Mieux comprendre la honte pour la dissiper quand on en souffre (stress post traumatique)

La honte est une émotion utile et légitime.

La honte est une émotion utile et légitime. 

Babette Rothschild est une psychothérapeute américaine, spécialiste du traitement du stress post-traumatique. Elle rappelle dans son livre 8 Keys to Safe Trauma Recovery que personne n’aime se sentir honteux car la honte est une émotion hautement désagréable (sensation de contraction dans le corps, envie de pleurer, auto dénigrement, images négatives qui passent en boucle…). La honte est une émotion que peuvent éprouver certaines personnes traumatisées se sentant responsables de ce qui leur est arrivé et qui les fait souffrir. Pourtant, comme toutes les autres émotions, la honte est nécessaire pour la survie. De manière simplifiée, on pourrait dire que la honte signale que quelque chose n’est pas correct dans une relation, qu’il y a un raté du point de vue social. Sans cette alerte, nous ne pourrions pas prendre conscience des dysfonctionnements relationnels et donc avoir l’opportunité d’éviter, changer ou réparer ce qui ne va pas. Babette Rothschild compare la honte à un phare qui pointe et qui met en lumière ce qui doit absolument être corrigé. Comme la honte modèle les comportements sociaux acceptés dans un groupe socioculturel, elle pousse à adopter les comportements qui favorisent l’inclusion et l’acceptation dans un groupe humain. En effet, nous sommes mus par un processus biologique qui cherche le maintien de la vie individuel et ce maintien est facilité par l’inclusion dans un groupe social pacifique. Les émotions sociales, dont la honte fait partie, servent à préserver la pérennité du groupe pour assurer la survie de chaque individu qui le compose.

Trop ou trop peu de honte est problématique.

Comme toute chose dans l’expérience humaine, les extrêmes posent toutefois problème. Ressentir trop ou trop peu de honte n’est pas utile et même nocif, à la fois sur le plan individuel et collectif. Quelqu’un qui n’éprouve pas de honte n’a pas les barrières morales qui l’empêchent de faire du mal à autrui. Un violeur ou un parent incestueux est exempt de honte.

Sur l’autre bout du spectre de la honte, quelqu’un peut éprouver tellement de honte qu’il en devient paralysé et s’en rend malade. Une telle émotion de honte peut être éprouvée par des victimes d’agressions physiques, de harcèlement, de discriminations liées à l’homosexualité, de viol ou encore d’inceste. Cette honte est souvent liée au fait de ne pas avoir su se défendre (ou défendre autrui), de ne pas avoir fui ou alerté quelqu’un de l’agression subie. Dans les cas de violence, il y a comme un renversement de la honte : alors que c’est l’agresseur qui devrait avoir honte de ses agissements (puisqu’il porte atteinte à la dignité et à l’intégrité d’un autre être humain), c’est la victime qui se sent honteuse. La honte ne sert plus alors à arrêter le bourreau mais à alerter la victime sur un dysfonctionnement. La honte peut servir à confirmer le caractère hautement  immoral, maltraitant, violent, malfaisant des actes subis. Le problème intervient quand la honte ne se transforme pas en demande d’aide mais en isolement, en autodénigrement et en tendances automutilatrices, voire suicidaires chez la victime. Il s’agit alors de redonner à la honte son rôle en redirigeant la lumière du phare de la victime vers l’auteur des maltraitances.

Les caractéristiques de la honte

La honte est caractérisée par :

  • sa nature immédiate et physique (recroquevillement sur soi, regard fuyant, envie de disparaître),
  • son rôle puissant dans la formation des comportements sociaux (on évite ce qui fait honte),
  • l’importance du lien humain dans le dépassement de la honte.

