Pour une utilisation raisonnée des écrans chez les enfants (non, ils ne rendent pas autistes)

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Ecrans et attention conjointe chez les plus jeunes

Dans son livre Votre enfant devant les écrans : ne paniquez pas, Nicolas Poirel rappelle qu’un jeune enfant ne devrait pas rester devant la télévision plusieurs heures, seul. Il regrette que cette précision (« seul ») soit rarement mentionnée, alors qu’elle fait toute la différence.

Les études scientifiques nous démontrent qu’il est déconseillé de laisser un jeune enfant devant la télévision, car ce média n’apporte rien de particulier jusqu’à l’âge de 3 ans environ (même si le contenu peut être soit positif, soit négatif, avec néanmoins une influence minime, notamment sur l’acquisition du vocabulaire). Cependant, il n’a jamais été prouvé que le fait qu’un parent regarde en compagnie de son enfant des dessins animés ou une émission quelle qu’elle soit pouvait entraîner le moindre effet négatif. – Nicolas Poirel

Ce qui peut être conservé en mémoire quand on parle d’écrans et de jeunes enfants est le fait que regarder ensemble, discuter de l’histoire, du contenu, des objets et personnages présents à l’écran avec l’enfant pourraient lui permettre d’enrichir son lexique et ses connaissances. Nicolas Poirel insiste sur cette notion de regarder ensemble car le mécanisme d’interaction, dit d’attention conjointe, entre enfant et adulte est bénéfique pour l’enfant. Ainsi, une télévision allumée en « bruit de fond » produit une altération des interactions entre un parent et son bébé s’ils ne visionnent pas ensemble le programme.

L’écran comme outil PARMI D’AUTRES de la culture dans laquelle baignent les enfants 

L’idée est donc de ne pas diaboliser les écrans qui diffusent des dessins animés ou des comptines mais 1/ de diversifier les activité (numériques et non numériques) réalisées avec les enfants pour partager avec eux des moments agréables et 2/ accompagner les jeunes enfants dans leur usage des écrans. Le problème intervient quand l’écran est le seul moyen pour un enfant d’appréhender le monde. Les jeux sur écrans peuvent présenter certains atouts (apprendre à catégoriser, comprendre le lien de cause à effet via des actions sur l’écran…) mais l’enfant a également besoin de passer par le mouvement et la manipulation en trois dimensions : tout est donc question de mesure et de proposition d’un environnement équilibré et riche en opportunités. Un temps trop important passé devant les écrans va priver l’enfant de temps passé à faire autre chose. Ce n’est pas l’écran en soi qui est problématique mais le fait qu’il risque de détourner les enfants des activités spontanées programmées pour son développement (motricité, langage, interactions humaines…).

Pour aller plus loin : Les effets négatifs de l’exposition des jeunes enfants à la télévision sont-ils exagérés ?

Toutefois, nous pouvons être attentifs aux effets publicitaires qui vantent des produits inadaptés aux besoins moteurs des enfants : un pot connecté n’a absolument aucun intérêt et peut même couper l’enfant de ses sensations puisqu’il est diverti et distrait.

L’abus d’écran, un symptôme de dysfonctionnements plutôt qu’une cause 

Même s’il existe un effet de corrélation entre une surexposition aux écrans et des troubles du développement chez certains enfants, il ne s’agit pas nécessairement d’une relation de cause à effet. Les scientifiques n’ont pas réussi à démontrer quelle variable est à l’origine de cette corrélation : si ces enfants sont surexposés aux écrans, c’est peut-être qu’ils ne trouvent pas d’adultes assez disponibles dans leur entourage. Si c’est le cas, alors la variable est éducative ou à trouver dans l’absence d’occupations et n’a rien à voir avec les écrans en eux-mêmes. Par ailleurs, certains enfants peuvent avoir des troubles affectifs liés à des traumatismes et se réfugient dans les écrans. Là non plus, ce n’est pas l’écran qui  a causé les troubles à l’origine. Les effets négatifs des écrans peuvent également être amplifiés du fait d’une sur médiatisation de professionnels s’occupant d’enfants présentant des problèmes affectifs et/ou de troubles du développement : comme ces professionnels s’occupent d’enfants perturbés d’une manière ou d’une autre, il y a parmi ces derniers plus de problèmes de surexposition aux écrans que dans la population générale mais cette surexposition ne cause pas leurs troubles. Ainsi, l’autisme est un trouble avec lequel les enfants naissent mais n’est pas provoqué par les écrans. Considérer que les écrans provoquent l’autisme, c’est prendre le risque de passer à côté d’un diagnostic adéquat et donc d’une prise en charge efficace.

