Les écrans, si méchants que cela ?

écrans méchants

La question des écrans chez les jeunes fait débat, relancé avec la sortie d’un livre qui traite les enfants qui passent du temps devant les écrans de “crétins”. Non seulement ces affirmations ne prennent pas en compte les spécificités de certains enfants (concernés par l’autisme notamment) mais elles ne traitent que des symptômes (et pas des causes de l’omniprésence des écrans chez les jeunes… et chez les moins jeunes !). De plus, elles sont loin de faire l’unanimité dans le monde scientifique (pour les anglophones : We’re told that too much screen time hurts our kids. Where’s the evidence ?).

Dans son livre Une éducation bienveillante et efficace !, Laurence Dudek regrette que beaucoup d’enfants (et a fortiori d’adolescents), quand on leur demande ce qu’ils voudraient changer dans leur vie s’ils avaient une baguette magique, répondent qu’ils empêcheraient leurs parents de les priver d’écrans. Ce souhait est significatif d’une grande violence ressentie par les enfants et adolescents quand ils sont privés d’écran et d’une inquiétude des parents face à l’omniprésence des écrans dans la vie des jeunes.

Pourtant, l’importance que les écrans ont prise dans la vie des jeunes n’est pas de leur responsabilité : les adultes en portent la responsabilité et on ne peut pas blâmer les jeunes pour le temps passé sur les écrans alors même que des adultes ont précisément conçu les programmes sur écrans (jeux vidéos, réseaux sociaux, séries…) pour qu’ils y passent le plus de temps possible et que les écrans ne sont pas tombés du ciel dans leurs mains (ils se trouvaient déjà dans la maison ou ont été offerts par des adultes).

Les raisons pour lesquelles les écrans sont devenus un tel enjeu dans les relations parents/ enfants

Laurence Dudek liste trois grandes raisons pour lesquelles les écrans sont devenus un tel enjeu dans les relations parents/ enfants :

  • un effet d’imprégnation

Depuis qu’ils sont tout petits, les écrans font partie de la vie quotidienne de leurs parents et les enfants ont appris à vivre avec. Ainsi, les enfants aspirent à imiter les adultes et associent des émotions positives aux écrans (ça doit être tellement agréable, puisque leurs parents y passent beaucoup de temps).

Tout comme les cigarettes ou l’alcool, aucun enfant n’a jamais été éduqué sur la base d’un « Fais ce que je dis, mais pas ce que je fais ».

Lire aussi : Le vide relationnel provoqué par les parents distraits par les écrans (et comment déconnecter en famille)

  • les adultes commencent 

Bien souvent, nous donnons le goût des écrans aux enfants. Les écrans sont en effet bien utiles pour occuper des enfants qui s’ennuient, pour reposer des enfants fatigués, pour faire patienter ceux qui ont faim ou encore pour les calmer quand ils sont excités ou que nous voulons le calme.

Il ne s’agit pas ici de dire que les parents qui mettent leurs enfants devant un écran sont irresponsables, coupables de tous les maux ou de “mauvais” parents mais simplement de constater que ce sont les adultes qui commencent et qui portent donc la responsabilité de la qualité à la fois de l’environnement proposé et de la relation.

  • les écrans sont réellement attractifs

La grande attractivité des écrans (et en particulier des jeux sur écran, que ce soit les consoles de jeux vidéo, les tablettes ou les smartphones) vient du fait qu’ils stimulent la dopamine, une hormone qui produit du bien-être et active la zone cérébrale de la récompense en donnant l’illusion de se sentir aimé. Progressivement, cette production de dopamine remplace les relations humaines (sociales, familiales, scolaires).

Je rajouterais deux éléments qui peuvent expliquer l’attrait des écrans sur les enfants et adolescents : un besoin d’appartenance (rester en contact avec les amis via les réseaux sociaux, baigner dans la culture de la société dans laquelle les jeunes vivent)  et un besoin d’estime de soi (avoir les attributs valorisés socialement qui donnent de la valeur personnelle, exercer du pouvoir personnel, se sentir en maîtrise).