Du fait de sa nature sociale et normative, la honte est une émotion difficilement soulageable. En effet, les groupes humains n’ont pas intérêt à ce qu’un membre se soulage facilement de sa honte pour pouvoir s’adonner à des faits qui détruisent le lien social et portent atteinte à la dignité d’autrui. Pourtant, les personnes qui éprouvent de la honte après un événement traumatique ont besoin d’en être soulagées. La honte ne se décharge pas à l’image d’autres émotions (comme le fait de pleurer en cas de tristesse ou de crier en cas de colère) mais se dissipe quand elle est reconnue et comprise par une autre personne soutenante. Un lien de qualité, chaleureux, empathique, compréhensif, ni jugeant ni moraliste est la condition pour soulager une personne en proie à un niveau de honte trop élevé.

Des clés pour surmonter la honte et s’engager dans la voie de la guérison d’un traumatisme 

  • Disposer d’informations sur le fonctionnement des réactions au stress

Selon Babette Rothschild, être informé sur le mécanisme du stress traumatique peut aider à comprendre en quoi les réactions de prostration et de non dénonciation ne sont pas anormales. En cas d’événement traumatique, une réaction de stress traumatique est enclenchée. Cette réaction assure la protection via la défense (se débattre, crier pour alerter..) ou la fuite quand elle est possible. Quand aucune des ces deux options n’est activable, alors le corps se fige pour amortir l’effet du choc. Ces trois réactions de stress sont précisément les protections dont nous a doté la nature pour survivre aux chocs traumatiques. Il arrive que ces réactions entraînent un stress post traumatique. C’est le cas quand ces réactions (attaque, défense, prostration), qui sont supposées être de court-terme et permettre au corps et à l’esprit de retrouver leur équilibre une fois l’événement passé, durent dans le temps. L’amygdale, centre des émotions dans le cerveau humain, continue de libérer des hormones de stress dans le sang au moindre événement rappelant le choc traumatique, si bien que les réactions de stress traumatiques se répètent. On comprend que ce n’est pas la faute des victimes si elles ne réagissent pas lors d’une agression ou qu’elles développent un syndrome de stress post traumatique (ex : sursauter à certains bruits, ne pas pouvoir se rendre dans certains lieux…). Ces personnes ne sont ni faibles ni lâches mais sont mues par le fonctionnement automatique et inconscient du cerveau. Se figer n’est pas synonyme de céder ou d’abandonner, encore moins de consentir ou inviter l’agresseur à continuer.

Les bénéfices du figement sont pluriels (même s’ils ne sont pas systématiques) :

  • Une proie inerte a tendance à perdre de l’intérêt pour un agresseur. Nous avons hérité de réflexes archaïques et inconscients de notre lointain passé : quand une proie semble morte, le prédateur s’en éloigne en général car il ne veut pas prendre le risque de manger de la viande morte avariée, qui peut contenir des germes et bactéries mortels. De plus, si un agresseur ne perçoit pas d’énergie de la part de sa victime, le rapport de force peut perdre de son intérêt et le figement peut représenter une stratégie efficace pour éloigner l’attaquant.
  • Dans un état de figement, la course du temps semble ralentie et cela peut laisser du temps à une personne prise au piège d’élaborer des stratégies de survie.
  • Le figement peut également atténuer la douleur via un engourdissement des membres. La peur de mourir peut également s’affaiblir, causant moins de détresse.

Se figer, que ce soit sur le coup du choc ou en état de stress post traumatique via des déclencheurs ultérieurs de la vie quotidienne, n’a rien d’honteux. C’est simplement le cerveau qui fait son travail, même si cela peut être difficile à admettre et accepter. Le figement est une conséquence involontaire et physiologique consécutif à une menace. Ne pas riposter à une attaque ne signifie pas consentir à cette attaque ou la trouver acceptable.

