Pourquoi vouloir avoir des enfants obéissants est un projet inadapté (apprendre à porter un regard différent sur l’enfant et sur soi)
Ouvrir son coeur à l’enfant, le regarder tel qu’il est et ouvrir son cœur à son propre enfant intérieur est un chemin. C’est un chemin semé d’embûches qu’il nous faut surmonter une à une.
Voici 5 embûches que nous trouverons sur notre chemin quand nous voulons porter un regard différent sur l’enfant et sur soi :
1. Notre histoire personnelle
Arnaud Deroo, spécialiste français de la petite enfance et précurseur de la bientraitance éducative, écrit dans son livre “Porter un regard bien-traitant sur l’enfant et sur soi” :
Les expériences de votre enfance poursuivent leur effet à l’âge adulte au point d’imprimer leurs marques sur votre propre relation à l’enfant.
L’enjeu émotionnel avec l’enfant est important, c’est pour cela que votre propre vécu émotionnel non résolu peut être remobilisé dans cette relation et vous causer des torts.
Bien malgré eux, les enfants ont la capacité de réveiller les situations inachevées de l’enfance. Toutes les émotions enfouies, tous les besoins inassouvis, le déni de ceux-ci par l’entourage et le refoulement par l’inconscient peuvent se réveiller au contact des enfants.
Arnaud Deroo affirme que tous nos comportements excessifs, nos intransigeances, nos poussées d’autoritarisme ou de sévérité, nos accès de violence sont stimulés par nos émotions d’enfants non entendues, par des manques du passé. D’autant plus que les blessures et les réactions excessives qu’elles provoquent sont plus vives en situation de stress, de fatigue.
Il est délicat, en effet d’aller voir ses blessures, ses manques, cela voudrait dire remettre en question ses parents, et comme cela vous ne voulez pas souffrir, vous rejouez comme papa et maman pour faire taire au plus vite le comportement de l’enfant qui réveille en vous des blessures.
Pour aller au delà de notre histoire personnelle et pouvoir agir en tant que parents conscients, plusieurs pistes s’offrent à nous :
- dans les moments “hors contrôle”, s’arrêter et se pencher sur notre histoire personnelle, ressentir l’enfant intérieur qui souffre en prenant contact avec notre respiration qui doit être saccadée, en sentant les sensations désagréables envahir le corps, avoir de l’empathie pour lui, en prendre soin puis reprendre contact avec notre enfant pour lui offrir cette même empathie dont il a besoin. Voir cet exercice d’auto compassion pour vous y aider.
- amorcer un travail sur soi : cela peut passer par une thérapie accompagnée par un professionnel, par une discussion profonde et sincère avec une(e) ami(e) bienveillant(e), par l’expression artistique, par l’écriture. Voici 4 pistes plus détaillées ici pour amorcer ce travail sur soi.
2. Les biais de communication
Nous avons tous des façons typiques de répondre aux enfants : notre “répondeur parental” comme l’appelle Jesper Juul.
Donner des ordres, diriger, commander
Ne parle pas à ta mère de cette façon !
Maintenant, tu fais ça
Arrête de te plaindre
Menacer
Si tu fais ça, tu vas le regretter !
Encore une phrase comme ça et je te mets au coin !
Moraliser, faire la leçon
Tu ne devrais pas agir comme ça !
Tu devrais faire ci/ ça
Il faut toujours…
Donner des solutions toutes faites
Pourquoi tu ne fais pas ça ?
Tu ferais mieux de…
Tu n’as qu’à…
Persuader par la logique
Regarde bien la situation en face
Quand j’avais ton âge, j’avais 2 fois plus de travail que toi
Critiquer, blâmer
Tu as complètement tort
C’est un point de vue de bébé
Tu ne tiens pas en place
Tu n’as encore rien fait à l’école/ à la maison
Étiqueter, ridiculiser
TU ES une vraie peste
Sale gosse
TU ES infernal
TU n’ES pas comme ta soeur/ Regarde ton cousin
Diagnostiquer
Tu dis ça seulement pour…
Tu ne crois pas du tout ce que tu me dis.
