Se passer des écoles telles qu’on les connaît aujourd’hui : utopie, folie ou urgence ?
Des enfants biologiquement programmés pour apprendre ?
Peter Gray est un psychologue américain, qui s’est spécialisé dans l’étude du jeu chez les enfants. Il est l’auteur du livre Libre pour apprendre (Actes Sud) dans lequel il expose sa théorie : quand on laisse les enfants poursuivre leurs propres intérêts à travers le jeu, ils apprendront non seulement tout ce dont ils ont besoin pour mener la vie qui leur correspond mais ils le feront également avec énergie et passion, contribuant à leur bonheur.
Les enfants viennent au monde désireux d’apprendre et équipés avec les meilleurs outils pour parvenir à cette fin : la curiosité, le jeu et la sociabilité.
Les enfants sont biologiquement programmés pour s’éduquer eux-mêmes et apprennent naturellement de manière joyeuse, à travers le jeu, le questionnement et l’exploration.
Les conditions d’un apprentissage autonome, informel et efficace
Des opportunités
Par conséquent, ils ont besoin d’opportunités, pas de coercition, pas d’obligation ou encore moins de programmes imposés. Peter Gray affirme qu’il est possible d’imaginer une société sans l’école telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il se défend d’une vision folle, romantique ou irréaliste. Il s’agit plutôt d’une idée qui a germé après des années de recherches et d’observations scientifiques.
De la liberté pour apprendre
Peter Gray fait référence à des études anthropologiques et ethnologiques menées sur des tribus qui vivent à l’écart de la société occidentale moderne. Dans ces tribus, les enfants sont libres de jouer et d’explorer, de manipuler la poussière, la boue ou encore l’eau à toute heure de la journée, sans être interrompus. Ils jouent à des jeux qui participent à développer les compétences dont ils ont besoin pour vivre et s’intégrer dans leur culture. En d’autres termes, ils s’éduquent eux-mêmes.
Une mixité
Ces enfants jouent dans des groupes d’âges mixtes (de 4 à 18 ans) et une grande partie de leurs apprentissages se fait dans l’interaction avec les pairs.
L’acquisition des connaissances et des compétences nécessaires à la vie en société dans une culture donnée se fait par l’observation des pairs et des adultes, par le jeu et par des activités auto décidées, auto contrôlées et auto dirigées (non imposées de l’extérieur).
Les enfants dans ces groupes sociaux ont plus confiance en eux et sont plus résilients que la plupart des enfants de nos sociétés.
La fin de l’éducation ?
La grande question que Peter Gray se pose est de savoir si une telle organisation et une telle liberté des enfants, qui sont finalement synonymes d’une fin de l’éducation telle que nous l’envisageons aujourd’hui, serait possible dans nos sociétés occidentales.
Il y répond par l’affirmative. Plusieurs penseurs se sont penchés sur la question avant lui et de nombreux professionnels de l’éducation sont encore aujourd’hui en train d’élaborer des solutions.
Parmi eux, j’ai envie de citer :
- A.S. Neill, fondateur de Summerhill School en Angleterre dont les principes reposent sur le libre choix et la démocratie (reportage en français sur cette école ici)
- John Holt, fervant défenseur des apprentissages autonomes et auteur de plusieurs livres dont Les apprentissages autonomes, S’évader de l’enfance et Apprendre sans école
- Léandre Bergeron, ancien professeur canadien, a écrit le livre Comme des invitées de marque pour témoigner de la vie sans école de ses filles (maintenant âgées de plus de 30 ans)
- Jean-Pierre Lepri, auteur de La fin de l’éducation et ancien professeur des écoles s’interroge : “pourquoi et comment vivre sans éducation ?”.Il partage ses réflexions sur son site : education-authentique.fr.
- Bernard Collot, professeur des écoles dans l’Education Nationale française a initié un mouvement pour des écoles publiques du 3° type (voir son blog et son livre Chroniques d’une Ecole du Troisieme Type)
- Ramin Farhangi, co fondateur de l’Ecole Dynamique (école démocratique d’inspiration Sudbury à Paris) et auteur du livre Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent (un livre pour questionner les concepts mêmes d’élève et d’école)
Un modèle compatible avec cette vision de l’apprentissage ?
