Les expériences de la toute petite enfance sont emmagasinées dans la mémoire implicite.
Joanna Smith est psychologue clinicienne formée à l’ICV. Elle est l’autrice du livre A la rencontre de son bébé intérieur (éditions Dunod). Elle y écrit que les expériences de la toute petite enfance sont emmagasinées dans la mémoire implicite. Les progrès des neurosciences de ces dernières années indiquent que, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, les expériences des premiers mois, des toutes premières années de vie sont bel et bien conservées dans notre mémoire, sous forme de mémoire implicite.
Nous ne nous souvenons pas comment nous avons appris à marcher, pourtant, à moins d’un handicap, nous savons bel et bien marcher aujourd’hui. De la même manière, nous ne nous souvenons pas comment on nous a appris à nous traiter nous-même, bien ou mal, mais nous restons sous cette influence, de façon d’autant plus redoutable que cet apprentissage est implicite, non disponible à la conscience et au détachement critique par la réflexion.- Joanna Smith
Un bébé ou jeune enfant qui a été exposé de manière répétée à des carences, des rejets, de la répression émotionnelle, des maltraitances physiques ou pire développe une façon « automatique » de sentir comment il est normal d’être traité et de se traiter lui-même. En l’occurrence il n’apprend pas à sentir qu’il a de la valeur, et qu’il est digne d’être traité avec amour et respect.
En grandissant et sans possibilité de s’exprimer d’une manière ou d’une autre (parent qui prend conscience de ses méfaits et s’excuse puis laisse l’enfant exprimer ses émotions, témoin secourable dans l’entourage, prise en charge thérapeutique…), le bébé intérieur continue de souffrir. L’adulte continue de se comporter comme s’il était en danger d’abandon, comme s’il était constamment insuffisant et indigne d’amour, comme s’il était normal d’être maltraité.
Les expériences accumulées in utero et jusqu’à 3 ans, gardées en « mémoire implicite », ont une importance décisive sur l’image de soi, la régulation des émotions (angoisse, stress, tristesse, colère…), la capacité à s’attacher aux autres et à être proche, l’affirmation de soi et la tendance à développer des maladies psychosomatiques, et ce, sans même que nous en ayons des souvenirs conscients. – Joanna Smith
Mémoire implicite et carences éducatives/ situations traumatiques chez les bébés et jeunes enfants : le lit de nombreuses souffrances incomprises à l’âge adulte
Mémoire implicite et mémoire explicite
Joanna Smith explique que le concept de mémoire implicite permet de rendre compte de cette forme particulière de mémoire qui amène les humains à retenir les conclusions d’une expérience sans souvenirs conscients de celle-ci.
La mémoire implicite s’oppose à la mémoire explicite, dont elle est complémentaire, et qui correspond à « ce dont nous nous souvenons » (consciemment), autrement dit les épisodes de notre vie que nous pouvons nous remémorer consciemment et raconter.
La différence essentielle entre mémoires implicite et explicite réside dans le fait que, lorsque la mémoire implicite est active, nous n’avons pourtant aucune conscience d’être en train de nous remémorer quoi que ce soit, contrairement à la mémoire explicite.
La mémoire implicite porte sur les perceptions, les expressions et les mouvements corporels, les actions que nous menons, les émotions que nous éprouvons, les relations que nous expérimentons. Nous apprenons sans le savoir, d’une manière automatique, dès le début de notre existence, avant même d’accéder au langage et au raisonnement, rappelle Joanna Smith.
La mémoire implicite est le socle de notre normalité subjective. Or ce qui est normal ne nous choque pas, par définition : c’est notre norme. Donc la personne qui n’a connu que des carences éducatives va avoir du mal à reconnaître ce qui relève de la négligence, de la maltraitance (émotionnelle et/ou physique), de la violence, même parvenue à l’âge adulte.
Mémoire implicite et immaturité cérébrale des bébés
La clé pour comprendre pourquoi la mémoire implicite, celle des premières années de la vie, a tant d’influence sur la vie ultérieure, est l’immaturité cérébrale du nourrisson à la naissance. Cette grande immaturité du nourrisson humain entraîne une grande dépendance à l’égard des adultes qui s’occupent de lui (généralement ses parents).
Les parents vont en quelque sorte jouer un rôle de « prothèse » temporaire, de cerveau externe, en “prêtant” au bébé les parties les plus matures de leur cerveau (à travers des soins respectueux de son corps, la mise en mots de ses émotions, des gestes doux, des manifestations d’amour, du réconfort, des réponses à ses besoins, des interactions positives…).
