne peut pas apprendre tout seul à être plus courageux et vulnérable.

La première et la plus grande des audaces est parfois de solliciter un soutien. – Brene Brown

Parler avec d’autres parents permet de se rendre compte que tous les parents rencontrent des difficultés, de prendre en compte le contexte et de se soutenir mutuellement. C’est la raison pour laquelle il existe des groupes de paroles dans les PMI par exemple.

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Source : Le pouvoir de la vulnérabilité de Brene Brown (éditions Guy Tredaniel). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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