Laisser pleurer les bébés ? Répondre aux pleurs des bébés n’en fait pas des êtres capricieux !

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Des croyances encore bien tenaces pour justifier de laisser pleurer les bébés

Une proportion significative de parents et professionnels de l’enfance croient toujours qu’un nourrisson, dans les premiers mois de la vie, ne devrait pas être porté quand il pleure, car cela risque de le « gâter » ; que si l’on répond à ses demandes, il va pleurer de plus en plus pour être porté, demander de plus en plus d’attention et de soins, et transformer ses parents en esclaves; que les pleurs sont, au choix, ou bien des caprices ou bien des tentatives de manipulation, voire des jeux de pouvoir. Dans cette conception, répondre aux pleurs des bébés serait donc perdre dans le jeu de pouvoir entre parents et enfants (ce jeu de pouvoir étant évidemment initié par le bébé). Et cette perte serait synonyme de graves conséquences pour les parents : ils vont se faire bouffer par leurs enfants devenus plus grands, ils vont se faire manipuler à vie, les enfants vont devenir au mieux de enfants rois, au pire des enfants tyrans.

En plusieurs occasions, j’ai vu des chiens attachés à des arceaux à vélos et à des lampadaires pendant que leurs maîtres étaient en train de faire les courses, à la bibliothèque ou occupés autrement. Le chien se plaint, gémit, pleure, et des gens qui ne connaissent pourtant pas le chien viennent le voir, le caressent, et même l’étreignent pour le consoler. Certaines personnes qui vous disent de laisser pleurer votre bébé sont probablement des consolateurs de chiens… Pourquoi les gens perçoivent-ils les gémissements du chien comme étant un signal qui dit que le chien a besoin d’être réconforté et qu’ils doivent y répondre, mais n’ont pas la même attitude face aux pleurs d’un bébé ? – Dr Jack Newman

Les pleurs des bébés ont une motivation positive et vitale

Imaginez : vous êtes seul dans une pièce, étendu sur un lit, incapable de vous lever, vous avez faim, vous baignez dans vos déjections, vous appelez pour qu’on vous nourrisse, pour qu’on vous lave, pour qu’on vous touche. Et personne ne vient. Vous continuez à appeler, vous criez plus fort, espérant qu’on vous entende. Et toujours personne. Imaginez la détresse, le sentiment d’impuissance, la peur… que vous éprouveriez en tant qu’adulte. Le bébé les vit décuplés car il n’a pas encore la capacité de se projeter (ni dans le temps ni dans la tête des autres pour se dire qu’ils sont occupés, fatigués, qu’ils dorment…). Pour lui, seul le présent existe, un présent malheureux.

Les pleurs et cris du bébé sont faits pour signaler aux adultes un besoin quelconque (faim, froid, chaud, etc.), un malaise (sentiment d’abandon, peur, etc.) ou encore une douleur (colique, souffrance physique…).

Un tout petit bébé n’a pas encore la parole pour signaler ses besoins. Il n’a même pas encore la possibilité de faire des gestes, comme par exemple montrer du doigt. Le cri est donc bien son principal moyen d’attirer l’attention de l’adulte pour lui signaler que quelque chose ne va pas ou qu’il a besoin de quelque chose subtils et éviter que le bébé en arrive à crier).

Lorsque vous satisfaites l’une des demandes fondamentales de votre bébé, vous rétablissez son harmonie. Il ne se réjouit pas de sa victoire, il ne comprend pas que vous avez consenti un sacrifice, il ressent simplement une sorte d’épanouissement. Faire un don à son bébé, c’est comme remplir le réservoir de votre voiture. Sa survie dépend de votre générosité. Et il a besoin que vous fassiez le plein un nombre incalculable de fois avant d’être capable de se débrouiller tout seul. – Deborah Jackson

D’ailleurs, l’adulte est comme « programmé » pour répondre à ces cris. Le stress qu’ils génèrent en lui augmente sa tension artérielle, sa transpiration et son rythme cardiaque, fait se contracter ses muscles, et il n’a qu’une envie : résoudre le problème pour les faire cesser. Lorsqu’une mère qui allaite entend son bébé pleurer, la circulation sanguine augmente dans ses seins, s’accompagnant d’une impulsion biologique à « prendre dans les bras et nourrir ».

Pourquoi répondre aux pleurs des bébés n’en fait pas des êtres capricieux

Répondre aux pleurs des bébés, des effets bénéfiques sur la santé

On peut lire dans les Dossiers de l’allaitement de juillet 1996 que, par rapport à ceux qu’on laisse pleurer dans leur berceau, les nouveau-nés maternés (allaités, portés, dont les pleurs ont déclenchés des réactions de consolation et d’attention aux besoins exprimés) et en contact avec leur mère ont une température, une oxygénation, un rythme cardiaque et respiratoire meilleurs et plus stables. Leur adaptation métabolique est plus rapide, et ils économisent leurs réserves glucidiques.

Leur succion est plus vigoureuse, ils ont moins de difficultés de déglutition, ils sont plus éveillés, plus alertes et plus calmes. Ils produisent dix fois moins de glucocorticoïdes (hormones libérées par le stress).

