15 points essentiels pour élever des humains heureux
A l’occasion du cycle des Entretiens d’Issy consacré au bonheur en 2015, Catherine Dolto, médecin pédiatre, haptnothérapeute, auteur pour enfants et fille de Françoise Dolto, a donné une conférence sur le bonheur en famille.
Je partage avec vous les grands enseignements que j’en ai retenus à propos du bonheur des enfants.
Pour Catherine Dolto, un enfant heureux et équilibré perçoit avec ses sens ce qui se passe à chaque instant : il peut se réajuster sans cesse et regarder à l’extérieur pour prendre part au monde, il est au courant de son potentiel et a confiance en lui.
Elle utilise le mot “accordé” pour désigner un enfant en accord avec lui-même. Un enfant accordé a le sentiment de complétude, d’intégration, il se sent vivant jusqu’au bout des ongles, il se sent en sécurité auprès de ses parents même dans une situation de danger, il a confiance en ses sens et ses émotions.
J’ai repéré 15 points essentiels pour ouvrir l’intelligence des enfants et élever des humains heureux :
1. Accorder un soin et une attention particuliers à la grossesse, à l’accouchement et à la petite enfance
Pour Catherine Dolto, le soin apporté aux bébés in utero et extra utero est un élément fondateur.
In utero, les enfants ont besoin de sentir l’affection de leurs parents, à travers des caresses, des paroles, des mouvements de la mère… On connaît aujourd’hui les conditions du bon accueil des petits humains (peau à peau, portage, liens affectifs dès les premières secondes de vie extra utérine, réponses aux pleurs des bébés…) et les effets de l’attachement sur le développement à long terme des humains.
On rejoint ici les principes du continuum tels que développés dans cet article.
2. Multiplier les moments de “lust” (= joie, plaisir, temps partagé, attention)
Les enfants ont besoin de vivre des moments de plaisir et de joie : ils developpent tous leurs possibles quand ils expérimentent régulièrement des moments de joie, de bien-être, de complétude (portage, paroles échangées, chansons, lectures, encouragements…).
Ces moments de “lust” sont des moments de maturation extraordinaire car la joie est l’émotion des apprentissages, quelle qu’en soit la nature. Si les apprentissages se faisaient dans la douleur, aucun bébé humain n’apprendrait jamais à parler ni à marcher. La nature a doté les humains de l’émotion de joie associée à la découverte (et l’intensité de la joie est encore plus élevée chez les plus jeunes humains). Cette joie est le moteur de la curiosité. C’est la raison pour laquelle les tout-petits veulent tout toucher, posent tant de questions et agissent autant dans leur environnement (grimper, rouler, répéter, lancer…). L’exploration donne envie de découvrir davantage pour éprouver une joie encore plus grande.
3. Confirmer la nature bonne des enfants
Aucun être humain ne peut grandir sans confirmation affective, c’est-à-dire le fait de sentir que nous représentons du bon pour l’autre. – Catherine Dolto
Les enfants ont besoin de sentir qu’ils sont vécus comme bons dans la famille, à l’école et à la crèche.
Quand ils entendent et intègrent “c’est bien que tu sois là, ton existence rend la vie plus belle”, les enfants vivent de vrais de moments de bonheur fondateurs de leur équilibre.
4. Respecter les enfants en toutes circonstances
Chaque enfant a besoin de respect pour sa singularité, ses goûts, ses rêves, ses particularités, ses traits de caractère.
Janusz Korczak estime que les enfants ont le droit au respect de la part des adultes sur ces 7 autres points :
- le respect pour leur ignorance
- le respect pour leur travail d’apprentissage
- le respect pour leur infortune et leurs larmes
- le respect pour leurs propriétés et leur budget
- le respect pour les mystères et les aléas de leur laborieux travail de croissance
- le respect pour l’heure et le jour présents (Catherine Dolto parle de “maltraitance temporelle“)
- le respect pour chaque instant de vie
5. Inviter, gagner la coopération (plutôt que manipuler ou obliger)
L’éducation repose sur une compréhension sincère, profonde et respectueuse des besoins et des motivations de l’autre, de l’enfant en l’occurrence.
La façon la plus puissante dont je puisse parvenir à éduquer une personne qui agit de manière qui me déplaît (qui heurte mes besoins) est de manifester de la compréhension pour ce qu’ils ont fait. C’est seulement au moment où la personne a confiance en ma capacité et ma volonté à comprendre les raisons qui l’ont poussée à agir de cette manière que j’aurai du pouvoir à les amener à considérer une autre manière d’agir.
Etre en empathie avec les bonnes raisons et les besoins démontre à l’autre qu’on ne le juge pas d’une manière qui implique qu’il a tort : nous comprenons ce qui est vivant en lui quand il fait ce qu’il fait. – Marshall Rosenberg
Voir cet article : 5 compétences pour susciter la coopération chez les enfants
6. Consolider chaque jour la confiance en soi des enfants
Catherine Dolto insiste sur le fait de ne jamais insulter l’avenir que les enfants portent en eux. Or cela peut se faire rapidement, à travers un regard, une intonation de voix, un mot (toujours, jamais), une étiquette (“tu es…“).
Elle nous invite à toujours faire confiance dans l’avenir que l’enfant porte en lui, même dans des moments difficiles ou de transgression.
Quand un enfant ne se sent pas porteur d’avenir, il ne peut pas se développer. – Catherine Dolto
7. Laisser une marge de manoeuvre et un espace de liberté
Il y a danger quand les règles et les limites prennent la place de la vie. Catherine Dolto propose d’utiliser l’humour comme manière de permettre des petites transgressions de règles dans lesquelles s’engouffrent la créativité de la vie sans mettre en péril la vie de famille.
