Pourquoi un enfant est-il difficile ?

Pourquoi un enfant est-il difficile

Définir ce qu’est un enfant difficile 

Dans son livre Mon enfant est insupportable, Isabelle Roskam, docteur en sciences psychologiques, estime que les comportements difficiles peuvent être déclinés selon six catégories :

  • l’agitation (le mouvement est incessant),
  • l’opposition (opposition active à travers des non systématiques ou bien opposition passive à travers une indifférence aux sollicitations),
  • la provocation (l’enfant cherche à prendre le pouvoir et à mettre les adultes mal à l’aise, voire hors d’eux),
  • l’agressivité (Isabelle Roskam parle de “caïd attitude”),
  • l’impulsivité (l’enfant veut tout, tout de suite et peut se mettre en danger s’il ne prend pas le temps d’un “stop mental” avant d’agir),
  • l’instabilité émotionnelle (les fluctuations entre les états émotionnels sont rapides et fréquentes, et les réactions émotionnelles sont décuplées, disproportionnées).

Isabelle Roskam écrit que ces comportements en soi sont courant et normaux chez les jeunes enfants du fait de leur immaturité. En conséquence, il n’y a pas de frontière nette entre un comportement normal et un comportement pathologique. Cela est d’autant plus le cas que l’attribution d’un caractère “difficile” à un enfant varie d’un adulte à l’autre, selon l’histoire personnelle de cet adulte. De même, la culture d’origine influence ce qu’un adulte peut trouver acceptable ou non. Les personnes issues d’une culture méditerranéenne ne trouveront pas difficile un enfant qui participe aux discussions des adultes et parle avec les mains, tandis que des personnes de culture hollandaise le qualifieront volontiers d’exubérant et auront du mal à supporter cette extraversion.

Isabelle Roskam rappelle que l’évaluation des comportements difficiles doit se faire de façon objective, en utilisant des « instruments de mesure » scientifiquement éprouvés (comme c’est le cas dans le dépistage du haut potentiel intellectuel). Cette évaluation est réalisée par des professionnels qui savent à quel point il est important de croiser les avis de différents observateurs : les parents, les enseignants et les spécialistes (psychomotriciens, pédopsychiatres, neuropédiatres…).

Déconstruire l’idée que c’est la faute des parents

Les parents ne sont pas responsables des comportements difficiles des enfants car les causes qui sous-tendent les comportements difficiles sont à la fois complexes (dans leur interaction) et diverses (dans leur nature). Isabelle Roskam s’insurge contre l’idée selon laquelle les parents auraient les enfants qu’ils méritent. Certains enfants sont tout simplement plus faciles à élever que d’autres… ce qui signifie que d’autres sont plus difficiles à élever.

Il est également faux de croire que les comportements difficiles se rencontrent en priorité chez les familles défavorisées. En effet, aucun famille n’est à l’abri des facteurs qui peuvent expliquer les comportements difficiles de certains enfants : des problèmes de mise en place d’un attachement sécure, une prédisposition en lien avec le tempérament, un sous-développement du langage  ou un retard de maturation cérébrale.

Proposer des recettes toutes faites et donner des leçons ne relève pas de la psychologie mais de la morale. – Isabelle Roskam

 

Une combinaison de facteurs explique les comportements difficiles de certains enfants.

Les croyances et attitudes des parents

Isabelle Roskam soutient que les comportements des parents sont sous-tendus par :

  • des valeurs, c’est-à-dire par ce que l’on veut inculquer à l’enfant de manière générale (par exemple : devenir autonome, être empathique, avoir confiance en soi);
  • des objectifs concrets liés à des préoccupations de la vie quotidienne (par exemple : éviter une réprimande de l’enseignant, ranger la chambre, avoir une bonne hygiène dentaire).

Cela signifie que toutes nos décisions éducatives sont alignées avec nos aspirations, et que chaque parent a une “bonne” raison d’agir comme il le fait car il le fait en fonction de la manière dont il envisage l’avenir de son enfant. Un parent qui nous estimons laxiste ou au contraire trop strict a des objectifs à long terme qui apparaissent cachés mais qui ont du sens pour lui. Ainsi, un parent qu’on traiterait de “laxiste” veut peut-être permettre à son enfant d’expérimenter plus de liberté que lui-même car le parent a souffert d’une éducation trop contrôlante. Un autre parent qu’on trouverait trop strict estime que les infractions à une règle doivent être punies car le respect des règles est ce qui permet une intégration réussie dans la société.

