Il n’y a pas de raison de craindre ou réprimer l’émotion de colère ni chez les adultes ni chez les enfants.
L’émotion de colère n’est pas synonyme de violence.
Séparer les émotions positives et négatives n’a pas de sens.
Il n’y a pas de raison de séparer les émotions positives et négatives (et donc de craindre et réprimer les émotions dites “négatives” comme est souvent étiquetée l’émotion de colère). La vie est faite de sentiments mêlés et ambivalents et les émotions sont toutes des messagères au service de la vie. On peut être à la fois triste et soulagé de la mort d’un proche qui avait une longue et douloureuse maladie ou qu’un voleur à l’étalage pourra ressentir à la fois excitation et culpabilité.
De même, l’espoir combine toujours le désir qui donne énergie et courage et l’appréhension que l’objectif ne soit pas atteint; le pardon peut apaiser le ressentiment mais il peut aussi l’aviver et conduire à somatiser (parce que le pardon va mettre un couvercle sur les émotions de colère et de tristesse) -> pour aller plus loin :« Nous n’avons nul devoir de gratitude envers des parents qui nous ont maltraités. » – Alice Miller .
Ainsi, on comprend que l’émotion de colère aussi est une émotion humaine normale et faite d’ambivalence. Quand elle n’est pas exprimée, la colère peut conduire à la violence (contre soi ou contre les autres) mais il est important de garder en tête qu’elle est d’abord l’émotion qui permet de se réparer face à l’impuissance, d’affirmer des limites personnelles et de se révolter contre le manque de respect, qui pousse à s’unir pour affronter des injustices communes.
La colère est souvent accompagnée d’autres émotions : si un parent en colère contre son enfant qui a traversé la route sans regarder cherche à comprendre ce que cache cette colère, il se rendra compte que c’est probablement la peur pour la vie de l’enfant qui est à l’origine de la colère.
La manifestation de l’émotion de colère
La colère est un message nécessaire que nous envoie le corps mais qu’on sait mal décoder. Elle nous fait parfois faire et dire des choses que nous regretterons après parce que le cerveau qui réfléchit est court circuité par le circuit émotionnel. Il n’y a plus le filtre qui permet les actes socialement acceptables et acceptés.
Toutefois, l’émotion de colère est différente de l’expression de la colère. Le problème n’est jamais l’émotion de colère en soi, mais la manière dont est manifestée la colère.
Une émotion est de l’ordre du réflexe physiologique : elle passe par le corps et est déclenchée involontairement. L’émotion de colère a plusieurs dimensions :
- les sensations physiques (ex : coeur qui bat plus vite, gorge serrée, visage rouge, mouvement qui invite à repousser…),
- l’intensité de l’émotion (agacé, énervé, excédé, en rage…),
- les pensées (ex : il le fait exprès, elle me prend pour un abruti…)
- les tendances à l’action (ex : envie de frapper, de casser, d’insulter…).
L’expression de la colère peut quant à elle recouvrir différentes manifestations : constructive ou destructive, intériorisée/ réprimée ou explosive, colère rancune (rentrée mais ruminée) . Une colère explosive n’est pas un problème une fois dans une vie (à partir du moment où il y a excuse envers les personnes blessées, réflexion personnelle et engagement à ne pas reproduire) mais la récurrence pose un vrai problème, à la fois dans les relations interpersonnelles mais aussi en matière de santé personnelle (somatisation, ruminations mentales…).
Tout l’enjeu de ce présent billet de blog est bien là : montrer la différence entre colère et violence et comment accueillir sa colère avant qu’elle ne se transforme en violence (ex : hurler, casser des objets, insulter, frapper…). Par ailleurs, se mettre à l’abri des personnes violentes est une priorité et apprendre à apprivoiser sa colère pour s’affirmer et se défendre sans bascules en violence est un devoir.
Les bienfaits de la colère
Chez les adultes
Il ne faut pas craindre l’émotion de colère, moteur de changement et d’indignation.
Nous avons parfaitement le droit d’être en colère. La colère est à l’origine des soulèvements contre l’oppression, l’injustice, le manque de reconnaissance – contre toute forme de mépris social ou de négation de la personne, d’atteinte à sa dignité humaine.