Enquêter, faire passer un interrogatoire
Qui t’as-mis cette idée en tête ?
Que vas-tu faire si tu échoues à cet examen ?
Esquiver
Oublie ça
On ne pourrait pas parler de quelque chose de plus agréable ?
On en a déjà parlé
Généraliser
Les garçons, c’est plus difficile que les filles
Les enfants d’aujourd’hui sont intenables
Tu fais TOUJOURS comme ça
Ça ne va JAMAIS
Punir
Tu n’as pas été sage, tu mérites une punition.
Tu dois souffrir pour ce que tu as fait de mal.
Il existe pourtant des manières de communiquer qui contournent ces bais de communication. Je vous les présente ici : 3 piliers d’une communication efficace entre parents et enfants.
3. Nos croyances éducatives
Une croyance est une attitude intellectuelle qui tient pour vrai un énoncé ou un fait sans que soit nécessaire une démonstration objective et acceptable de cette situation. – dictionnaire des sciences humaines
Arnaud Deroo décortique certaines croyances éducatives bien ancrées dans nos sociétés occidentales :
Les enfants sont mauvais et ingrats.
Cette attitude stimule les jeux de pouvoir (comme dans le cas du compte à rebours associé à la menace ou au chantage : je compte jusqu’à 3 sinon…).
Or cela revient à dire à l’enfant : Il y a des plus forts que d’autres. Je suis plus fort que toi. Donc mes besoins sont plus importants que les tiens.
Si les enfants sont mauvais, cela signifie également que c’est la mission des parents et des adultes en général de les “redresser”… par tous les moyens.
Or éduquer, c’est plutôt chercher le besoin derrière un comportement inapproprié et y répondre. Éduquer, c’est aussi établir des règles ensemble, c’est en rappeler l’existence sans pour autant traiter l’enfant de “mauvais” ou lui dire “qu’il ne comprend jamais rien”. C’est aussi faire évoluer ces règles en fonction des expériences des enfants.
Une bonne fessée n’a jamais tué personne. J’en ai reçu et ça ne m’a pas tué. Je remercie mes parents de m’avoir mis des fessées car ça m’a appris des choses.
Les neurosciences ont montré qu’en tapant un enfant, on lui apprend à taper, on lui apprend à ne plus s’aimer lui-même, on lui apprend à agir par crainte d’une punition plutôt que par responsabilité individuelle.
Il n’existe pas non plus de”bonnes fessées” : il n’y a ni petite ni bonne fessée. Brigitte Oriol développe dans cet article pourquoi la fessée est néfaste, pourquoi les résistances à son abandon sont si tenaces et comment mettre un terme à la violence éducative.
C’est pour ton bien, tu comprendras et tu me remercieras plus tard.
Cette croyance donne tous les droits et excuse les pires comportements. Par ailleurs, cette phrase sème la confusion dans l’esprit de l’enfant car cela signifie qu’on peut faire du mal aux personnes qu’on aime et que les personnes qui nous aiment peuvent nous faire du mal… et que cela est normal, acceptable.
C’est un premier pas vers la légitimation de la violence. Alice Miller en parle dans son livre C’est pour ton bien : racines de la violence dans l’éducation de l’enfant.
Etre parent, c’est inné. Si mon enfant est mal élevé, c’est de ma faute. Je dois être parfait.
L’enfant n’a pas besoin de parent parfait mais de parents authentiques qui reconnaissent leurs erreurs et leurs envies de changer. – Arnaud Deroo
Cette croyance au mythe du “parent parfait” peut réveiller de la culpabilisation excessive, celle qui inhibe l’action, celle qui tire vers le bas. Quand l’enfant fait des bêtises, il réveille en nous cette imperfection et risque de provoquer des réactions excessives, inappropriées de notre part, voire de nous faire perdre pied.
