Accepter le temps long lors d’un processus de travail sur soi ou de changement d’habitude (comme le propose la parentalité bienveillante)

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La norme IPAN nous empêche de penser le temps long.

Dans son ouvrage Au secours, je vais bien, Anne-Laure Buffet propose l’acronyme IPAN pour désigner un fonctionnement qui empêche de penser le temps long, les essais/ erreurs et les (re)chutes lors d’un processus de travail de soi, de changement d’habitudes. Ces critères pèsent constamment sur nous, dans tous les domaines de notre vie, tant personnelle que professionnelle.  Anne-Laure Buffet définit la norme IPAN à partir de quatre données :

  • Immédiateté : donner ou obtenir la réponse ou l’information cherchée sans attendre,
  • Performance : être toujours à la hauteur, ne pas admettre l’erreur, être remarquable pour ses compétences,
  • Appartenance : être reconnu et reconnaître un individu ou un groupe d’individus partageant les mêmes valeurs que soi,
  • Normalité : ne pas contrevenir, déranger ou remettre en cause par son fonctionnement et ses comportements le système ou l’ordre établi.

Anne-Laure Buffet regrette qu’une idée fausse circule autour du travail sur soi : on pense que ce travail passe par une épiphanie, un eurêka, une prise de conscience qui va tout débloquer et résoudre, menant rapidement et à long terme à un résultat performant, cohérent avec la normalité des « gens qui vont bien ».

Anne-Laure Buffet estime que les enfants soient également concernés par la norme IPAN. La surstimulation des enfants par les adultes conduit à un désinvestissement affectif car la chaleur de l’amour est remplacé par la recherche de la réussite et de la performance.

Pour aller plus loin : La sursollicitation des enfants pose des problèmes de santé mentale : la vie requiert des moments sans temps visiblement “productif”

 

Vouloir aller bien tout le temps et immédiatement, sans rechute dans des moments difficiles, n’est ni possible ni souhaitable.

Vivre, c’est éprouver toute la palette des émotions humaines. L’instabilité émotionnelle est le propre des humains et il n’y a aucune raison de se sentir nul ou coupable en cas d’inconstance du bien-être. Anne-Laure Buffet estime qu’être confronté à un obstacle ne signifie pas aller mal : c’est dans la norme des choses que d’être bousculé par quelque chose qui se déroule mal ou de manière inattendue dans une situation précise. A partir de là, il est possible d’accepter les émotions désagréables en reconnaissant leur fonction et en les nommant plutôt qu’en les chassant, puis de réfléchir à des stratégies pour changer ce qui ne convient plus. C’est nécessairement la phase de reconnaissance du mal-être qui ouvre la voie du changement car les émotions sont un levier pour l’action.

Oser dire « je vais mal, aidez-moi… » est paradoxalement le signe qui montre que nous allons bien, car nous sommes pleinement conscients que ce que nous vivons ne nous convient pas, nous cause du tort, et que seuls, nous n’avons pas la capacité d’y remédier. Dire « je vais mal » en demandant un conseil ou de l’aide, c’est implicitement dire : j’ai suffisamment foi en moi et je m’aime suffisamment pour ne pas vouloir m’imposer ou subir une situation qui me cause du tort et me blesse. – Anne-Laure Buffet

Être responsable, c’est accepter la honte liée aux échecs.

La honte est une émotion utile et légitime. 

