Quand il y a humiliation des élèves et stigmatisation des erreurs, on provoque le dégoût des enfants pour les apprentissages et l’école

Quand il y a humiliation des élèves et stigmatisation des erreurs, on provoque le dégoût des enfants pour les apprentissages et l'école

L’humiliation des élèves par les enseignants existe 

Dans leur livre Les blessures de l’école, Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier regrettent que certains adultes, enseignants et parents mais aussi CPE et autres éducateurs, aient recours à l’humiliation pour mieux contrôler les enfants et les adolescents. Or aucun désir d’apprendre et de coopérer ne peut émerger de ces pratiques, seulement de la peur, voire de la terreur, de se tromper, une envie de se venger ou la construction d’une carapace, ainsi qu’une dégradation de l’estime de soi. Pour certains adultes, cette manière de traiter les jeunes est liée à l’incapacité à instaurer une relation faite de respect mutuel; pour d’autres, c’est une manière de se protéger et de prendre le pouvoir; pour d’autres encore, ce serait une manière de motiver les élèves en les piquant au vif, en les poussant à donner le meilleur d’eux-mêmes (sur le principe de “je te fais du mal, mais c’est pour ton bien”). Ces pratiques humiliantes sont assez répandues en France car il y a une “culture de l’humiliation comme procédé pédagogique” (qu’on retrouve notamment dans les classes préparatoires, où les élèves sont rabaissés et dévalorisés).

Pourtant, l’humiliation des jeunes relève d’une logique de guerre : les uns contre les autres, plutôt que les uns avec les autres.

L’humiliation des enfants par leurs parents existe également 

L’humiliation peut émerger dans les relations élèves/ enseignants, mais également les relations parents/ enfants. On retrouve la logique du “c’est pour ton bien” : on se moque du jeune qui ne sait pas ou qui se trompe pour l’endurcir, pour former sa force de caractère et le faire réagir par sursaut d’égo. Il se peut que les parents essaient de se rassurer en procédant ainsi, qu’ils reproduisent simplement un modèle qu’ils ont connu (où la dérision fait partie de l’éducation). Ces moqueries révèlent surtout l’impuissance et l’incompétence à fabriquer du “nous”, à accueillir ses vulnérabilités et peurs d’adultes pour écouter leurs messages (peur de l’avenir de l’enfant s’il échoue à l’école ? peur de passer pour un mauvais parent ?…) et à raisonner en termes d’enseignement envers les enfants (plutôt qu’en termes de souffrance et de punition).

Le risque de paroles blessantes et humiliantes est plus élevé lors des remises de bulletins trimestriels ou des devoirs et le jeune peut en venir à douter profondément de ses capacités. Son estime de soi est profondément endommagée et il aura d’autant moins le courage de poser des questions en classe et d’exposer son ignorance à son enseignant et à ses camarades.

Le fait de se moquer de celui qui ne sait pas, ou qui ne connaît pas, devrait être éliminé du répertoire de toute personne qui assume une position d’éducateur. Qu’il s’agisse d’enseignants, de personnels d’encadrement, de moniteurs, d’entraîneurs… Et aussi de parents, qui sont les premiers éducateurs. En effet, peut-on trouver un seul intérêt à maintenir ce genre de pratiques ? Et comment peut-on imaginer qu’un enfant ose poser une question si le fait d’ignorer la réponse le rend ridicule ? Ne serait-il pas sensé de commenter par principe toute erreur ou l’expression de toute ignorance comme une chance d’apprentissage, ou d’échange intellectuel, pour le sujet comme pour ceux qui l’entourent ? Cela peut aisément devenir une nouvelle habitude, que ce soit dans les familles comme dans les établissements scolaires. – Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier

Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier rappellent que la confiance en soi se construit sur des messages cohérents, encourageants et accueillants. Selon les auteurs, prévenir les effets néfastes que l’humiliation par un enseignant peut causer chez un jeune suppose de :

  • tisser avec ce dernier un lien globalement rassurant autour de la question des apprentissages scolaires,
  • offrir une relation d’alliance à l’enfant, qui permettrait de comprendre réellement comment lui-même perçoit ce qu’il vit.

La relation d’alliance entre parents et enfants : intervenir avec empathie et responsabilité quand il y a humiliation à l’école

Une relation empathique…

Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier définissent une relation d’alliance adulte/ enfant comme une relation non jugeante. Dans la phase d’alliance, l’adulte ne cherche pas à diriger le jeune vers un autre comportement et ne formule donc pas de conseil. Elle repose sur une écoute empathique, respectueuse, qui renforce la confiance en lui-même de l’enfant et l’aide à sortir de la solitude et de la peur. Ce type de relation vise la mobilisation des ressources du jeune, dans un soutien bienveillant et efficace qui lui permettra de se libérer du cercle vicieux de la souffrance.