L’école libre et démocratique existe déjà
Peter Gray mentionne la Sudbury School comme un modèle compatible avec nos sociétés et proches de la manière dont les enfants apprennent naturellement.
La Sudbury School est une école fondée en 1968 aux Etats Unis et reposant sur un modèle démocratique. Dans cette école, plus d’une centaine d’enfants entre 4 et 18 ans y sont accueillis, pour une dizaine d’adultes encadrants. Les règles de l’école sont décidées de manière collégiale au cours de conseils démocratiques. Les problèmes sont résolus ensemble. Enfants et adultes y ont le même pouvoir : la voix des enfants vaut celle des adultes. Les élèves et le personnel ont les même droits et les mêmes devoirs.
Cette école fonctionne avec un budget moitié moins élevé que celui d’une école publique américaine traditionnelle. Les enfants y prennent véritablement en charge leur propre éducation. Il n’y a pas de note, pas de programme, pas d’examen ni de contrôle. Le libre choix et la souveraineté de chacun y priment.
Le modèle de l’école Sudbury est réplicable et viable. Plus de 30 écoles de ce type existent à travers les Etats Unis et le monde (dont une à Paris et plusieurs autres en projet en France). Voici une présentation en français du fonctionnement de cette école :
L’école libre et démocratique a démontré sa légitimité et son adéquation avec la société contemporaine
Selon des études sur les anciens élèves, la réussite des enfants ne dépend pas de l’origine socio-économique ou de la personnalité des enfants qui y sont scolarisés. Une des principales caractéristiques des anciens élèves de la Sudbury School est qu’ils poursuivent des études et des carrières en lien direct avec leur passions et leurs talents.
Ils ont continué dans l’âge adulte à jouer aux jeux qu’ils préféraient quand ils étaient plus jeunes ! Les anciens élèves sont souvent reconnaissants à l’école démocratique de leur avoir permis de cultiver leur propre motivation, leur sens de la responsabilité personnelle, leur capacité à décider par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Ils sont également plus sensibles à l’équité et aux valeurs démocratiques.
Pour Peter Gray, les écoles démocratiques sur le modèle de Sudbury School remplissent les 6 conditions qu’il estime essentielles à l’éducation des enfants.
Si on fournit aux enfants les conditions pour qu’ils s’éduquent eux mêmes, on peut se passer des écoles telles qu’on les connaît aujourd’hui. Peter Gray regrette que nous enlevions aux enfants toutes les choses dont ils ont besoin pour s’épanouir en cherchant à les faire rentrer dans un moule, dans un système qui a montré ses trop nombreuses limites.
Est-ce qu’on force les enfants à respirer ? Pourquoi alors forcerait-on les enfants à apprendre alors qu’on sait qu’ils le font naturellement ?
Pourquoi les enfants devraient-ils tous apprendre la même chose, au même moment, au même âge et de la même manière alors que chaque vie est unique et organique (le contraire même de linéaire et standardisé…) ?
Il propose de passer à une éducation sans coercition, non standardisée, plus conforme à la vie, c’est-à-dire qui prenne en compte l’imprévu, la richesse de la diversité des opinions, des intérêts, des passions, des talents, qui reconnaisse la valeur et le potentiel de chaque enfant.
Les enfants sont conçus pour apprendre dans la joie et de manière auto dirigée. C’est cruel de les priver de ces mécanismes naturels et parfaitement adaptés, au risque de créer des dysfonctionnements que nous corrigerons avec encore plus de souffrance et/ou d’inefficacité.
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Pour les anglophones, lien vers la vidéo source de Peter Gray
Et son livre : Libre pour apprendre : libérons nos enfants pour qu’ils retrouvent le bonheur d’apprendre et la confiance en eux (co éditions Actes Sud)