Babette Rothschild est une psychothérapeute américaine, spécialiste du traitement du stress post-traumatique. Elle rappelle que personne n’aime se sentir honteux car la honte est une émotion hautement désagréable (sensation de contraction dans le corps, envie de pleurer, auto dénigrement, images négatives qui passent en boucle…). La honte est une émotion que peuvent éprouver certaines personnes traumatisées se sentant responsables de ce qui leur est arrivé et qui les fait souffrir. Pourtant, comme toutes les autres émotions, la honte est nécessaire pour la survie. De manière simplifiée, on pourrait dire que la honte signale que quelque chose n’est pas correct dans une relation, qu’il y a un raté du point de vue social. Sans cette alerte, nous ne pourrions pas prendre conscience des dysfonctionnements relationnels et donc avoir l’opportunité d’éviter, changer ou réparer ce qui ne va pas. Comme la honte modèle les comportements sociaux acceptés dans un groupe socioculturel, elle pousse à adopter les comportements qui favorisent l’inclusion et l’acceptation dans un groupe humain. En effet, nous sommes mus par un processus biologique qui cherche le maintien de la vie individuel et ce maintien est facilité par l’inclusion dans un groupe social pacifique. Les émotions sociales, dont la honte fait partie, servent à préserver la pérennité du groupe pour assurer la survie de chaque individu qui le compose.

La honte ouvre la possibilité d’adaptation à partir des besoins des uns et des autres.

Nous pouvons aborder ce que nous prenons pour des échecs relationnels (comme le fait d’avoir crié sur les enfants) comme des expériences. Ressentir la tristesse et peut-être même la peur (peur de ne plus être en lien, peur de causer du dommage à l’enfant, peur de ne pas savoir comment faire autrement) à la racine de la culpabilité nous permet de tirer les enseignements de nos actions et d’en sortir grandis. Si nous n’acceptons pas ce travail qui consiste à descendre au fond de nous, alors notre culpabilité peut nous pousser au sur-fonctionnement, c’est-à-dire à devenir rigides, intolérants, intransigeants, ou à être trop préoccupés par le contrôle sur l’enfant. La culpabilité porté à son paroxysme peut également mener à la dépression ou à l’épuisement (burn-out parental).

Christophe André, psychiatre, estime que la honte est toujours une honte de soi (c’est soi-même que l’on rejette) et la honte est une émotion visuelle (on se représente inlassablement la scène en imagination).

Comme toutes les émotions, la honte a une fonction : elle nous sert à ne pas oublier que, pour avoir sa place dans un groupe humain (famille, amis, micro ou macrosociétés), il y a des règles et des standards à respecter. A petites doses adaptées, la honte peut m’empêcher des commettre des actes antisociaux : mentir, trahir, voler, rudoyer les faibles. Ou, si je les ai commis, de récidiver. Comme la peur peut me rendre plus prudent en me faisant anticiper les dangers, la honte peut me rendre plus conscient en me faisant anticiper les rejets.

Mais tout les émotions peuvent se dérégler. La peur peut se transformer en cette maladie de la peur qu’est la phobie. La honte, elle aussi, peut déraper. Nous ne disposons pas de nom spécifique pour désigner ces “maladies de la honte”. Signe sans doute que les sociétés traditionnelles les toléraient et s’en accommodaient plutôt bien : la honte est un bon moyen de faire tenir les gens tranquilles. – Christophe André

La honte devient destructrice quand elle conduit à s’exclure de son cercle social, à chercher à se venger en faisant mal ou à se confiner dans la paralysie et le désespoir. La solitude et l’isolement nourrissent la honte.

Restons prudents face aux promesses de résultats rapides ET constants

Si nous sommes trop pressés d’atteindre un but, nous ne prenons pas le temps d’observer les étapes par lesquelles nous sommes passés, les expériences, les apprentissages, les erreurs et échecs qui ont jalonné le cheminement personnel. Le risque est de construire sur des repères inappropriés ou instables, des informations mal comprises ou incomplètes. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai écrit mon essai (“La co-éducation émotionnelle”, paru aux éditions Hatier en 2019). J’y donne des informations théoriques et des idées pratiques pour raisonner autrement face aux comportements des enfants qui nous mettent en difficulté (avant de chercher à plaquer des astuces et conseils au risque de constater que “l’éducation positive, ça ne marche pas”).

