Nous avons (presque) tous grandi avec des carences affectives : les regarder en face individuellement et collectivement pour une parentalité bientraitante
La carence affective nous rend vulnérables et dépendants.
Dans son livre Le pouvoir du discours maternel, Laura Gutman, thérapeute spécialisée en maternité, rappelle que nous avons tous (ou presque) grandi avec une carence affective. Pour elle, cela tient au fait que nous avons été soumis à des ordres parentaux répressifs. Elle regrette que cette carence affective nous rende vulnérables et dépendants.
Lorsque par la suite nous devenons adultes et que nous avons des problèmes d’ordre divers, nous voudrions que quelqu’un d’autre (comme un petit enfant qui s’adresserait à un adulte) les résolve. C’est pourquoi nous sommes tellement dépendants des solutions magiques. – Laura Gutman
Ainsi, pour Laura Gutman, il est nécessaire de travailler notre histoire individuelle en ayant à l’esprit la culture dans laquelle nous avons grandi. Elle nous invite à “revisiter le désert émotionnel qui nous habite”. Cette vision m’intéresse dans le sens où la parentalité positive/ l’éducation bienveillante ne sont justement pas des “solutions magiques” bien que souvent envisagés comme telles et qu’il est impossible d’être bientraitants sans un travail sur notre histoire personnelle dans le contexte d’une culture qui banalise la séparation mère/ bébé (et ce, dès la naissance).
Le discours parental pose des étiquettes et masque les besoins.
Pour amorcer ce travail, Laura Gutman a creusé le concept de “discours maternel“. Elle définit ce discours comme le fait que, dès la naissance de leurs bébés, la majorité des mères (influencées par la culture qui sépare les humains, les compare comme des objets et se donne le droit de maltraiter les plus jeunes) les observe et attribue des caractéristiques qui vont correspondre avec certains des comportements de l’enfant, en projetant leur propre perception. Quand un bébé pleure par exemple, il devient “un pleurnicheur” si les pleurs sont supérieurs à ce que la mère peut tolérer. Pourtant, rappelle Laura Gutman, les pleurs des bébés sont tout à fait normaux parce qu’un bébé a un besoin vital de contact, d’attention, de regard, de présence ou d’autre chose d’ordre biologique (manger, boire, être soulagé d’un inconfort…).
Il se trouve que depuis le début, quelqu’un nomme comment nous sommes, ce qui nous arrive ou ce que nous voulons. Cette chose nommée par l’adulte (la mère la plupart du temps) est en général une projection de lui-même sur chacun de ses enfants. Nous dirons qu’il est capricieux et pleurnicheur, capricieux, exigeant, silencieux, timide, têtu, amusant, grognon ou audacieux. Est-ce vrai ? Pour la mère, cela ne fait aucun doute. Tout dépend en effet de quel point de vue on se place. L’enfant, lui, pleure tout simplement parce qu’il réclame de la compagnie. Pour les adultes, il pleure plus que ne peut en tolérer leur patience. Alors, nous disons : «il est pleurnicheur et capricieux». Il se peut que l’enfant ait un besoin désespéré d’être compris, choyé, pris dans les bras, bercé. Mais nous autre parents déformons «ce qu’il lui arrive» car nous pensons que c’est un enfant trop insistant ou qu’il ne se contente pas de ce qu’il obtient. Voilà comment il arrive quelque chose à l’enfant, mais cette chose est justement nommée à partir de l’interprétation de ce qui arrive à quelqu’un d’autre. Il se peut que je sois un enfant insistant et que j’aie tant de vitalité que personne ne puisse faire abstraction de moi un seul instant. Mais il pourrait également s’agir d’une réaction désespérée de recherche d’amour, bien que ce besoin pressant d’être aimé n’ait été nommé par personne. – – Laura Gutman
Par ce concept de “discours maternel” (que j’aurais envie de renommer en “discours parental” car le père joue également un rôle dans la création et le renforcement des étiquettes posées), Laura Gutman montre que les adultes déterminent parfois dès la naissance, à travers les mots qu’ils prononcent, comment s’organisent les rôles dans un schéma familial déterminé.
Sous le prisme des projections et vécus parentaux, les caractères, sont nommés :
- soit de manière avantageuse comme le fait de dire qu’un enfant calme est “gentil” (ce sont les enfants “sans problèmes”);
- soit de manière désavantageuse (“capricieux”, “pleurnicheur”, “boudeur”…).
Dans le deux cas, le problème est que les besoins non satisfaits ne sont pas nommés.
Les étiquettes (“capricieux”, “gentille fille”…) nous déconnectent de notre nature humaine.
La conscience et la mémoire humaines sont ainsi faites que nous pouvons nous souvenir de quelque chose qui n’est pas arrivé en réalité, mais qui a été nommé par quelqu’un (en particulier, les parents du fait de la proximité émotionnelle et de la fréquence des mots prononcés). De même, nous pouvons ne pas nous souvenir d’un événement qui est réellement arrivé mais qui n’a jamais été nommé. Nous nous trouvons alors dans une situation paradoxale : nous nous souvenons avoir été “insolents“, “jamais contents” mais nous ne nous souvenons ni de notre réalité émotionnelle de petit enfant négligé (ou même maltraité) ni de cette sensation que nous avions de ne pas mériter d’amour et de soins (que nous allons traîner toute notre vie).