La mémoire implicite est déjà opérationnelle in utero. Au contraire, la mémoire explicite survient de manière plus tardive, puisqu’elle dépend de structures cérébrales qui sont immatures à la naissance et qui ne deviennent fonctionnelles qu’à partir de l’âge de 18 à 24 mois, permettant l’émergence des premières bribes de souvenirs.
Joanna Smith écrit que tout ce qui sera mémorisé au cours des premières années de la vie le sera donc exclusivement en mémoire implicite, y compris les éventuels manques affectifs ou traumatismes (pertes dans l’enfance, expositions à des violences conjugales, violences sexuelles…) survenus à cette période, qui seront actifs en nous malgré le fait que nous ne puissions pas nous les remémorer.
La mémoire implicite va contenir les sensations et conclusions tirées des expériences précoces, pour constituer peu à peu la toile de fond sur laquelle va se dérouler la vie de l’individu. – Joanna Smith
Conséquences de l’apprentissage implicite de la peur dans les premières années de la vie (la notion de bébé intérieur)
La mémoire implicite exerce son emprise tout au long de la vie.
La mémoire implicite domine la vie intra-utérine et les premières années de la vie, mais elle continue d’exercer son emprise sur nous tout au long de la vie.
Quand l’apprentissage implicite de la peur a eu lieu lors des premières années de la vie, il peut être difficile de comprendre certaines peurs apparemment inexpliquées précisément parce qu’elles sont issues d’expériences infantiles précoces.
Du fait que l’amygdale, centre des émotions, est déjà fonctionnelle à la naissance, le petit cerveau humain est capable d’emmagasiner précocement des apprentissages au niveau de ce qui représente un danger et de la manière de recevoir de la protection et du réconfort.
La dissociation, mécanisme de survie qui a des répercussions à l’âge adulte
Si le bébé n’est pas suffisamment protégé, et qu’il est exposé à des situations stressantes ou traumatisantes pour lui (ou pour ses figures d’attachement), alors ces expériences constituent des réseaux neuronaux dissociés du reste de son fonctionnement cérébral.
La dissociation consiste à isoler, au niveau cérébral, une expérience émotionnelle trop forte, qui ne peut être intégrée, du fait de son intensité. L’isoler permet de protéger le reste de l’organisme du risque d’une réaction émotionnelle envahissante et potentiellement mortelle.
En effet, quand le corps perçoit une menace, il est sous stress et sécrète des hormones de stress (adrénaline et cortisol) pour préparer le corps à l’attaque ou à la fuite par l’accélération du rythme cardiaque. Mais comme le bébé et le très jeune enfant ne peuvent ni fuir ni attaquer, il y a un réel danger pour la survie du corps (risque de crise cardiaque… car, oui, on peut mourir de stress). Le mécanisme de survie conduit alors à l’anesthésie émotionnelle pour éviter la crise cardiaque. L’expérience vécue ne peut pas être encodée au niveau de l’hippocampe, siège de la mémoire. L’événement reste piégé dans l’amygdale comme une bombe à retardement.
En effet, lorsqu’une situation dangereuse a été trop forte pour être « digérée » au niveau cérébral, alors elle n’a pas pu être « datée » par le cerveau: lorsqu’elle est réactivée, elle est donc vécue comme si le danger était encore actuel. Quand la situation effrayante/ traumatisante a été vécue avant le début des souvenirs, celle-ci est encodée exclusivement en mémoire implicite.
Il n’est alors pas possible de reconnaître sa source lorsqu’elle est activée par l’effet de la mémoire traumatique: la personne ressent une angoisse diffuse, plus ou moins forte, sans pouvoir prendre conscience que c’est la situation présente qui active une mémoire traumatique liée aux premières années de la vie.
A la rencontre du bébé intérieur
Joanna Smith propose une approche pour accompagner les personnes souffrant de mémoire traumatique liée à leur mémoire implicite. Cela passe par le fait de prendre soin de son bébé intérieur (en psychothérapie de préférence).
En complément de la technique de reparentage, Joanna Smith pratique l’approche de l’ICV (Thérapie des Cycles de Vie) dont l’objet est justement de travailler sur les souvenirs de la petite enfance.
Le reparentage
Le reparentage du bébé intérieur consiste à lui donner la sécurité qui lui a manqué pour une raison ou une autre.