Si un enfant hurle au moment d’éteindre l’écran, ce n’est pas le signe qu’il est devenu dépendant ou “addict” mais qu’il passait un moment agréable qu’il voudrait prolonger (comme quand un enfant ne veut pas descendre d’un manège ou insiste pour une crêpe à la fête foraine).

Lire en complément : Les écrans sont comme des desserts pour le cerveau.

Les écrans chez les préados et ados

Quel lien entre mal-être et réseaux sociaux ?

Nicolas Poirel rappelle que c’est l’accompagnement qui est important pour éviter les dangers, et non le support numérique en lui-même. Passer du temps sur Internet et sur les réseaux sociaux serait éventuellement un symptôme, mais rarement une cause de dépression ou de mal-être à l’adolescence (Romer et al., 2013).

Discuter avec lui, être attentif à ses variations d’humeur, échanger, pour réagir si besoin. La mise en accusation des réseaux sociaux et des jeux vidéo, pointés comme étant à l’origine des différents maux de nos enfants, n’est pas scientifiquement justifiée. – Nicolas Poirel

Lire aussi : Les écrans, si méchants que cela ? S’occuper des causes au-delà des simples symptômes.

Nicolas Poirel cite par exemple une analyse statistique menée auprès de plus de 350 000 adolescents qui a montré qu’un sentiment de mal-être chez l’adolescent a autant de chance d’être associé aux écrans qu’au fait de manger régulièrement des pommes de terre ou de porter des lunettes de vue (Orben & Przybylski, 2019).

Nous pouvons toutefois prendre conscience de l’impact des écrans sur l’éducation sexuelle et affective des enfants et adolescents. Anne de Labouret et Christophe Butstraen, auteurs du livre Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse, écrivent qu’entre 14 et 24 ans, un jeune sur cinq déclare regarder de la pornographie toutes les semaines (si on ramène cela à une classe de 30 élèves, cela ferait 6 élèves par classe). Cette consommation influence leur sexualité, leurs comportements et leurs représentation du corps (le leur et celui des personnes de l’autre sexe). Anne de Labouret et Christophe Butstraen estiment que si nous renonçons à parler de sexualité à nos enfants ou si nous évitons de répondre à leurs questions, ces derniers risquent de se diriger vers des informations problématiques qu’ils trouveront seuls (et facilement) sur le Net. De plus, les images pornographiques ne sont pas destinées aux mineurs et leur visionnage peut provoquer de réels traumatismes.

Les écrans provoquent-ils des troubles de la santé mentale ?

Les cas des troubles de l’attention ne semblent être observés qu’après de longues heures passées devant la télévision, et ce seulement chez moins de 10 % des enfants surexposés. Nicolas Poirel  reprend l’idée selon laquelle les jeux vidéo seraient à l’origine de schizophrénie chez certains adolescents. Cette croyance est dûe à une mauvaise interprétation de deux études sur le sujet. L’une a étudié des adolescents jouant à Super Mario. Les chercheurs ont observé, après plusieurs heures de ce jeu « à la première personne » (c’est-à-dire que le joueur est à la place du personnage qu’il contrôle dans le jeu) des variations du volume cérébral de l’hippocampe (Kühn et al., 2014). Dans une autres étude, Kalmady et collaborateurs (2017) ont révélé des anomalies structurelles de l’hippocampe chez les patients atteints de schizophrénie. Certaines personnes en ont déduit que jouer à Super Mario = modification de l’hippocampe = schizophrénie.