C’est une interprétation de ce qui arrivait, mais pas le reflet de toute la vérité. Tout d’abord, nous allons continuer à penser, sentir et interpréter d’un point de vue qui nous est prêté – généralement, celui d’un adulte très important pour nous, dans la majorité des cas, nous faisons référence à maman. Ensuite, nous continuerons à aligner nos idées et préjugés en relation directe avec le point de vue de notre mère. Il en découlera que nous nous considérons comme bons ou très mauvais ; que nous nous croyons généreux, intelligents ou idiots, que nous sommes astucieux, faibles ou fainéants. Ces «définitions» ne sont que l’écho de ce que disait maman et papa lorsqu’ils parlaient de nous dans notre enfance et que nous avons cru sur parole. C’est pourquoi, nous ne nous souvenons de rien d’autre nous concernant et croyons que nous nous réduisons à cela. – Laura Gutman
Quand les parents habillent leurs enfants avec des déguisements, ces déguisements les suivent toute leur vie
Notre “être intérieur” est beaucoup plus riche et plus ambivalent que ce que proclame le discours parental.
Laura Gutman estime que les parents habillent leurs enfants avec des déguisements. Ces déguisements prennent la forme de mots qui nomment les comportements, ces mots devenant des identités figées alors que les comportements ne sont que des messages sur des besoins insatisfaits et passagers (relevant d’émotions elles-mêmes passagères et ambivalentes).
Pour comble, une fois que [l’enfant] a revêtu le déguisement de chevalier, de valeureux, de timide, de sensible ou de maladroit, nous ne pourrons jamais le regarder qu’à travers le personnage qu’il a endossé, parce que nous n’avons jamais su comment était cet enfant dans son essence. – Laura Gutman
Le problème d’un tel discours parental est que :
- l’enfant finit par se définir ainsi lui-même alors que ce rôle ne correspond pas exactement à l’être essentiel de l’enfant (et, plus tard, de l’adulte), créant de la souffrance;
- l’enfant va se conformer à ce rôle afin de se sentir vu, accepté, aimé (“C’est pourquoi, dans son besoin désespéré d’être aimé, l’enfant va essayer d’être le plus courageux des courageux, la plus belle des belles ou le plus malade des malades. Pourquoi ? Parce que si les adultes, en le regardant, voient son personnage, alors pour être regardé, l’enfant fera en sorte d’exacerber le rôle que lui confère ce personnage, afin qu’il soit le plus réussi de tous”.)
Il est difficile d’enlever ce déguisement (mais pas impossible).
Ce “déguisement” revêtu à la suite des étiquettes véhiculées par le discours parental ont une fonction positive et présentent des avantages : elles permettent de supporter le manque de compréhension de la part des grandes personnes, la rigidité, l’autoritarisme à l’égard des enfants ou simplement la solitude vécue dans l’enfance.
Le personnage que nous avons adopté ne nous abandonne jamais et prend soin de nous.
Il nous fournit les ressources affectives et émotionnelles pour traverser la vie. – Laura Gutman
Par exemple, un enfant qu’on dit “méchant” est assuré de n’être jamais blessé car il attaque toujours le premier (à l’âge adulte également).
De même, une fille “gentille, “ingénue” n’est jamais au courant de rien et ne se rebelle jamais. Cette ingénuité devient un refuge pour nier l’évidence, ne pas voir les dysfonctionnements, ne pas se lever contre les injustices.
Changer pour nous-mêmes… et nos enfants
Pour reprendre l’exemple du personnage de la “gentille” petite fille, une femme peut se rendre compte à l’âge adulte que ce personnage a été un refuge utile et efficace dans l’enfance, mais qu’il la rend dangereuse pour ses propres enfants car elle refuse de voir quand ces derniers se sentent mal à l’aise avec certaines personnes, quand ils manifestent qu’ils sont en danger (comme dans le cas de prédateurs sexuels).
Laura Gutman parle de “grande contradiction” car il est difficile d’abandonner les bénéfices qu’apportent un personnage, un déguisement.
La décision de changer est éminemment personnelle et dépend du rapport pertes/bénéfices. Le déguisement cesse d’être confortable quand un événement fait pencher la balance du côté des pertes. Chez les parents, cet événement peut être le comportement d’un enfant : fugue, crises énormes de colère, mutilations, conflits permanents…
Gutman rappelle que la volonté de changer n’est pas suffisante car nous avons été aimés dans l’enfance uniquement dans la mesure où nous jouions notre rôle sans faire de vague. Il s’agit alors d’accepter de prendre le risque de ne plus être valorisés, reconnus et aimés si nous abandonnons notre personnage.
Pourtant, Laura Gutman reconnaît qu’auparavant non plus, lorsque nous jouions notre rôle, nous n’étions pas aimés.
Nous avions une fonction et une nécessité, mais être aimé aurait été autre chose. La peur de perdre quelque chose que de toute façon nous n’avons jamais eue est une erreur. Quand nous acquérons la maturité suffisante pour oser abandonner notre personnage, nous ne perdons jamais sur le terrain de l’amour. – Laura Gutman
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Source : Le pouvoir du discours maternel de Laura Gutman (auto édition Ebook).