Le reparentage est une pratique thérapeutique qui va permettre de réparer ce qui vous a manqué par le passé, en allant le donner à votre bébé intérieur de façon « imaginaire »… mais c’est une pratique dont les effets thérapeutiques sont, eux, bien réels ! – Joanna Smith
Le reparentage permet d’entrer en contact avec des parties de soi qui ont manqué d’une intervention parentale suffisamment sécurisante, bienveillante ou aimante. Il ne s’agit pas de juger les compétences du parent du passé, mais plutôt de les compléter en se centrant sur le bébé intérieur qui est encore là aujourd’hui, avec ses blessures, ses manques, ses besoins non assouvis.
Joanna Smith écrit que reparenter un bébé ou tout-petit intérieur nécessite un minimum de bienveillance et de compassion envers soi-même. Parfois, certaines personnes peuvent ressentir de l’hostilité, de l’irritation, du dégoût, du rejet ou toute autre réaction négative à l’égard de leur propre bébé intérieur (à un ou plusieurs âges), comme avoir la sensation qu’il est laid, malade, dégoûtant, anormal ou difforme. Cela indique généralement que le « stock » intérieur de douceur et de bienveillance n’a pas été suffisamment rempli au tout début de la vie et que l’intervention d’un tiers va être utile, voire nécessaire (en thérapie donc).
Il est possible que vous n’ayez pas reçu suffisamment d’amour inconditionnel au tout début de la vie pour avoir le sentiment de mériter de vous le donner, même si vous savez le donner à d’autres. – Joanna Smith
Ceci peut coexister avec le fait d’aimer ses propres enfants du même âge ou de prendre soin d’enfants de manière appropriée.
En ICV, les thérapeutes contribuent à consolider l’adulte d’aujourd’hui, et sa bienveillance à l’égard du bébé intérieur, afin que ce soit lui qui puisse protéger les parties enfant portées en soi. Cela se fait par le biais de l’utilisation de la Ligne du Temps.
Cette Ligne du Temps permet de réfléchir à ce que nous savons des débuts de notre vie et qui pourrait nous éclairer sur ce que nous ressentons à l’égard du bébé intérieur: qui nous a transmis cela et comment ?
Elle permet de dater des événements non digérés et de consolider la sécurité intérieure, en ne se limitant pas au reparentage, qui est parfois insuffisant pour se remettre de son enfance.
L’intégration de l’histoire de vie et la construction de la Ligne du Temps
L’intégration de l’histoire de vie permise par la Ligne du Temps en ICV présente de nombreux avantages :
- mieux se connaître, identifier les étapes de sa vie, prendre conscience de certains événements non intégrés de son histoire personnelle;
- réduire les tiraillements que l’on peut parfois ressentir dans sa vie face à des prises de décision difficile du fait que des émotions non résolues du passé « tirent » encore en arrière, et empêchent de vivre pleinement le présent;
- éprouver un sentiment de continuité, d’identité plus cohérente, comme si l’on prenait conscience que tous ces événements ont été vécus par une seule et même personne, et qu’ils sont reliés les uns aux autres d’une manière cohérente, qui a du sens dans une trajectoire personnelle.
>>> Le site de l’Association Francophone d’Intégration du Cycle de la Vie à ce lien
Joanna Smith rappelle d’ailleurs à la fin de son ouvrage en quoi une éducation consciente et bientraitante est primordiale pour élever des enfants qui n’auront pas besoin de se remettre de leur enfance une fois parvenus à l’âge adulte. Elle reconnaît également la difficulté à conserver une ligne bientraitante quand un travail intérieur n’a pas été engagé. Elle rappelle que de nombreux ouvrages, basés sur le développement cérébral des tout-petits, proposent des outils de parentalité bientraitante (citons Catherine Dumonteil Kremer, Daniel Siegel ou encore Faber et Mazlish). Par ailleurs, les associations de soutien à la parentalité se multiplient (voir Les Peps Café par exemple), et plusieurs groupes/ pages sur les réseaux sociaux permettent d’entrer en relation avec d’autres parents pour trouver des solutions éducatives respectueuses de l’enfant aux problèmes rencontrés au quotidien.
Pour être un parent suffisamment bon, il me semble qu’il ne suffit pas simplement d’avoir un attachement sécure. Nous sommes imprégnés, notamment en mémoire implicite, des modèles éducatifs que nous avons reçus. Il est souvent nécessaire de pouvoir profiter de l’expérience et du sens critique d’autres parents pour prendre conscience de ces modèles et choisir ce que l’on en garde ou pas. – Joanna Smith
……………………………………………………..
Source : A la rencontre de son bébé intérieur de Joanna Smith (éditions Dunod). Disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce.
Commander A la rencontre de son bébé intérieur sur Amazon ou sur Decitre