Le besoin d’autonomie n’exclut pas le besoin de proximité relationnelle (les humains de tout âge ont besoin d’attachement)

Tous les humains ont besoin d'attachement

Je vous propose un nouveau format d’article sur le blog. Il s’agit d’interviews menées par Ingrid van den Peereboom, animatrice de l’émission radio Vers une parentalité bienveillante sur RCF et spécialiste du portage physiologique, mère de 8 enfants dont 6 sont nés à la maison. Ses interviews donneront la parole à des penseurs et des penseuses de l’accompagnement respectueux des enfants qui aborderont des thèmes peu évoqués par ailleurs.

Aujourd’hui, Ingrid s’entretient avec Rebecca Shankland, professeure des Universités en psychologie du développement et responsable de l’Observatoire de la Parentalité et du Soutien à la Parentalité. Rebecca Shankland est co-autrice avec Christophe André du livre Ces liens qui nous font vivre (éditions Odile Jacob) dans lequel ils font l’éloge de l’interdépendance et tordent le cou aux idées reçues sur l’attachement.

interview attachement christophe andré shankland

Crédit illustration : (c) DRFP

 

J’ai eu le plaisir de vous interviewer, vous et Christophe André, autour de ce livre. Dans votre livre, vous écrivez que “nous ne sommes pas faits pour vivre en vase clos” (p.111), que “le sentiment de liberté et le sentiment d’autonomie sont particulièrement importants pour tout un chacun” (p.124) et que “la perception d’avoir traversé un danger commun engendre un sentiment de proximité relationnelle” (p.136).

Vous écrivez que le besoin d’autonomie n’exclut pas le besoin de proximité relationnelle : ils sont complémentaires, car manquer de l’un des deux augmente le mal-être et génère des comportements problématiques. Comment parents et enfants peuvent-ils trouver l’équilibre subtil entre tous ces besoins ?

Cet équilibre est à trouver pour chaque enfant, car les besoins psychologiques fondamentaux de proximité relationnelle et d’autonomie diffèrent d’une personne à une autre en fonction de caractéristiques individuelles, la tendance à être anxieux par exemple, et en fonction de la situation, la crise sanitaire actuelle peut augmenter le besoin de sécurité de l’enfant, donc le besoin de se sentir proche de ses parents. Trouver l’équilibre consiste donc plutôt à être à l’écoute des besoins que l’enfant exprime. Lorsqu’il manifeste le besoin d’être rassuré en recherchant de l’attention ou des câlins, nous pouvons lui accorder cette disponibilité et répondre d’une manière qui lui permette de se sentir pleinement en sécurité. À l’inverse, lorsque l’enfant souhaite prendre de l’autonomie en réalisant des tâches par lui-même, notre rôle de parent consiste simplement à mettre à disposition les outils et les informations dont il pourrait avoir besoin pour mener à bien l’activité.

Maël Virat, dans son livre intitulé Quand les profs aiment les élèves, démontre par ses recherches que dans les relations interpersonnelles professeur-élève, la qualité de la relation impacte fondamentalement les apprentissages. (Mon interview de Maël Virat est disponible ici : https://rcf.fr/vie-quotidienne/famille/mael-virat-quand-les-profs-aiment-les-eleves )

Il s’agit de la réponse à ce même besoin de proximité relationnelle qui est le fondement pour permettre le développement de l’autonomie et des apprentissages. Lorsque l’enfant ne se sent pas suffisamment en confiance, il est moins disponible pour s’engager avec curiosité et ouverture dans des apprentissages fondamentaux qui ne sont pas en lien direct avec sa survie. La relation à l’enseignant représente ainsi un levier essentiel de l’implication, de la motivation, de la persévérance et donc de la réussite des élèves comme l’ont montré de nombreux travaux depuis plusieurs décennies, notamment ceux d’Edward Deci et Richard Ryan qui ont mis en évidence l’importance de ces besoins psychologiques fondamentaux.

On peut aussi penser plus grand et envisager l’entourage de la famille, la tribu dont elle s’entoure. De nombreux types d’interactions apportent du sens dans notre vie. Vous écrivez que “l’engagement social contribue au sentiment de se sentir utile, qui donne un sens à la vie, un déterminant fondamental du bien-être. Ainsi, quelles que soient les situations rencontrées, de l’échange de quelques mots à l’arrêt du bus qui donne confiance à l’entraide entre voisins lors de périodes difficiles, la qualité du lien social est déterminante pour la santé et l’épanouissement. (p 71) Nous n’avons donc pas à craindre notre voisin… Il apporte du sel dans notre existence.

Non seulement du sel si nous en manquons (!), mais il peut aussi faire partie du réseau social qui diminue notre sentiment de solitude. Nous vivons aujourd’hui dans une société où nous sommes davantage isolés. Loin de nos familles en raison de déménagements, loin de nos amis car les villes sont plus grandes que les villages d’autrefois… Chacun dans son logement, nous nous sentons moins facilement reliés aux autres. Pourtant, des chercheurs comme James Fowler, professeur de génétique à l’école de médecine de l’université de Californie à San Diego, et Nicholas Christakis, sociologue et directeur du laboratoire Human Nature à l’Université de Yale aux États-Unis, ont montré que plus ses voisins étaient heureux, plus l’on avait de chances d’être heureux soi-même ! Cela peut s’expliquer de plusieurs manières. Tout d’abord, les recherches en psychologie ont montré que les individus heureux sont plus généreux, plus ouverts et plus disponibles aux autres. Ainsi, un voisin qui possède ces qualités sera certainement une source de bien-être pour les autres. De plus, les émotions positives sont contagieuses. Ainsi, échanger un « bonjour » avec une personne enthousiaste peut nous rendre plus enjoué à notre tour !