Il s’agit donc de trouver le juste équilibre entre le temps de la réflexion et le temps de l’action, en ne cherchant pas à aller trop vite, en visant la réussite dans nos objectifs, mais sans urgence ni précipitation. – Anne-Laure Buffet

Être humain n’est pas être calme en toute circonstance : être humain, c’est aimer, être enthousiaste, se révolter face à l’injustice, pleurer, s’énerver aussi, affirmer avec vigueur des valeurs et limites personnelles. Nous pouvons nous laisser traverser par les émotions, les valider quand elles se présentent en nous, et utiliser l’énergie de ces émotions pour servir nos besoins.

Nous n’avons pas à être forts à tout prix, ni à être performants en toute situation. La vulnérabilité est constitutive de la dignité humaine. Pour pouvoir entrer en relation avec les autres, nous devons nous montrer tels que nous sommes, imparfaits et vulnérables. Vulnérabilité et faiblesse ne sont pas équivalents. Au contraire, accepter la vulnérabilité, c’est prendre un énorme risque affectif, c’est oser se mettre à nu au risque d’être moqué, incompris, rejeté. Or “oser” et “être faible” ne sont pas vraiment synonymes.

Toutefois, le parcours de la vulnérabilité n’est pas un voyage qu’on entreprend seul. Il y faut du soutien et des gens qui nous acceptent inconditionnellement, qui nous soutiennent quand nous faisons des erreurs ou connaissons des échecs.

Lire aussi : 4 mythes sur la vulnérabilité (et comment se réconcilier avec la vulnérabilité)

La compassion pour soi, pour se réconcilier avec le temps long

Voici des points d’appui pour se réconcilier avec le temps long et apprivoiser la vulnérabilité :

  • Bienveillance envers soi-même 

Cette bienveillance est une manière d’accepter les émotions douloureuses plutôt que chercher à les nier ou à en attribuer une cause (externe – “c’est sa faute à elle” – ou interne – “c’est ma faute”). Nous pouvons apprendre à devenir des amis bienveillants pour nous-mêmes, à faire preuve de douceur envers nous-mêmes.

Un exercice pour y parvenir peut être de noter chaque jour dans un journal une chose pour laquelle nous nous sentons mal ou honteux, pour laquelle nous nous jugeons négativement. Nous nous mettrons alors dans la peau d’un ami bienveillant (qui veut notre bien) et écrirons quelques mots de douceur, de gentillesse, de réconfort envers nous-mêmes.

  • Conscience de sa nature humaine

Cette conscience de la nature humaine permet d’accepter que la souffrance et les sentiments d’impuissance, de défaillance font partie de l’expérience humaine commune. Tous les humains connaissent à un moment ou un autre des échecs et ont besoin d’aide. Ce n’est pas être faible que d’être vulnérable, que d’avoir honte ou de ne pas être à la hauteur des attentes des uns ou des autres : c’est être humain.

  • La pleine attention

On ne peut pas à la fois ignorer sa souffrance et ressentir de la compassion envers elle. La pleine attention nous invite à accepter les pensées et émotions douloureuses sans nous identifier à elles. Quand les manifestations des émotions éprouvées sont identifiés, il est possible de les accueillir et les accepter. Le mot clé ici est OUI : “Oui, c’est vrai, je ressens ceci. Oui, j’ai envie de dire ou faire cela. Oui, ça fait comme ci dans mon corps.”

  • Mettre en récit

Il est essentiel d’accepter de raconter son histoire et donc de dépasser la honte initiale. Le levier de l’empathie comme baume guérisseur ne peut être activé qu’à partir du moment où la honte est racontée : comment pourrions-nous recevoir de l’empathie (et même de l’auto empathie) si personne (pas même nous) n’entend l’histoire ?

La honte prospère sur le secret; le refus de confier les échecs ou le traumatisme peut être plus préjudiciable que l’événement lui-même.

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Source : Au secours, je vais bien de Anne-Laure Buffet (éditions Eyrolles). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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