Nous avons tendance à déshumaniser les enfants

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Crédit photo: karlyukav – freepik.com

 

Marshall Rosenberg, concepteur de la Communication Non Violente, expose un exercice qu’il propose aux stagiaires qui participent à des ateliers de découvert de la communication bienveillante. Au cours de cet exercice, Rosenberg demande aux parents d’écrire sur un papier ce qu’ils diraient à une personne qui a emprunté un objet et qui ne le rend pas. Le groupe de stagiaires est divisé en deux groupes. Rosenberg dit au premier groupe que la personne dont il s’agit est l’un de leurs enfants. A l’autre groupe, il dit que la personne en question est un voisin. Les deux groupe sont réunis après un temps de réflexion pour partager les fruits de cette réflexion. Marshall Rosenberg note que le voisin bénéficie systématiquement du plus grand respect et de la plus grande attention. Il en conclut que les adultes manifestent souvent plus de compréhension pour des personnes avec lesquelles ils n’ont pas de lien particulier, que pour leurs propres enfants.

J’ai vraiment vu comment, dans notre culture, nous déshumanisons facilement une personne, après l’avoir rangée dans la catégorie « enfant ». – Marshall Rosenberg

A la suite de cette expérience répétée, Rosenberg a imaginé un petit jeu pour s’assurer de traiter les enfants avec le respect qu’ils méritent. Cet exercice commence de manière très simple : « Rappelez-vous une situation où votre enfant a fait quelque chose qui vous déplaît. Maintenant représentez-vous que, par un heureux hasard, la personnalité que vous admirez le plus au monde, une célébrité pour laquelle vous avez un immense respect, soit votre hôte. Pour une raison tout à fait inexplicable, voilà que cette personne, là, dans votre salon, pose exactement le même acte dérangeant que votre enfant. Et maintenant, qu’allez-vous dire à cette personnalité si admirable ? » Marshall Rosenberg nous invite ainsi à regarder notre enfant comme la personne que nous respectons le plus au monde afin de communiquer nos émotions, y compris notre colère, sans porter atteinte à leur dignité.

Quand les enfants nous opposent des refus, nous pouvons chercher les “bonnes” raisons de ces refus et les prendre en compte

Les refus et oppositions sont normaux, pas des signes d’affront ou d’irrespect.

Marshall Rosenberg rappelle que n’importe quelle règle peut être enfreinte, et ce par des humains de tout âge (adultes comme enfants). Edicter une règle et affirmer que les enfants doivent obéir à cette règle ne suffit pas à les faire obéir. Nous pouvons d’ailleurs questionner la notion d’obéissance car obéir, c’est déléguer sa responsabilité à autrui et prendre le risque d’agir contre des valeurs morales ou des besoins vitaux. L’obéissance, comprise au sens de coopération et de respect des normes utiles à la vie collective, a évidemment son utilité. Mieux vaut suivre une règle quand on a compris que cette règle est au service de la vie et qu’elle prend son sens dans cet objectif-là. Il est possible d’élever les enfants dans cette optique, en insistant sur la nécessité du respect mutuel et de la prise en compte de l’altérité.

Quand un enfant manifeste qu’il n’a pas envie de faire une chose que nous lui demandons, nous pouvons raisonner en termes de besoins, et notamment d’autonomie. Le sous-titre aux mots prononcés par l’enfant (“Non, je ne veux pas”) est probablement “Mon besoin d’autonomie n’est pas rempli”. Nous pouvons alors adapter notre langage à la situation et au vocabulaire de l’enfant en lui disant quelque chose comme : “Est-ce que tu voudrais faire cela quand tu as décidé de le faire et non pas quand je te le demande ?

Il en va de même pour les enfants qui ne veulent pas participer aux tâches domestiques. Dire « Tu dois ranger ta chambre ! » ou « Débarrasse le lave-vaisselle ! » a peu de chances de les amener à contribuer au fonctionnement de la famille, ou alors dans une énergie négative, de révolte, de sabotage, de volonté de vengeance ou de recherche d’excuses pour se dérober à la prochaine occasion. Les enfants désirent comprendre ce qui se passe chez les personnes qu’ils fréquentent et, en tant que parents, nous serons plus efficaces si nous faisons part de notre besoin d’aide et de soutien pour les tâches ménagères (plutôt que si nous instaurons un système de punitions/ récompenses). Marshall Rosenberg propose de raisonner en termes de contribution des enfants à la vie de famille. Nous pourrions faire une liste de toutes les tâches domestiques, en expliquant pourquoi chacune d’elles est importante et participe au fonctionnement du foyer. Une fois la famille réunie, il est possible de demander à chaque membre de chercher au moins une chose dans cette liste qu’il pourra faire avec la conviction de contribuer ainsi au confort de toute la famille.