Vous écrivez : “l’effet du lien social perçu a donc des conséquences sur notre perception de la réalité et serait à même de nous encourager davantage dans notre engagement dans des actions nécessitant un effort.” (p.73)

Ce constat vient de recherches expérimentales ayant mis en évidence que la présence d’un proche augmente notre vitalité et nous aide à concevoir les difficultés comme des défis plutôt que des menaces. Grâce aux proches, nous avons ainsi plus de courage et d’énergie pour affronter ces difficultés et persévérer malgré les obstacles.

Vous expliquez qu’il est donc utile d’apprendre à distinguer les relations d’attachement constructif, c’est-à-dire les relations qui aboutissent à des effets favorables pour les deux parties, des relations de dépendance affective aux conséquences néfastes”. (p 92) Comment identifier une relation d’attachement constructive ? (p.96)

La dépendance affective est marquée par une forme de soumission à l’autre et l’impression que sans l’autre, et notamment sans l’approbation de l’autre, on n’est plus rien. À l’inverse, la relation d’attachement constructif offre une base de sécurité à partir de laquelle on peut se construire librement, sans chercher nécessairement à plaire ou à correspondre aux exigences d’autrui. La relation de confiance permet de faire émerger le meilleur de chacun, tandis que la dépendance affective entraîne un niveau élevé d’angoisse qui ne permet pas un fonctionnement optimal de la personne. Ses compétences et ses ressources s’en trouvent amoindries, augmentant encore davantage son sentiment de dépendance à l’autre.

Il est prioritaire, lorsqu’un problème technique survient lors d’un voyage en avion, que le parent installe son propre masque à oxygène pour ensuite équiper son enfant. De même, vous évoquez l’importance de la prise de conscience de ses besoins spécifiques au sein de la relation. Vous évoquez la bienveillance envers soi comme une clé importante.

En effet, la recommandation qui est donnée lorsque l’on monte dans un avion est qu’en cas d’urgence il convient d’abord de mettre son propre masque pour pouvoir être ensuite disponible pour aider les autres. La bienveillance envers soi représente cette capacité à prendre soin de soi qui ne rend pas plus égoïste, mais permet au contraire de se rendre plus disponible aux autres. À l’inverse, si l’on oublie de se ressourcer suffisamment, on risque l’épuisement qui nous empêchera d’être ensuite disponible physiquement et mentalement pour autrui. Pire, cet épuisement peut aussi nous rendre moins empathique et plus violent. Ainsi les travaux menés depuis plusieurs années par Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam de l’Université Catholique de Louvain en Belgique ont montré que le burnout parental multipliait par dix les risques de négligence et de maltraitance envers l’enfant.

Quand on est parent, on recherche “un équilibre entre ses propres besoins et la réponse aux besoins de son enfant”, écrivez-vous. (p.123)

Ce n’est pas simple car dans une journée il n’y a que 24h, et lorsque l’enfant est en bas âge, ou que l’on a plusieurs enfants en bas âge, il ne reste que peu de temps pour se ressourcer en tant que parent. C’est pourquoi il est nécessaire d’oser demander du soutien, de la part de ses proches et des professionnels. De nombreux parents considèrent aujourd’hui qu’ils doivent assumer seuls ce rôle, alors que les sociétés traditionnelles ont toujours su qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Les associations et les professionnels formés sont là pour nous aider à constituer ce village autour de la famille afin de permettre aux parents de respirer par moment et être ainsi plus disponible pour l’enfant par la suite.

L’humain est conçu pour l’altruisme, en définitive ? Apporter de l’aide à autrui apporte semble-t-il encore plus de bénéfices que de recevoir de l’aide.

On pourrait dire en quelque sorte que l’humain est « câblé » pour l’altruisme en effet, car apporter de l’aide participe à l’activation de réseaux de neurones impliqués dans ce que l’on appelle le système de récompense. Apporter de l’aide génère ainsi du plaisir. Au niveau psychologique, cela augmente le sentiment d’être utile aux autres, ce qui augmente le sens de la vie et contribue ainsi au bien-être durable. De plus, être en mesure d’offrir un soutien augmente notre sentiment de compétence, de maîtrise de la situation, ce qui augmente la confiance en ses capacités à faire face. Cela peut donc avoir un effet apaisant et nous encourage à être coopératif et solidaire.

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Bibliographie :

Ces liens qui nous font vivre, Rébecca Shankland et Christophe André (éditions Odile Jacob)
Quand les profs aiment les élèves, Maël Virat(éditions Odile Jacob)

Des outils pour les parents et les enseignants : www.covidailes.fr