Répondre aux pleurs des bébés leur apprend (paradoxalement) à pleurer moins

Silvia Bell et Mary Ainsworth, deux chercheuses américaines à la John Hopkins University, ont mené dans les années 1970 un étude sur les effets de la communication parents/ enfants sur les liens d’attachement et les pleurs des enfants. Les deux chercheuses sur la théorie de l’attachement ont trouvé que les enfants du groupe dans lequel les mères avaient répondu tôt et de manière plus maternante étaient moins portés à utiliser les pleurs comme moyen de communication lorsqu’ils avaient un an. Ces enfants semblaient plus sûrement attachés à leur mère et avaient développé de meilleurs talents de communication, devenant moins pleurnichards et manipulateurs.

Les bébés dont les pleurs ne reçoivent pas de réponse ou des réponses tardives, aléatoires, sommaires, se mettent à pleurer plus, plus longtemps, et d’une manière plus dérangeante.

Dans une étude qui comparait deux groupes de bébés en pleurs, dans l’un des groupes, les nourrissons recevaient une réponse immédiate et maternante, tandis que, dans l’autre groupe, on laissait les enfants pleurer. Les bébés dont les pleurs recevaient une attention sensible réduisaient leurs pleurs de 70 %. Les bébés qu’on laissait pleurer, par contre, ne réduisaient pas leurs pleurs.

Essentiellement, la recherche a montré que les bébés dont les pleurs étaient entendus et auxquels on répondait apprenaient à « pleurer mieux », tandis que les bébés bénéficiant d’un style de maternage plus restreint apprenaient à « pleurer plus fort ». – Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau

Répondre aux pleurs des bébés pour conforter leur sécurité affective

Une brochure de l’Association australienne pour la santé mentale infantile (2003) explique qu’entraîner un enfant à ne pas pleurer pourra effectivement l’amener à ne plus pleurer. Mais cela pourra aussi lui apprendre qu’il ne peut espérer aucune aide lorsqu’il en a besoin. Les enfants se sentent beaucoup plus en sécurité si leurs pleurs déclenchent rapidement et systématiquement une aide adéquate de la part de la personne qui s’occupe

Laisser pleurer les bébés : une fabrique à adultes stressés et anxieux

D’après une équipe de chercheurs travaillant au département de psychiatrie de l’École de médecine de Harvard, la croyance selon laquelle il est bon de laisser pleurer les bébés aurait pour principal résultat de fabriquer des adultes stressés et anxieux.

Laisser pleurer les bébés est le meilleur moyen pour obtenir des adultes incapables de gérer le stress. En effet, on a pu montrer que le niveau de stress et de cris des premiers temps conditionne le nombre de récepteurs à cortisol dans l’hippocampe et programme la capacité ultérieure à gérer les stress à l’âge adulte. – Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau

à l’âge adulte, le néocortex est normalement capable de ralentir l’activité de l’amygdale en libérant des substances anti-anxiogènes, qui détendent le corps et permettent de retrouver son calme. Mais si, lorsque nous étions petits, personne ne nous a aidés à apaiser nos chagrins, le néocortex peut ne pas avoir acquis cette capacité à gérer le stress. D’où de fréquents états d’anxiété, voire des dépressions.

Consoler un bébé qui pleure pour cultiver la dimension éthique des petits humains

Pour le pédiatre Haïm Cohen, répondre aux pleurs du bébé, le consoler, cela participe « à son épanouissement psychoaffectif et à l’élaboration au niveau de son cerveau, du tissu, du substratum de ce qui sera le siège, ou l’espace, de l’éclosion et du déploiement de sa dimension humaine ».

Selon lui, la consolation « installe au sein du cerveau la mémoire de l’apaisement généreux […] L’enfant apprendrait, en les observant ou en en étant l’objet, les gestes humains de consolation, les comportements éthiques ».

Les pleurs des bébés, des enjeux politiques et sociaux

Il reste alors une question essentielle à poser : comment, dans nos sociétés occidentales modernes, accorder du temps aux jeunes parents pour répondre aux besoins de leur bébé ? Parce qu’une fois qu’on a compris l’importance de ne pas laisser les bébés pleurer, encore faut-il avoir la disponibilité physique et émotionnelle pour pouvoir répondre aux pleurs des nourrissons. Nous entrons ici dans des considérations politiques et sociales : congé maternité, congé paternité, stéréotypes genrés (papa se lève-t-il autant que maman ?), organisation du quotidien autour du travail, cadre de vie (temps de trajet travail/ maison, précarité financière…), soutien parental accessible et disponible, formation des professionnels de l’enfance, sensibilisation du grand public (pour éviter le stress lié aux remarques des voisins, de la famille, des autres parents…), connaissance des mécanismes de la mémoire traumatique et du cercle vicieux de la violence éducative ordinaire.

Peut-être pouvons-nous au moins garder en tête que ce qui compte est la réaction habituelle (la plus fréquente), que nous avons le droit de demander de l’aide et que, quand nous n’arrivons pas à réconforter un bébé qui pleure, nous pouvons au moins l’accompagner avec des mots (dire qu’on n’a pas trouvé pourquoi il pleure, qu’on est vraiment désolé pour lui et qu’on espère qu’il va aller mieux bientôt, qu’on est là et qu’on l’aime).

Pour aller plus loin : Répondre aux besoins du bébé, une priorité : et quand c’est difficile ?

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Source : Ne pleure plus bébé ! de Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau (éditions Jouvence). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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