Comment se développe la pensée des enfants ?
Le rôle fondamental des 5 sens et de la parole dans le développement de la pensée : des pistes pour favoriser le développement psycho-cognitif des enfants
Elle regrette que certains apprentissages soient dissociés de la parole et que certains enfants apprennent à lire silencieusement, à écrire la bouche close, à écouter sans écrire, à écrire sans se dicter la moindre chose. Les enfants qui ne savent pas analyser ce qu’ils entendent, qui ne s’entendent plus dans leur tête quand ils lisent ou quand ils écrivent, ne s’entendent presque plus quand ils pensent.
Étant souvent devenu muet dans sa tête, l’enfant n’a plus guère de mots pour penser : il va donc emprunter les mots et pensées des autres, parler et penser par stéréotypes. – Elisabeth Nuyts
C’est à partir de 3 éléments que les êtres humains vont pouvoir s’humaniser, devenir responsables et pleinement conscients d’être :
- Le temps/ la chronologie
- L’analyse/ la raison
- Le raisonnement verbal/ la parole (aux autres et à soi-même)
Auditif, visuel et kinesthésique
Le visuel a de nature une discrimination et une mémoire visuelle correcte. Pour autant, celles-ci sont à travailler et sa discrimination et sa mémoire auditives sont à construire.
L’auditif a besoin d’affiner ses outils auditifs et de construire les visuels.
Le kinesthésique aura besoin de travailler les deux.
Elisabeth Nuyts déplore que les méthodes scolaires dominantes se concentrent sur les outils des visuels (discrimination et mémoire visuelles). Sommes-nous bien sûrs que nous mettons en place tous les outils nécessaires aux visuels ? Mais surtout sommes-nous sûrs que nous n’oublions pas, partiellement ou totalement, celui des auditifs et des kinesthésiques ?
- discrimination auditive
- mémoire auditive d’informations dont on a préalablement dégagé le sens
- discrimination et mémoire visuelles travaillées à partir de la parole
- mise en place des repères chronologiques
En associant parole (son), vue (lettres et signes) et gestes (lettres rugueuses et alphabet mobile tels que conçus par Maria Montessori/ personnages à manipuler dans la méthode des Alphas/ gestes de la main dans la méthode Borel Maisonny), on n’oublie personne.
Éveil sensoriel et parole “liante” dans le développement de la pensée des enfants
L’extrême importance des exercices pour stimuler les sens
Elisabeth Nuyts propose d’ouvrir (ou réouvrir pour les plus grands) les perceptions des enfants avant de pouvoir apprendre. Ouvrir les personnes à leurs perceptions, en les aidant à les mettre en mots pour les rendre conscients, c’est les aider à être présent au monde. C’est par la parole qu’elles peuvent prendre conscience de leur ex-istence. Quand on a une toute petite ouverture au monde, on peut devenir violent (mauvaise discrimination auditive et tactile, peu de mémoire visuelle).
Il semblerait qu’il faille un jour avoir verbalisé ses sensations pour pouvoir les percevoir consciemment.
– Le toucher
Elisabeth Nuyts propose un exercice sensoriel pour développer les perceptions tactiles des enfants. Les yeux fermés, ils doivent identifier au toucher des petites figurines de formes et de compositions différentes (par exemple des animaux en plastique). Quand les enfants atteignent la limite de leurs capacités d’analyse tactile, il leur suffit de décrire à haute voix ce qu’ils sentent sous leurs doigts pour pouvoir rapidement identifier l’objet. L’analyse à partir d’indices énoncés à haute voix (il y a 4 pattes courtes, il y a un long cou, je sens des cornes…) débouche sur une synthèse (c’est un…).
On peut aussi penser aux dessins en fermant les yeux. Le dessin cache-cache consiste à proposer à l’enfant de dessiner un objet qu’il ne connait pas et qu’il a seulement touché. Je vous en détaille le principe ici.
– La vue
Les exercices silencieux de discrimination visuelle ne suffisent pas : c’est mettre en mots ce qu’on perçoit qui permet de rendre conscientes les perceptions visuelles.