Nous avons tendance à croire que la colère est une émotion qui ne devrait pas exister. Pourtant, c’est une émotion utile parce que c’est l’émotion de la réparation de l’intégrité et des changements (qu’ils soient personnels ou collectifs). Elle est le moteur des changements sociaux notamment.
Eva Illouz, sociologue et autrice du livre Happycratie, dénonce le fait que gommer les émotions dites négatives (tristesse, peur, jalousie, honte et surtout colère), c’est nier la nature politique et la fonction sociale de ces émotions pourtant utiles.
C’est que toute émotion fournit une information essentielle sur la manière qu’a l’individu de construire son récit de vie, sa manière de nouer des relations, d’évoluer dans son environnement social, de supporter les pressions, de saisir ou non sa chance, d’affronter les épreuves. Toute émotion fournit également de précieuses informations sur ce qui pousse l’individu et les groupes à agir, à se rassembler, à se mobiliser. – Eva Illouz
La colère est souvent une deuxième émotion à décoder.
On a vu que la colère est une réaction saine face à l’injustice, à l’impuissance, à l’échec, à la frustration, au constat de l’inertie. C’est l’émotion qui répare en cas d’échec ou de deuil et pousse à agir pour plus de justice. Parfois, la colère est comme une “deuxième” émotion parce qu’elle est induite par la peur (par exemple quand on s’énerve après quelqu’un qui a grillé un feu rouge).
Dans son livre Parents efficaces, Thomas Gordon insiste bien sur ce point : la colère des parents contre les enfants est souvent une deuxième réaction.
Je conduis mon auto sur la grande route : tout à coup, un autre conducteur me coupe la route en voulant me doubler et il me frôle dangereusement. Ma première réaction est la PEUR : son comportement m’a fait PEUR. En conséquence de la frousse qu’il m’a causée, quelques secondes plus tard, je klaxonne et “j’agis comme une personne en colère”; je vais même jusqu’à lui crier : “Imbécile, va donc apprendre à conduire !” […]. La raison de mon comportement colérique est de punir l’autre conducteur ou de l’amener à se sentir coupable de m’avoir fait peur, afin qu’il ne recommence plus.
Cet exemple amène à réfléchir aux notions de premier message et de deuxième message : la première émotion ressentie est la peur mais elle est vite remplacée par la colère. Toute la difficulté consiste à :
- identifier la première émotion à l’origine de la colère (la peur en général mais aussi des états comme le découragement, l’inquiétude, la fatigue, le stress ou l’impuissance),
- l’exprimer sans chercher à culpabiliser l’enfant ou à lui faire la morale.
Pour éviter autant que possible les messages-tu de colère, nous pourrions tenter d’identifier le sentiment premier préalable à cette colère. Cela nous permettra d’exprimer nos sentiments authentiques plutôt que de décharger des réactions de colère sur nos enfants. Cela peut passer par des questions comme :
- Qu’est-ce qui ne va pas chez moi en ce moment précis ?
- Qu’est-ce qui est touché ?
- De quoi ai-je besoin ?
- Quel est mon sentiment premier caché derrière la colère, l’irritation ou la frustration ?
- Comment je me sens ? Qu’est-ce que je ressens à l’intérieur ?
- Est-ce que j’ai peur ? Est-ce que je suis déçu(e)/ embarrassé(e)/ inquiet(e)/ nerveux(se)/ découragé(e)/ inutile/ fatigué(e)/ préoccupé(e)/… ?
Pour aller plus loin : La colère des parents, toujours une deuxième émotion ?
Apprendre à apprivoiser l’émotion de colère
Même à l’âge adulte, on peut apprendre à apprivoiser l’émotion de colère en la décodant en termes de sensations physiques, de mots traduisant l’intensité de l’émotion, de pensées à recadrer et de tendance à l’action à canaliser vers des actions constructives (pour servir des besoins – les siens ou ceux des autres – plutôt qu’agresser). En effet, de nombreux adultes ont appris des comportements dysfonctionnels (colères explosives qui se confondent avec la violence, colère réprimée qui peut mener à la dépression, rancune, ressentiment, désir de vengeance…).