8. Ecouter, entendre, comprendre (même les colères)
La manière dont parle Catherine Dolto ressemble beaucoup à l’écoute active telle que proposée par Thomas Gordon (voir cet article).
Elle explique que la colère n’est ni méchante ni gentille : c’est une émotion qui permet de surmonter des frustrations ou de réagir face à de non dits (la colère des enfants comme des adultes a une valeur réparatrice). On peut accompagner les colères des enfants avec bienveillance et faire suivre les épisodes de colère de paroles : “qu’est-ce que je n’ai pas compris pour que ça te mette dans une telle colère ?”
9. Raisonner en termes de “paradis perdu”
Catherine Dolto utilise l’expression “paradis perdu” pour désigner une chose qui participe à notre équilibre et que nous craignons de perdre ou que nous regrettons. On passe notre vie à perdre quelque chose pour en acquérir une nouvelle (perdre les couches pour être propre, perdre la dépendance pour acquérir la marche…). Il est normal d’avoir peur de passer certains seuils car on va vers l’inconnu, on prend des risques, on s’éloigne. Pourtant, les humains se remettent tout le temps au monde et se déploient grâce à ces pertes.
Plusieurs questions peuvent nous aider à mieux comprendre certaines réactions des enfants :
- quel paradis l’enfant a-t-il peur de perdre ?
- est-ce que je permets ou j’entrave cette perte ?
- quel paradis perdu pleure-t-il ?
- qu’y a-t-il de bon dans la nouvelle situation ?
10. Etre heureux soi-même
Le bonheur comme le malheur sont contagieux. Nos comportements influencent nos gènes et ceux de nos enfants. L’épigénétique est la modulation de l’expression des gènes en fonction de notre comportement quotidien. Le plaisir éprouvé dans la vie est un des facteurs qui participe à modifier l’expression de nos gènes.
Les modifications épigénétiques restent en mémoire à long terme grâce à des marqueurs stables. L’activation ou l’inhibition d’un gène peut se produire après des décennies et même se transmettre d’une génération à l’autre.
Le changement de l’expression des gènes est donc transmissible aux générations futures. L’épigénétique nous invite à mesurer l’importance d’une vie saine, pour nous même et pour nos enfants.
11. Dire la vérité aux enfants même très jeunes et dévoiler les secrets de famille
On ne sait pas encore tout à fait comment mais les choses se savent de générations en générations et il est imprudent de les cacher. Mais cela ne veut pas dire pour autant de dévoiler les secrets de famille n’importe quand et n’importe comment. Ce n’est pas en assénant des vérités sans préparation ou en culpabilisant ceux qui les ont cachées qu’on fait du bien.
12. Se comporter en adultes contenants (cadre et chaleur)
Il est possible d’être fermes et bienveillants à la fois. Cela peut passer par des explications progressives et adaptées à l’âge des enfants du sens de la liberté : la sienne et celle des autres.
Voir cet article : 8 pistes pour allier fermeté et bienveillance
13. Accorder sa place au mouvement, à la motricité et au jeu libres
L’enfant a tout le temps besoin de mouvement, que ce soit un mouvement d’âme, de pensée ou des membres. L’intelligence se construit par le mouvement, du bas (l’expérience, les membres) vers le haut (le cerveau).
Le jeu libre et la motricité libre sont des constitutifs essentiels au bon développement des enfants. Voici quelques uns des intérêts de la motricité libre :
- chaque bébé apprend à son rythme,
- il apprend qu’il est capable de trouver seul une solution à ses problèmes de déplacement,
- il construit ses compétences sans brûler d’étape.
Si on enlève le jeu libre aux enfants, on les prive de la possibilité de :
- comprendre que le monde n’est pas si effrayant que ça,
- éprouver de la joie et de la fierté,
- faire « comme si » et de s’échapper de la réalité par l’imaginaire
- se frotter aux autres
- confronter des points de vue
- pratiquer l’empathie
- surmonter leur narcissisme
- créer et innover.
Pour aller plus loin : Bouger et se dépenser physiquement est un besoin fondamental des enfants… souvent négligé
14. Laisser les grands enfants résoudre leur équation de transmission
Catherine Dolto utilise l’expression “équation de transmission” pour désigner le travail que doivent faire les adolescents et les adultes pour trouver ce qui donne sens à leur vie.
Résoudre notre équation de transmission, c’est faire le bilan de ce qu’on a reçu de nos parents, de nos enseignants, de notre environnement pour décider de ce que l’on garde, de ce que l’on laisse, de la manière dont on le transforme et le restitue au monde. Quand on a résolu notre équation de transmission, on peut accéder au bonheur.
Qu’est-ce que j’ai reçu ?
Qu’est-ce que je transmets ?
Si j’ai reçu des choses négatives, qu’est-ce que je vais en faire de bon ?
15. Refuser la “lacération” de la vie familiale par les nouvelles technologies (tablettes, smartphones…)
Chaque fois qu’on évite de se parler, on régresse un peu en humanité. – Catherine Dolto
Le flux d’information est permanent, la technologie nous éloigne les uns des autres et disperse notre attention. Catherine Dolto nous incite à réguler l’utilisation des tablettes et smartphones pour resserrer les liens familiaux.
Lire aussi : Le vide relationnel provoqué par les parents distraits par les écrans (et comment déconnecter en famille)
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Source : vidéo You Tube Le bonheur en famille avec Catherine Dolto