Ce n’est pas comparable de faire des choses par devoir – ou pour de l’argent – que de les faire en pleine conscience de mes besoins ou de ceux de mon entourage. – Marshall Rosenberg

Faire le point sur notre motivation et nos besoins insuffle de la souplesse dans nos demandes.  

Quand nous sentons de la tension et de la colère en nous, nous pouvons faire le point sur nos motivations internes et clarifier nos besoins pour comprendre d’où vient notre tension, notre entêtement, notre rigidité. Par exemple, nous pouvons nous demander pourquoi nous tenons tant à ce que les enfants aillent au lit à une certaine heure. Cela peut être pour prendre soin de leur santé, mais il y a aussi probablement d’autres motivations plus ou moins inconscientes, comme notre besoin de tranquillité et de temps calme en couple. Le problème est que nous nous adressons rarement aux enfants en leur dévoilant notre vérité. Nous avons tendance à leur imposer les choses en les justifiant par le fait que nous savons mieux qu’eux ce qui est bon pour eux.

Une fois nos besoins et motivations clarifiées, nous pouvons nous appuyer dessus pour reprendre la discussion sur des bases plus honnêtes. Par exemple : “Il faut que nous reparlions de l’heure du coucher. Je dois avouer que je n’étais pas très au clair sur la raison qui me poussait à vous demander de respecter les heures du coucher. J’ai vraiment besoin de temps pour moi et, comme c’est un énorme besoin pour moi le soir, je veux que vous alliez vous coucher à vingt heures.” Les enfants ne seront pas pour autant enjoués à l’idée de se coucher si tôt mais le dialogue qui s’ensuivra se jouera sur des bases saines, sans jeux psychologiques. Les enfants pourraient proposer d’aller calmement dans leurs chambres respectives à huit heures, mais de dormir quand ils le décident. Le risque est évidemment que les enfants s’endorment tard car ils vont profiter de cette liberté (surtout s’ils ont été privés de cette responsabilité de leurs sensations pendant longtemps). Il se peut qu’un enfant soit en manque de sommeil quelques jours mais, avec la confiance de son parent qui ne lui fait pas de reproches, son corps va prendre le relais et lui indiquer qu’il est préférable de se coucher plut tôt. L’enfant aura appris à écouter son corps et à prendre en charge ses propres besoins.

Naturellement, tout est question de contexte, d’âge et de personnalité des enfants : mieux vaut choisir des situations où on estime les enfants capables de prendre des décisions et de gérer leurs conséquences sans souffrir d’un stress insupportable.

Faire preuve d’empathie tend à débloquer les résistances.

Aussi longtemps qu’un adulte force un enfant et lui dit qu’il n’a pas le choix, l’enfant entend des exigences et se sent sous pression. Dès lors, un cercle vicieux se met en place car sa résistance se renforce, ce qui entraîne plus d’insistance autoritaire de la part des parents. A l’inverse, un enfant ou adolescente qui reçoit de l’empathie retrouve l’accès à son intériorité, à ses ressentis et pensées propres, et peut se détendre. Il devient plus ouvert à l’exploitation de ses ressources et aux demandes de l’extérieur.

L’empathie est la capacité à accueillir ce qui se passe chez l’autre, sans chercher à modifier ses émotions ou trouver des solutions à sa place. L’écoute empathique passe par des phrases du type :

Si je comprends bien…

…, c’est ça ? 

Tu aimerais (être pris au sérieux) ? 

Tu voudrais pouvoir… ? 

Il me semble entendre/ voir que…

On dirait que…

Tu aurais besoin de…

En tant que parents, nous pouvons tenter de revenir à la qualité du lien qui nous unit à nos enfants à tout moment et renouer avec leurs besoins et leurs émotions. Nous n’avons toutefois pas besoin d’être parfaits, simplement curieux, ouverts et souples. Rester présent à l’enfant, ralentir le rythme des échanges, refléter ses émotions et ses besoins, sans émettre d’opinion, sont des clés pour cultiver l’empathie. Les propositions de solutions ou les rappels du passé freinent le processus de rapprochement au niveau des émotions. Cette manière d’entrer en communiquer est peu aisée car nous n’en avons pas l’habitude mais, avec le temps et les essais (même maladroits), les enfants percevront notre intention sincère et pourront se détendre car ils n’auront plus besoin de s’opposer pour se sentir exister et pris au sérieux.

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Source : Dénouer les conflits par la Communication NonViolente de Marshall Rosenberg (éditions Jouvence). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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