  • S’imaginer s’adresser à un ami qui éprouverait de la honte dans des circonstances similaires

Babette Rotschild propose d’imaginer qu’une personne qu’on aime se trouve dans la même situation (la situation pour laquelle on éprouve de la honte et pour laquelle on n’arrive pas à se pardonner). Considèrerait-on cette personne comme responsable de l’événement traumatique et de ses conséquences ? L’accuserait-on de ne pas s’être défendue ou d’avoir fui ? Si la réponse est non, quelle est la différence avec soi ? Que lui dirait-on au sujet de la honte et la culpabilité qu’elle s’afflige ? Comment appliquer la même compassion à cet ami et à soi ? Si on considère cet ami comme responsable, quelle pourrait être une réparation valable ? Comment appliquer cette réparation à soi-même ?

Nous avons tendance à être plus durs avec nous-mêmes qu’avec nos proches et ce dialogue imaginaire peut aider à prendre conscience que la honte ressentie n’est pas légitime.

  • Réattribuer la honte à l’oppresseur par l’intermédiaire d’un tableau

Babette Rothschild suggère de réaliser un tableau avec deux colonnes : l’intitulé de la première porte le nom de l’agresseur et l’intitulé de la deuxième celui de la victime. Dans chaque colonne seront listés les actes honteux de chacun. L’idée est de se rendre compte que la liste de l’agresseur sera beaucoup plus longue et que les quelques actes générateurs de honte chez la victime sont des réactions à ceux de l’agresseur (comme le fait de ne pas avoir protégé un petit frère des coups du père ou de ne pas s’être débattu lors d’une agression sexuelle).

La victime pourra se rendre compte qu’elle n’est pas mauvaise ou lâche, qu’elle n’a pas mérité ce qui lui est arrivé mais que la honte devrait être ressentie par l’agresseur qui est le seul fautif. La responsabilité des souffrances revient au bourreau et la colère contre ce dernier peut émerger à la place de la honte chez la victime.

  • Parler à une personne informée sur la mémoire traumatique, empathique et disponible

Confier sa honte à une autre personne permet de voir l’horreur que les actes de l’agresseur font émerger chez cette personne, renforçant chez la victime sa position de victime innocente. Voir dans les yeux d’une personne qu’elle est révulsée par les actes du bourreau et qu’elle les condamne fermement, sans atténuation de la responsabilité de ce dernier ni recherche d’excuses, soulage la victime du poids de sa honte.

Toutefois, Babette Rothschild alerte sur certains écueils :

    • mieux vaut ne pas raconter son histoire traumatique quand on se sent encore trop fragile (le “bon” timing est celui indiqué par les sensations éminemment personnelles),
    • mieux vaut s’assurer que la personne est disponible (à la fois sur une plage de temps suffisamment longue et dans des dispositions émotionnelles qui lui permettent d’accueillir le récit à forte charge traumatique),
    • mieux vaut demander explicitement à la personne confidente si elle se sent en état de recevoir un récit de traumatisme et de honte,
    • le choix du confident doit être réfléchi : la personne doit être capable d’empathie, de non jugement, et ne doit pas chercher à défendre l’agresseur ou inviter la victime à pardonner et à passer à autre chose.

 

De plus, il est important de garder en tête que la guérison d’un traumatisme est le résultat d’une interaction de facteurs, pas toujours discernables les uns des autres, et que le temps est un allié précieux. Babette Rothschild prévient qu’il n’existe pas de solution unique et qu’il s’agit toujours de consulter ses sensations corporelles personnelles, ses émotions et ses pensées afin de savoir si une direction est OK pour soi ou s’il vaut mieux y renoncer (ne serait-ce que temporairement). Par ailleurs, le contact humain est une composante indispensable à la guérison : là encore, choisir à qui se confier, quand, dans quel contexte et à quelle profondeur de détails est une décision personnelle, qui doit être éclairée par la confiance donnée aux sensations du corps (est-ce que ça fait oui ou non pour moi ? quels sont mes besoins ? qu’est-ce qui m’aiderait et qu’est-ce qui ne m’aiderait pas ?).

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Source : 8 Keys to Safe Trauma Recovery – Take–Charge Strategies to Empower Your Healing de Babette Rothschild (éditions Norton & Company). Non traduit en français.