En réalité, de nombreux apprentissages vont moduler le volume cérébral de l’hippocampe (c’est le cas de toutes les activités qui font acquérir de nouvelles connaissances).

Lorsque les joueurs bénéficient de différentes vues du personnage de Super Mario, celles-ci modulent la structure de l’hippocampe, en lien avec les modifications de stratégie visuelle qui vont être mises en place par les joueurs, et ne sont en aucun cas les prémices d’une schizophrénie. Ces variations de volume cérébral sont donc la signature d’un apprentissage, et pas du tout l’amorce d’une pathologie psychotique comme la schizophrénie. – Nicolas Poirel

L’impact des écrans sur la qualité du sommeil

Les écrans peuvent créer une fatigue visuelle entraînant une myopie plus précoce à l’adolescence. De plus, la consultation tardive des écrans peut provoquer un manque de sommeil du fait d’un endormissement plus tardif. Les données recueillies auprès de plus de 6 000 participants de 11-12 ans suggèrent que les adolescents qui regardent des écrans pendant 1 heure avant de se coucher vont avoir un sommeil perturbé et plus court (Mireku et al., 2019). Nicolas Poirel nuance toutefois ces résultats :

  • Ce résultat est observé principalement si l’adolescent regarde un écran dans une pièce sombre, l’effet étant moindre lorsque la lumière est allumée. Il est donc conseillé de ne pas regarder d’écran dans une pièce peu éclairée avant de se coucher.
  • En semaine, la différence de temps de sommeil entre les adolescents qui utilisent peu les écrans (moins de 2 heures par jour) et ceux qui les utilisent davantage est seulement de 27 minutes, en moyenne, sur un temps de sommeil moyen de 9 heures 05 par nuit.

Nicolas Poirel conseille donc aux parents de faire en sorte que leurs enfants ne conservent pas leur smartphone avec eux dans leur chambre pendant la nuit, afin de ne pas être réveillés par des notifications, ou par l’envie de jeter un œil à l’évolution des publications sur leur réseau social favori. Mettre le téléphone en mode avion semble une bonne idée.

 

Il convient donc de communiquer au maximum auprès des parents sur les résultats scientifiques attestant l’impact positif du dialogue, de l’attention conjointe ou de l’intérêt pour les activités numériques de leurs enfants, plutôt que de se focaliser quasiment systématiquement sur les aspects négatifs des écrans. – Nicolas Poirel

Nos choix numériques ont aussi un impact écologique

Nous pouvons toutefois nous interroger sur l’impact écologique des écrans. En effet, on estime aujourd’hui que le secteur du numérique produit 4% des gaz à effet de serre et que ces émissions vont augmenter dans les années à venir, à tel point que le numérique pourrait devenir l’un des secteurs les plus polluants, à la fois en termes de production d’équipement et en termes d’utilisation (emails, streaming, 5G). Si le sujet vous intéresse, je vous conseille l’ouvrage L’enfer numérique de Guillaume Pitron (éditions Les Liens qui Libèrent) . En tant que parents et enseignants, nous pouvons nous poser la question de l’équipement et de l’usage de nos enfants : ont-ils besoin d’une tablette neuve à l’entrée au collège ? quel est l’intérêt d’un cahier de liaison numérique ? faut-il changer le smartphone à la demande de l’adolescent pour suivre la mode ? quel exemple donnons-nous en matière de consommation numérique ? pouvons-nous envisager de nous équiper d’un fairphone par exemple ?

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Inspiration : Votre enfant devant les écrans : ne paniquez pas – Ce que disent vraiment les neurosciences de Nicolas Poirel (éditions De Boeck) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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