S’occuper des causes au-delà des simples symptômes.

Les écrans chez les tout-petits

Ce qui est utile à savoir est que les enfants ne se développent pas sans la présence d’un autre être humain et qu’un écran ne peut pas se substituer à un humain. Le développement du cerveau d’un nourrisson se fait par des interactions avec d’autres humains.

Tous les temps qui ne sont pas passés en interactions directes (parce que l’enfant est devant un écran… ou ailleurs ou parce que les parents sont devant un écran… ou ailleurs) est du temps “improductif” en termes de développement relationnel et émotionnel

Laisser un jeune enfant seul pendant des heures devant la télé ou une tablette est aussi négligent que de le laisser seul des heures dans son lit (et cela ne cause pas l’autisme).

Une vidéo de la chaîne YouTube PsykoCouac pour aller plus loin : Les écrans, c’est méchant?

Ce que les jeunes font sur les écrans

Les jeunes cherchent dans les écrans ce qu’ils ne trouvent pas (ou peu) dans la vraie vie : une réelle autonomie et une vie sociale riche.

Si on observe de près ce que font les enfants quand ils jouent sur écran, on s’aperçoit qu’ils concentrent en un seul outil ce qui leur demande beaucoup d’effort pour l’obtenir dans la vie réelle : être avec des amis (la plupart des jeux en ligne impliquent des interactions entre joueurs), s’amuser, s’évader du quotidien et s’occuper. – Laurence Dudek

Laurence Dudek indique aux parents qu’il n’est pas efficace de « confisquer » ou de « limiter » arbitrairement les écrans (avec tous les inconvénients des punitions que cela engendre) mais que l’important est de raisonner en termes d’environnement et de relation.

Il faut laisser aux enfants le champ libre (et les accompagner logistiquement) pour remplacer ces jeux par des activités qui répondent aux besoins qu’ils couvrent : discuter avec des amis, faire des jeux de découverte, être autonome et s’évader du quotidien. Priver d’écran un enfant en lui proposant, en remplacement, de lire ou de dessiner tout seul dans sa chambre est vécu comme une punition.- Laurence Dudek

Laurence Dudek estime même que c’est juste d’accorder aux enfants autant de temps d’écrans que celui que les adultes s’octroient en leur présence. Cette suggestion nous rappelle donc que , si nous voulons que nos enfants diminuent leur temps d’écran, nous pouvons prendre une première mesure : diminuer le nôtre et consacrer le temps dégagé à trouver des solutions pour aménager l’environnement et la relation afin que le “vrai” monde soit aussi attirant que le monde virtuel.

Une étude de Andrew Przybylski (Director of Research at the Oxford Internet Institute, 2009) a montré que les enfants qui ont des opportunités de jouer à la fois sur écran et dehors vont la plupart du temps choisir un équilibre entre les deux. Les enfants qui restent scotchés devant leur écran apparaissent être ceux qui ont peu d’opportunités de jouer dehors et/ou de manière libre et autonome par ailleurs.

Les mots clés ici sont liberté et opportunités (pas obligation).

Limiter l’attrait des jeux vidéos et écrans

André Stern, auteur du livre Jouer !, abonde en ce sens : ce n’est pas tant le monde virtuel qui pose problème que l’organisation de l’école et de la maison. Si le “vrai” monde était aussi attirant que le monde virtuel, les enfants n’auraient pas besoin de se perdre dans le monde virtuel. Pour les enfants, il est difficile d’être des héros dans la “vraie” vie du fait des faibles opportunités laissées au jeu libre, à l’autonomie (peu de jeux dehors seuls sans l’intervention d’adultes, évaluation et classement hiérarchique à l’école) et du fait des habitudes éducatives basées sur la peur, le contrôle et la domination.