Dans le cas où l’enfant est maltraité par un professeur, il a besoin de sentir que ses parents lui offrent cet appui. La dimension empathique de l’alliance implique de rejoindre l’enfant dans sa manière de percevoir ce qu’il vit, sans chercher à recadrer ou minimiser les émotions exprimées.

L’enjeu de l’alliance n’est pas de comprendre ce qui se passe de manière objective, mais de prendre au sérieux la dimension subjective de son expérience, dans toute son ambivalence, et de la valider pour ce qu’elle est, sans jugement. Toute relation d’alliance se construit sur ce principe de base: accepter de voir les choses avec les yeux de son interlocuteur. Par exemple, un enfant qui raconterait que son enseignant le frappe devrait être écouté avec beaucoup de patience : savoir si cela est vrai ou faux viendra peu à peu, et non par un interrogatoire rationnel et serré, qui ne pourrait que cristalliser un éventuel mensonge, ou au contraire faire se rétracter l’enfant qui craindrait les conséquences de sa confidence. – Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier

Pour aller plus loin : L’écoute active : une règle d’or de la communication parent/enfant

… et responsabilisante 

La dimension responsabilisante de l’alliance apparaît dans la manière d’envisager l’aide : l’enfant est et reste au centre du processus. Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier nuancent toutefois leurs propos dans le cas d’un danger réel qui nous alerterait et nous forcerait à agir de manière rapide et tranchée. Il y a évidemment des situations où il faut intervenir pour protéger l’enfant, et c’est grâce à une bonne relation d’alliance avec lui qu’on peut se rendre compte que la situation le nécessite. Même dans ce cas, il vaut mieux prévenir l’enfant des mesures que nous allons prendre (ex : porter plainte au commissariat, appeler l’inspecteur d’académie, provoquer une réunion avec l’enseignant et les représentants des parents d’élèves…).

Ce que Quartier et Bellon entendent par “relation responsabilisante” passe par le fait de prendre en compte la vision du monde de l’enfant (ses craintes et sa volonté), tout en s’appuyant sur notre sagesse de l’adulte. Trouver ce compromis valable aux yeux de l’enfant assure de ne pas perdre sa confiance, de pas le reléguer à sa solitude et à ses souffrances d’être incompris. C’est bel et bien l’enfant qui, au quotidien, devra faire face à l’enseignant en question.

La relation d’alliance avec l’enfant humilié demande donc de la part de l’adulte qui s’y consacre d’entretenir une relation à l’institution scolaire qui soit pacifiée. Cela permet à cet adulte d’exprimer une critique de l’enseignant maltraitant qui soit juste et constructive pour la relation que l’enfant doit lui-même élaborer avec l’institution scolaire et le corps enseignant. Une fois que l’enfant se sent pleinement rejoint dans sa perception du problème, il est possible de lui demander ce qu’il attend comme aide. Toute aide devrait se construire sur cette demande préalable, qui a un effet mobilisant, car elle implique le sujet et l’amène à préciser ses attentes. Celles-ci peuvent ainsi être vérifiées : si elles sont illusoires, ou paradoxales, on doit pouvoir les repenser. –  Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier

Si un jeune refuse toute intervention ou ordonne vigoureusement à son parent de ne surtout pas parler à l’enseignant qui pose problème, deux possibilités sont envisageables :

  • soit l’enfant reçoit, en se plaignant auprès d’un adulte qui lui offre une réelle relation d’alliance, assez de réconfort pour supporter sa situation;
  • soit cela veut dire que l’enfant craint la maladresse de l’adulte et a besoin d’être rassuré sur le fait que celui-ci n’agira pas de manière aggravante (entraînant des représailles de la part de l’enseignant ou une mise à part de la part des autres élèves par exemple).

Parfois, ce sont davantage les parents, submergés par la colère et convaincus que leur enfant vit très mal la situation, qui ont besoin d’être apaisés.

 

Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier rappellent qu’il n’y a aucun mode d’emploi universel quand un parent décide d’aller voir un enseignant maltraitant. La particularité de chaque situation demande une manière de faire différente car la priorité est d’activer une stratégie efficace (respectueuse de la dignité de l’enfant et de ses droits, ajustée à la gravité de la situation, conforme à la législation en vigueur, ferme sur les principes et non violente dans les paroles et les gestes).

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Source : Les blessures de l’école – Harcèlement, chahut, sexting : prévenir et traiter les situations de Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier (ESF éditions). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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