Il est possible de manifester de la colère sans agresser ni porter atteinte à la dignité des gens en décrivant les injustices avec fermeté et indignation, en parlant de ce qui se passe en nous (sensations physique, intensité de l’émotion, besoins non satisfaits). Avec les enfants, il est possible d’exprimer NOS limites personnelles plutôt que DES limites en prenant la responsabilité de nos besoins et de nos émotions.
Par ailleurs, les personnes en proie à des colères dévastatrices peuvent amorcer un travail sur la régulation des émotions en apprenant des techniques pour diminuer les effets de la situation stressante comme :
- quitter physiquement la pièce,
- apprendre des techniques de respiration,
- reparler à froid du problème après s’être préparé et entraîné à formuler ce qui a besoin d’être dit,
- apprendre le langage des émotions (s’affirmer en message Je en s’appuyant sur les émotions ressenties et les besoins insatisfaits),
- travailler sur l’intention accordée à l’autre en décodant ses bonnes raisons à lui d’agir ainsi.
L’émotion de colère chez les enfants
La colère n’est pas un caprice
Quand on voit un enfant en colère on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il est capricieux ou qu’il mène ses parents par le bout du nez, que les parents lui laissent tout passer et qu’ils ne savent pas se faire respecter. On a tendance à se dire que si c’était nous, ça ne se passerait pas comme ça… Chez la plupart des adultes, la colère des enfants est vue comme un caprice et éveille même de la violence.
Quand un enfant ne peut pas obtenir ce qu’il veut, il va se mettre en colère car c’est justement la colère qui permet d’accepter la frustration et de réparer l’intégrité. Bien que les parent puissent être exaspérés quand l’enfant se met en rage malgré leurs explications, il s’agit d’une étape nécessaire et normale de deuil (d’autant plus que les explications font appel à la raison qui est non seulement inaccessible en cas de tempête émotionnelle mais également moins développée chez les enfants que chez les adultes).
Le processus d’acceptation par un enfant qu’il n’aura pas ce qu’il veut passe par la colère !
Une colère n’est pas un caprice : c’est une réaction normale de deuil, amplifiée par l’immaturité du cerveau des enfants.
L’émotion de colère exprimer un besoin non entendu, c’est une demande à l’autre dans le but de rétablir le lien, une protestation contre ce qu’on ne peut pas tolérer, une défense de l’intégrité, de la personnalité, la colère donne la force de dire non et de se sentir soi !
Les dangers de la répression de la colère chez les enfants de la part des adultes
Quand les adultes ignorent les colères des enfants (“Arrête ton caprice”, “Va te calmer dans ta chambre”, “Pleure pas”, “Je veux pas te voir quand tu agis comme ça”), ils passent à côté d’occasions de façonner positivement leur cerveau. Il est rassurant pour un enfant de savoir qu’un adulte peut apaiser et rassurer cette ouragan qui secoue son corps, son cœur et son cerveau. C’est en revanche terrorisant pour lui de voir son parent s’éloigner alors qu’il souffre.
Par ailleurs, un enfant en colère qui reçoit incompréhension, rejet ou négation de ses émotions finit par sentir qu’il dérange, qu’il ne mérite pas d’être aimé ni aidé. Son estime de soi est fragilisée.
C’est toujours aux adultes de récupérer le lien avec les enfants : les adultes portent la responsabilité de la relation parents/ enfants car c’est eux qui ont cerveau le plus développé…. et qui va servir de “cerveau externe” aux enfants pour aider à faire maturer le leur.
Par ailleurs, la colère est un mécanisme de défense. Donc un enfant coupé de la colère risque de ne pas savoir se défendre face à des abus.
De plus, punir un enfant en proie à une tempête émotionnelle, c’est lui proposer un modèle de violence pour réagir à la frustration. Les enfants apprennent alors que les rapports de force en faveur du plus fort est une manière efficace de mener une relation, plutôt que la compréhension et la gentillesse. D’autant plus que l’impact du stress dans le cerveau de l’enfant et du manque de pouvoir personnel est à l’origine de comportements anti sociaux.
Si les parents crient sur l’enfant, ce dernier a peur d’être abandonné, peur de perdre le lien à tout jamais donc il va probablement arrêter de pleurer immédiatement. Pourtant, ce n’est pas un signe de bonne santé mentale mais plutôt de coupure à lui-même.