On peut lire dans l’article L’adultisme, ce poison invisible qui intoxique nos relations avec les enfants du site oveo.org que “Nous utilisons les écoles, les lieux culturels, religieux et même l’autorité parentale pour nier les droits élémentaires des enfants à être traités avec respect et confiance.”

Pour André Stern, on se trompe donc de chantier quand on diabolise les jeux vidéos : il s’agit de se poser la question “dans quel monde est-il facile de devenir un héros ?“. Il nous revient alors de créer de monde et de repenser la manière dont nous vivons avec les enfants à l’école et à la maison pour leur permettre de vivre leur nature humaine en les respectant inconditionnellement et en leur redonnant du pouvoir personnel.

Nous pouvons nous appuyer sur deux principes fondamentaux pour limiter l’attrait des jeux vidéos et écrans en tout genre :

  • le pouvoir personnel :
    • redonner du pouvoir et un sentiment de compétence, d’utilité aux enfants (et adolescents),
    • les laisser expérimenter dans la « vraie vie » (se servir d’un marteau, d’un râteau, jardiner, bricoler, leur apprendre à manier des allumettes ou faire du feu sans danger…),
    • les aider à créer quelque chose de leurs propres mains (construire un petit meuble, coudre un vêtement…) pour qu’ils se sentent puissants, créateurs.
  • l’attachement : se rendre disponible pour des jeux attrayants en famille… pas forcément les dames ou les petits chevaux  mais des jeux qui :
    • mobilisent parents et enfants ensemble,
    • demandent de la réflexion et de l’imagination,
    • incitent à élaborer des stratégies,
    • font sortir à l’extérieur comme construire une cabane ensemble.

Jusqu’à ce que les enfants aient 8 ans (voire plus tard, jusqu’à 10 ans), presque aucun jeu ni aucune émission télé ne peut rivaliser avec un partie de sept famille ou un jeu de société adapté à leur âge. Une sortie en famille, une balade en forêt, un tour au parc sont les activités préférées des jeunes enfants car ce qu’ils aiment par dessus tout est de passer du temps avec leurs parents et d’avoir leur attention.

Par ailleurs, nous n’avons aucune raison de culpabiliser si nous n’avons pas envie de sortir ou de jouer de temps en temps, ou si nous voulons un moment de calme : à partir du moment où la consommation d’écran reste raisonnable et que nous offrons par ailleurs des occasions de faire preuve d’autonomie, de jouer et une relation affective en qualité et en quantité, le fait qu’un enfant regarde un dessin animé ou une série pendant que nous prenons un peu de repos ou que nous cuisinons n’a aucune raison d’entrainer une addiction aux écrans.

Dans cette optique, on s’occupe réellement des causes au-delà des simples symptômes.

Enfin, certains jeux vidéos présentent également de réels intérêts. On peut citer par exemple Minecraft, Journey, Shadow of the Colossus, Ico, Abzu, Zelda, Ori and the blind forest, Child of Light, Trine, Fez; Portal, The witness, The talos principle, World of Goo (jeux de réflexion) ou encore The last of us, The witcher, la série des Telltales (jeux narratifs).

En conclusion, les enfants ont besoin de maîtriser les outils technologiques et informatiques de notre culture et, en même temps, ils ont besoin de jouer librement avec d’autres enfants en dehors des écrans et de créer des liens humains de contact physique et de proximité émotionnelle avec les adultes qui les entourent.

 

Pour compléter sur les effets des écrans sur le développement et le cerveau des enfants : Votre enfant devant les écrans, ne paniquez pas :  un livre pour éclairer les idées reçues à la lumière des neurosciences

Votre enfant devant les écrans ne paniquez pas ce que disent vraiment les neurosciences

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Source : Une éducation bienveillante et efficace ! de Laurence Dudek (éditions First) est disponible en centre culturel, en librairie ou sur internet.

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