De plus, bien que les pratiques parentales puissent être une cause possible des comportements difficiles, il apparaît que ces pratiques peuvent être une conséquence de ceux-ci. En effet, face aux assauts répétitifs d’un enfant difficile, certains parents, épuisés, peuvent baisser les bras, quand d’autres vont tellement serrer la vis qu’ils en deviennent brutaux. Isabelle Roskam qualifie les relations entre parent et enfant de “bidirectionnelle” : le parent influence certes le développement de son enfant, mais l’enfant, à travers ses caractéristiques propres, influence en retour les pratiques éducatives de son parent.

En outre, un enfant difficile peut devenir le bouc émissaire de la famille. Plus les différences de traitement dans la fratrie s’accentuent, plus l’enfant risque de déclencher des comportements difficiles en réaction à l’injustice et à l’hostilité qu’il perçoit.

Enfin, la relation entre un parent et son enfant est une rencontre entre deux individualités, qui peut se révéler plus ou moins heureuse. Un parent très nerveux peut renforcer le tempérament inné nerveux de son enfant et la relation risque d’être explosive. Un parent qui présente des sautes d’humeur risque de renforcer l’anxiété d’un enfant au terrain anxieux, rendant la relation éducative plus délicate.

La plupart des parents veulent le meilleur pour leur enfants, mais ils ne sont pas informés ou outillés pour être efficaces. C’est OK de se tromper en voulant faire de son mieux car les relations humaines ne reposent pas sur une science exacte.  

 

Les gènes

Comme les gènes jouent un rôle dans le tempérament de l’enfant, l’éducation donnée n’est pas toute puissante. Certains enfants sont plus faciles à éduquer que d’autres.

Lire aussi : Les enfants “autonomes” : quand les parents sont démunis face à leurs enfants considérés comme fatigants et difficiles.

 

La nature de l’attachement

Les comportements difficiles chez l’enfant s’expliquent parfois par des causes affectives, en lien avec des problèmes d’attachement. La théorie de l’attachement, telle que conçue par J. Bowlby, indique qu’un bébé a besoin d’être sécurisé,dès sa naissance, par des adultes qui répondent à ses besoins. La figure d’attachement principale est généralement la personne qui s’est le plus occupée du bébépendant les premiers mois parce que c’est la personne qui donne le plus le sentiment de sécurité au bébé. Le bébé peut transposer sa confiance à des figures d’attachement secondaires si sa première expérience avec sa figure d’attachement principal s’est bien passée. En effet, si ses parents ont répondu à ses besoins de façon cohérente et régulière, le bébé en attendra autant des nouvelles personnes qui s’occupent de lui.

Les premières expériences influencent la manière qu’a un enfant d’aborder la vie. Les figures d’attachement n’ont pas à être parfaites mais les figures sécurisantes savent examiner leurs erreurs, réparer la relation et apporter globalement un climat de sécurité physique et affective à l’enfant. Il arrive, pour une raison ou une autre, que des relations d’attachement se construisent de manière insécurisée entre un bébé et ses parents.

Cela peut être le cas dans divers contextes, parmi lesquels :

Ces parents ne sont pas des mauvais parents, mais des parents qui connaissent des difficultés à un moment donné dans une situation donnée, et qui peuvent être soutenus, informés, outillés et pris en charge le temps de se remettre de ces difficultés.

 

Une immaturité neurologique

Isabelle Roskam rappelle que l’inhibition, l’attention et la planification sont en cours de maturation dans le cerveau jusque vers l’âge de 7 ans. Tous les parents ont été confrontés à un moment ou un autre à un enfant en proie à de véritables crises émotionnelles qui l’ont amené à hurler, à se rouler par terre, à jeter ses jouets, à taper, griffer ou encore à mordre. Cela s’explique par le fait que les jeunes enfants subissent leurs émotions sans filtre. Il leur est impossible de s’apaiser seuls ou de prendre du recul sur ce qu’ils sont en train de vivre.

La capacité d’inhibition des jeunes enfants est également en cours de maturation et leur impulsivité est normale. Ils éprouvent des difficultés à ne pas dire tout haut ce qu’ils pensent et à maintenir leur attention sur des tâches qui durent.