Or quand on perd pied, on devient impuissant et on n’aide ni nous-même ni nos enfants.
Il existe de forts ancrages en nous et dans la société qui rendent difficiles ces changements de paradigmes. En voici quelques-uns dans cet article : 9 mythes qui nous empêchent de changer nos croyances éducatives.
4. Nos principes éducatifs
Si nous ne regardons pas l’enfant, mais que nous baignons dans nos principes éducatifs, nous risquons de perdre le contact avec l’enfant et notre authenticité au passage. Nos manières de réagir peuvent être parasitées par des principes trop rigides.
On pourra faire la liste des principes qui régentent notre petit quotidien. Puis on se posera les questions :
- pourquoi ces principes, à quels besoins correspondent-ils ?
- comment je les transmets ?
- me posent-ils souci dans ma relation avec mes enfants, mon conjoint(e) ?
- quels principes me dérangent ? m’obsèdent ?
- comment utiliser mon énergie ailleurs et de manière plus positive ?
- comment réaménager les “traditions familiales” ?
- y-a-t-il des principes sur lesquels je pourrais lâcher prise ?
Un temps d’échange en famille pourrait être l’occasion de répondre à la question : comment réaménager les “traditions familiales” ?
5. Une définition de l’éducation négative
Éduquer, ce n’est pas dresser, ce n’est pas rendre obéissant, ce n’est pas avoir des enfants “sages”. Éduquer, ce n’est pas prêter des intentions négatives à l’enfant (il me cherche, il me teste, il me pousse à bout exprès).
Je le conçois plutôt comme le fait d’aider l’enfant à découvrir son potentiel et à l’offrir au monde. Pour moi, éduquer est synonyme de élever, de faire éclore, d’aider à épanouir.
Arnaud Deroo écrit :
La personnalité de l’enfant va s’épanouir selon la nature et la qualité des échanges. Le jeune enfant doit se sentir aimé, respecté. Cet amour, ce respect ressenti donnent la base de la sécurité indispensable pour aller à la rencontre des autres, et même du savoir.
Apprendre à devenir des parents conscients et bienveillants
Etre dans la conscience, c’est se dire, c’est sentir que chaque moment est différent à vivre dans l’instant. Il n’y a pas de recette miracle, pas de recette toute prête à appliquer, pas de recette à plaquer telle quelle. Chaque enfant, chaque situation est différente; nous-mêmes sommes différents d’une minute à l’autre.
Un enfant qui est regardé par un parent conscient reçoit l’éducation dont il a besoin.
Un parent conscient sait se remettre en question, il a le désir de changer, de se corriger et l’enfant le sent.
Un parent conscient ne demande pas à l’enfant de répondre à ses propres manques
Un parent conscient ne nie pas l’identité de l’enfant.
Un parent conscient donne tous les jours un signe d’amour et de reconnaissance inconditionnelle.
Un parent conscient est le plus possible dans l’ici et le maintenant de la situation, dans l’être plutôt que dans le faire.
Un parent conscient sait que c’est à lui de changer dans la relation, et pas à l’enfant. Jesper Juul plussoie : c’est toujours l’adulte qui porte la responsabilité de la violence dans la relation parents/ enfants. Cette responsabilité n’est la plupart du temps pas consciente, pas voulue et cela demande un acte volontaire, courageux et s’inscrivant dans la durée pour arriver à changer une relation en souffrance.
Devenir un parent conscient et bienveillant nécessite de travailler sur son histoire personnelle, sur ses croyances, d’aller à contre courant des définitions courantes de l’éducation, de se remettre en question tous les jours. C’est un mouvement, ce n’est pas un état… et c’est une lourde tâche dont l’avenir du monde dépend !
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Source : Porter un regard bien-traitant sur l’enfant et sur soi : Sois sage, obéis ! de Arnaud Deroo (éditions Chroniques Sociales). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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