Une possibilité consécutive à la répression émotionnelle est que l’enfant choisisse de pleurer en silence : la détresse est encore là mais elle est invisible aux yeux de l’entourage (qui de toute façon ne veut pas la voir…). Or, quand un enfant n’est pas consolé, le taux de cortisol (hormone du stress) peut atteindre une limite toxique dans son organisme.
Accueillir la colère des enfants
Quand la détresse d’un enfant n’est ni exprimée ni écoutée, l’enfant reste submergée par ses émotions et ses fonctions cognitives supérieures sont neutralisées. Il est donc inutile de raisonner l’enfant ou de lui demander ce qu’il ressent. La seule chose qu’on peut faire est de l’accompagner dans l’évacuation ou la décharge de ses émotions.
Pour ne plus laisser la rage prendre le dessus quand nous préférerions accueillir la colère des enfants, nous avons un long et difficile travail à faire pour sortir du déni de notre propre enfance, en remettant en cause les mauvais traitements (ceux que nous avons reçus, ceux qui sont admis socialement, ceux que nous infligeons à nos enfants). Une fois cette remise en question effectuée, il reste alors à apprendre de nouvelles manières de parler, de communiquer et d’accompagner nos enfants.
Comme nous n’avons pas appris la langue des émotions et de l’empathie dans notre enfance, nous avons tout un travail de déconditionnement et de rééducation à faire.
Je vous propose quelques pistes pour accueillir l’émotion de colère des enfants :
1.Aider l’enfant à nommer son émotion
“Wow, on dirait que tu es vraiment en colère !”/ “C’est difficile pour toi, tu es frustré parce que tu ne voulais pas partir !”/ “Tu es tellement énervé après ta sœur, tu détestes quand elle fait ça !”.
2.Faire preuve d’empathie et de respect pour le ressenti de l’enfant
“X. a fait ça et ça t’a énervée parce que toi, tu avais envie de… C’est vrai que c’est enrageant quand… Je crois que j’aurais aussi été énervée à ta place”
“J’ai l’impression que tu es passé du orange au rouge, là. Tu es envie d’exploser et de hurler, j’ai l’impression.”
“Je dirais que ta colère est au moins à 8 sur 10 ou peut-être même à 9, est-ce que c’est ça ?”
3.Proposer une présence empathique plutôt qu’une séparation
L’isolement forcé pour que l’enfant “se calme et réfléchisse” est inefficace et dommageable pour son développement émotionnel. Il est possible de proposer à l’enfant de se retirer à l’abri des regards en l’accompagnant sans jugement. A la maison ou en classe, il est possible d’aménager un coin de retour au calme dans lequel l’enfant trouvera des ressources pour “redescendre” et revenir dans le vert (ex : doudou tout doux, papier et crayons pour dessiner la colère, paille dans laquelle souffler, balle anti stress à malaxer…). Il est envisageable de lui demander si cela lui ferait du bien de se rendre dans cet espace de retour au calme (seul ou accompagné) sans insister s’il refuse.
4.Montrer quelques exercices de respiration
L’objectif des exercices de respiration est d’éviter que la colère ne se transforme en violence : “J’ai l’impression que ta colère est tellement grosse qu’elle va exploser comme un volcan et tout emporter sur son passage. Viens, on va respirer pour faire diminuer la colère”.
5.Passer par des activités sensorielles pour calmer l’intensité de la colère
Ex : malaxer de la pâte à modeler, sentir une odeur agréable, écouter de la musique, regarder une boule à neige retournée, prendre un bain moussant parfumé ou encore jouer avec du sable.
6.Inviter l’enfant en colère à bouger pour libérer sa colère
Sauter, courir, crier dans un coussin, se rouler dans l’herbe, tourner sur lui-même, mettre la tête en bas…
7.Mettre un terme à l’activité et agir pour recréer le lien/ le contact
Par exemple, s’il y a une crise au moment du repas à cause d’un verre renversé, dire “Tout le monde quitte la cuisine”, aller dans la chambre ou le salon en prenant un livre apprécié des enfants, commencer la lecture à voix haute, attendre que les enfants nous rejoignent pour profiter de cette lecture, passer un moment de reconnexion émotionnelle et, enfin, rediscuter de ce qui s’est passé et passer à l’action à froid – comme aller ensemble nettoyer le verre renversé.