Pourtant, dès 3 ans, certains enfants montrent plus de difficultés que les autres à contenir leurs pensées ou leurs gestes. On parle de difficulté quand l’enfant présente une impulsivité et une inattention qui l’empêchent de répondre aux demandes de son environnement (à la maison, à l’école ou tout autre contexte de collectivité).

 

Une difficulté à décoder les informations à disposition

Certains enfants ne parviennent pas à traiter l’information relationnelles et contextuelle. Ils vont systématiquement estimer que l’autre est responsable de leurs problèmes. Par exemple, si un camarade lui envoie le ballon dans la tête, l’enfant difficile ne va pas chercher à savoir si cela est dû à une maladresse ou une inattention, mais va partir du principe que l’autre lui veut du mal, et va chercher à se venger. Ces enfants ne veulent pas ou ne peuvent pas comprendre le contexte qui les entoure avant de réagir.

Un déficit dans la capacité de raisonnement explique cet état de fait. Les psychologues appellent ce processus « attributions hostiles ».

 

Un déficit du langage

Certains enfants ne disposent pas – ou pas encore – des compétences verbales lui permettant de se faire comprendre ou de bien comprendre les consignes.

S’il ne comprend pas une consigne, il ne peut pas la respecter; s’il n’arrive pas à exprimer ses besoins ou envies, il ne peut pas parvenir à leur satisfaction par l’intermédiaire de l’adulte. Mieux vaut s’adresser à l’enfant avec des demandes courtes, simples, en utilisant la communication non verbale (se placer à hauteur de ses yeux pour capter son regard, être bien présent et ancré, accompagner la demande de gestes). Chez les jeunes enfants, proposer des choix a un effet stressant. les jeunes enfants (moins de 5 ans) ont avant tout besoin d’instructions claires et bienveillantes.

Pour aller plus loin : Donner des instructions claires et bienveillantes est plus efficace que proposer des choix aux jeunes enfants.

 

Des causes neurologiques, organiques ou psychiatriques

D’autres causes encore peuvent être responsables des comportements difficiles chez l’enfant, comme la grande prématurité, les troubles auditifs, l’épilepsie et les troubles du sommeil.

Certaines affections neurologiques plus rares peuvent également causer des comportements difficiles. Isabelle Roskam cite la maladie de San Filippo et l’adrénoleucodystrophie. De même, des troubles psychiatriques (comme la psychose infantile) ou des anomalies du neurodéveloppement (comme l’autisme) peuvent être à l’origine de difficultés comportementales.

 

La socioculture occidentale

Isabelle Roskam ajoute qu’il ne faut pas oublier l’impact du contexte socioculturel dans lequel les membres de la famille vivent. Nous sommes de plus en plus exigeants vis-à-vis des résultats scolaires car soucieux pour l’avenir; les enfants assistent à de nombreuses activités extra-scolaires où le jeu libre est absent; les occasions de se défouler dans la nature sont de plus en plus rares; les trajets en voiture remplacent la marche à pied ou le vélo; les parents sont moins disponibles car les deux mènent des carrières; l’augmentation des prix de l’immobilier rend les habitations plus petites, ou plus excentrées avec des temps de trajet plus importants, ou bien sans jardin…

Notre rythme de vie effréné a probablement contribué à rendre plus visibles et plus dérangeantes leur agitation, leur impulsivité, ou leurs réactions émotionnelles. Je pense que leur opposition et leurs provocations peuvent parfois nous renvoyer à l’excès d’exigences que nous faisons peser sur eux. Les troubles du comportement n’existent pas en dehors de leur contexte et c’est ainsi qu’il faut les considérer si nous voulons trouver des pistes pour aider les enfants et leur famille. – Isabelle Roskam

 

Les comportements difficiles de l’enfant ont donc plusieurs causes possibles, qui interagissent les unes avec les autres. Des facteurs contextuels peuvent amplifier les difficultés. Ainsi, un enfant particulièrement agressif ou provoquant peut l’être d’autant plus quand il a accumulé de la fatigue et du stress suite à la naissance d’un petit frère. Isabelle Roskam nous invite à replacer tout comportement jugé difficile dans son contexte car un comportement reflète la manière dont un enfant est capable de répondre – ou non – aux exigences posées par son environnement, là où il grandit et se développe.

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Source : Mon enfant est insupportable : comprendre et accompagner les enfants difficiles de Isabelle Roskam (éditions Mardaga). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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