L’anxiété liée à la mort : pour un droit au chagrin et à la peur
Haïm Ginott, psychologue et auteur de Entre parent et enfant, écrit que les enfants ne peuvent pas comprendre que la mort soit définitive et que ni leurs parents ni leurs propres souhaits ne peuvent ramener celui ou celle qui est parti.e. Cela leur porte un coup terrible de réaliser que le pouvoir qu’ils estiment magique de leurs vœux soit futile, inutile face à la mort.
Comme plusieurs de leurs croyances sont ébranlées, les enfants se sentent faibles et anxieux : ils ont beau le vouloir de toutes leurs forces, ils ne peuvent pas influencer les événements; leurs parents ne sont pas tout puissants car ils ne peuvent empêcher la mort d’emporter des gens aimés.
Confrontés à un deuil, non seulement les enfants ressentent la tristesse de la perte d’un être cher, d’un animal de compagnie mais ils comprennent également que les gens qu’ils aiment peuvent mourir et donc les abandonner.
Il est tentant de vouloir mettre les enfants à l’abri de la douleur et de la tristesse en niant cette vérité : par exemple, remplacer un animal de compagnie mort par un autre sans le dire aux enfant ou offrir tout de suite un nouvel animal à l’enfant endeuillé.
Or personne ne devrait être privé de son droit au chagrin et des étapes normales du deuil. Oui, c’est douloureux de perdre quelqu’un qu’on aime et cela peut prendre du temps de faire le deuil. Oui, penser à la mort, ça peut faire peur et c’est normal !
Il faut ériger en principe de base le fait de ne pas enlever aux enfants la possibilité de partager la tristesse aussi bien que les joies qui surgissent inévitablement dans le cours d’une vie de famille. Quand une mort survient et qu’on ne dit pas à l’enfant ce qui s’est passé, il peut rester enveloppé d’un linceul d’anxiété sans nom. Il peut aussi remplir cet espace vide dans ses connaissances par des explications chargées de peur et de confusion. Il peut se reprocher cette perte à lui-même et se sentir séparé non seulement du mort, mais aussi des survivants. – Haïm Ginott
7 propositions pour accompagner les anxiétés des enfants liées à la mort
1.Permettre d’exprimer complètement ce qui fait peur aux enfants, ce qu’ils imaginent et ce qu’ils ressentent.
Les vérités et les émotions tues sont une source majeure d’anxiété. Haïm Ginott suggère d’adopter une attitude d’écoute empathique qui ne censure aucune pensée, aucune émotion, aucune question.
2.Mettre des mots sur quelques uns des sentiments et émotions que tout enfant peut ressentir
Certains enfants ont du mal à exprimer leurs émotions (manque de vocabulaire, peur de s’exposer, douleur tellement forte qu’elle bloque le passage à la mise en mots, confusion…). Les adultes peuvent alors verbaliser pour l’enfant ce qu’ils estiment être ses sentiments.
Mamie te manque.
Tu l’aimais beaucoup. Et elle t’aimait. C’est tellement douloureux quand des gens qu’on aime et qui nous aime meurent.
Tu aimerais qu’elle soit encore avec nous.
Tu souhaiterais qu’elle soit encore en vie.
C’est difficile de croire qu’elle est morte.
Tu te souviens si bien d’elle et de tous vos bons moments.
Tu souhaiterais pouvoir encore lui rendre visite.
3.Répondre aux questions des enfants brièvement et avec honnêteté
Les enfants posent beaucoup de questions : est-ce que la mort fait mal ? est-ce que les morts reviennent un jour ? est-ce que ses parents vont aussi mourir un jour ? est-ce que lui même va mourir et quand ?
Nos réponses doivent être brèves et exactes : quand quelqu’un est mort, le corps ne souffre plus, la personne morte ne revient pas, tous les gens finissent par mourir, on ne sait pas quand on va mourir, même les enfants peuvent mourir.
On peut essayer de reformuler les craintes sous-jacentes des enfants plutôt que chercher à les rassurer : un enfant qui demande si ses parents vont mourir n’a pas forcément besoin d’entendre que oui, ils mourront mais quand ils seront vieux car il sait déjà à son âge qu’une personne jeune peut mourir. Il a surtout besoin que ses craintes d’abandon soient reformulées : “Cela te fait peur de savoir que je vais mourir un jour ?”
Le message à passer aux enfants tient en ces mots : “je respecte ta peur, tu n’es pas le seul à avoir ces pensées et à ressentir ces émotions, et tu mérites de te sentir entier et autoprotégé”.
4.Éviter les euphémismes et métaphores
Quand on dit à un enfant que les morts dorment ou qu’ils sont partis au ciel, cela peut générer de la confusion dans leur esprit. Haïm Ginott cite l’exemple d’enfants à qui on a dit que leurs grands parents étaient partis pour un sommeil éternel : ils ont demandé s’ils avaient pris leur pyjama ou étaient en colère qu’ils ne leur aient pas souhaité bonne nuit.
5.Rester cohérent entre ce qu’on dit et ce que le corps montre
Quand on donne les faits simplement et franchement en les accompagnant d’un câlin affectueux et d’un regard aimant, les enfants se sentent rassurés. Mais cette approche empathique ne peut être efficace que si les attitudes des adultes sont cohérentes avec les paroles. C’est l’occasion de se montrer authentiques et vulnérables avec les enfants : nous aussi pouvons être effrayés par la mort, nous aussi souffrons de la perte d’un être cher, nous non plus ne comprenons pas toujours le sens de la vie et de la nature humaine.
6.Décider avec l’enfant
Certains parents se demandent à quel point impliquer des enfants dans les rituels mortuaires et les réunions de famille suite à un décès. La réponse toute faite n’existe pas et le plus important est de décider avec l’enfant.
Dans une famille en deuil, les enfants ont besoin de quelqu’un auprès d’eux qui le écoute sans se laisser envahir par le chagrin, qui les emmène se promener ou s’amuser dehors si c’est ce qu’ils souhaitent.
7.Laisser le temps faire son œuvre sans brusquer les choses
Les enfants auront probablement besoin de raconter encore et encore des épisodes qui leur font peur, de poser des questions autour de ce thème, de rejouer des scènes d’accident, d’enterrement, de deuil, de jouer à des jeux mettant en scène des morts et des résuscitations. Le jeu et la mise en récit sont leurs manières de digérer et surmonter le traumatisme que représente une perte douloureuse. Les enfants victimes d’un traumatisme ont besoin de raconter leur histoire avant de pouvoir s’en remettre.
Les enfants se servent en effet de ce qu’ils connaissent le mieux, le jeu, pour donner un sens à ce qu’ils comprennent le moins, la mort la perte, le deuil. Quand on bannit le thème de la mort des jeux des enfants ou de leurs histoires, on les prive de leur meilleur outil pour lui trouver un sens. Il est normal que les personnages imaginaires dans les jeux des enfants meurent et reviennent à la vie plusieurs fois de suite. Dans ces jeux, la mort est révocable : ainsi, les enfants assimilent la réalité douloureuse que ce n’est pas le cas dans la vraie vie.
Des livres qui peuvent servir de médiateurs pour aborder le thème de la mort avec les enfants :3 livres pour aborder la mort avec les enfants
En complément, une approche douce comme l’hypnose peut être utile.
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Sources :
Entre parent et enfant de Haïm Ginott (édition L’atelier des parents)
J’ai plus peur : aider un enfant à surmonter ses craintes de Lawrence Cohen (éditions JC Lattes)