Ces exercices peuvent prendre la forme de différences à retrouver, d’un modèle à retrouver parmi des formes qui se ressemblent…
– L’ouïe
L’articulation joue un rôle fondamental pour la discrimination auditive. Des sons qui sont perçus globalement sans être discriminés ne parviennent pas jusqu’à la conscience.
La parole au cœur des activités cognitives des êtres humains
Le langage est indispensable à l’intégration des données (les sourds-muets ont eux aussi besoin de verbaliser en utilisant le langage des signes).
En associant la parole à toutes nos activités, on peut voir correctement, mémoriser ce qu’on entend, reconnaître ce qu’on touche les yeux fermés, inventer des histoires qu’on se raconte tout seul, devenir adroit de ses mains, se dire ce qu’on fait au fur et à mesure, se dire ce qu’on cherche pour trouver les choses.
Parler pour percevoir, se percevoir et percevoir l’autre. Parler pour lire, pour dessiner et écrire. Parler pour jouer, décider et faire. Parler pour aimer la vie. Parler pour penser par soi-même, et donc garder son libre arbitre.
Elisabeth Nuyts affirme que c’est le geste accompagné de la parole (en même temps, synchrone) qui déclenche la compréhension. Elle écrit : “en partant de l’idée préconçue que ce serait en regardant silencieusement que tous les enfants apprendraient, on fait débuter l’échec scolaire dès la maternelle.” La parole accompagnée d’explication verbales descriptives (et non pas seulement des mots vagues comme “je fais comme ça”) permet de relier les circuits vue-compréhension-gestes : relier l’œil avec la compréhension, puis avec la main. Pour beaucoup d’enfants, l’œil et la main doivent être reliés par la parole : d’abord la parole d’autrui puis la parole intériorisée sous forme de monologue.
L’évocation mentale
Elisabeth Nuyts insiste sur un autre point : parler à voix haute ou dans sa tête lorsqu’on lit ou qu’on écrit est nécessaire à la compréhension des mots, mais insuffisant à celle des phrases. Il faut en plus prendre le temps d’évoquer la scène.
L’évocation est la mère de la compr
éhension. – Antoine de la Garanderie
Un enfant qui a appris à prendre le temps de s’arrêter fréquemment dans la lecture pour prendre le temps d’évoquer la scène lue peut comprendre et mémoriser des textes simples.
Un lien entre manque de mots et violence ?
Elisabeth Nuyts se demande alors si l’absence de monologue intérieur ne serait pas une des origines de la violence de certains jeunes. Elle cite Jean-Marie Abgrall, psychiatre, criminologue, membre de l’Oservatoire Interministériel des sectes :
Le premier symptôme de l’aliénation est la perte par l’individu de sa propre parole, de la rupture de la communication avec soi-même.
En tant que parents et enseignants, nous avons des cartes en main pour aider les enfants à développer leur pensée :
- à travers des exercices sensoriels accompagnés de descriptions orales (toucher et nommer un objet les yeux bandés, le dessin cache cache)
- à travers l’accompagnement de nos gestes par des paroles descriptives
- à travers l’invitation à reformuler ce qui a été lu avec des mots : comment le sais-tu ? à quoi le vois-tu ?
- à travers l’incitation à développer des images mentales, des évocations que l’enfant pourra ensuite traduire par des mots
- à travers le développement du vocabulaire des émotions et des sensations (je sens…, j’entends…, je touche…, je goûte…)
- à travers l’autorisation à parler à haute voix avant d’écrire (penser à ce qu’on veut écrire, formuler sa phrase et se dicter à voix haute ce qu’on va écrire syllabe après syllabe)
- à travers le travail sur le temps (voir cet article : L’enfant et le temps) et la chronologie (remettre des histoires dans l’ordre comme les cartes séquentielles Montessori par exemple)
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Source : L’école des illusionnistes d’Elisabeth Nuyts (Prix Enseignement et Liberté 2002)
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