Bienveillance ou bientraitance : réflexions sur les confusions entraînées par l’expression éducation bienveillante
Bienveillance : de l’intention aux actes
De plus en plus de blogs consacrés à l’éducation bienveillante mettent en garde contre l’utilisation de cette expression. De nombreux auteurs précurseurs, tels que Arnaud Deroo ou Catherine Dumonteil Kremer, ne parlent d’ailleurs jamais de bienveillance. Arnaud Deroo parle d’éducation bientraitante et Catherine Dumonteil Kremer parle de parentalité créative et consciente.
Parler de bienveillance éducative peut en effet amener à des confusions. Être “bienveillant” signifie “vouloir le bien“ de l’autre. Ainsi, il est naturel que les parents préservent le sommeil de leurs enfants pour que ces derniers soient en bonne santé ou bien qu’ils les forcent à manger des légumes pour assurer une alimentation équilibrée au regard des recommandations nutritionnelles.
L’intention est donc bienveillante : comme je veux le meilleur pour mon enfant, je l’inscris à un cours de violoncelle même s’il n’aime pas cette activité parce que j’estime que c’est bon pour son épanouissement et sa réussite scolaire autant que sociale. Mais si c’est insupportable pour l’enfant, pourquoi le forcer à prendre des leçons de violoncelle ? (voir une réflexion sur la notion de persévérance : La persévérance n’a pas de valeur morale en soi : mise en perspective éthique de la persévérance).
La bienveillance peut être compatible avec la violence
Pourtant, quand on y réfléchit bien, la bienveillance peut être compatible avec la violence, avec les “douces violences” (expression de Christine Schul) ou les “violences éducatives ordinaires”. Par exemple, imposer une heure de coucher à un enfant qui n’est pas fatigué ou qui manifeste le besoin de passer plus de temps avec ses parents (qu’il n’a pas assez vus dans la journée) relève de la violence éducative ordinaire parce que les parents ne prennent pas au sérieux les besoins de l’enfant. Je crois que la clé est dans ce dernier point : “prendre les besoins de l’enfant au sérieux”.
Pour reprendre l’exemple du coucher, les parents, s’ils le souhaitent, peuvent choisir l’heure du coucher des enfants bien que ces derniers soient capables de gérer leur heure de coucher (la plupart du temps, les enfants savent reconnaître leurs signes de fatigue). Mais plusieurs problèmes peuvent se présenter au moment du coucher :
- l’enfant n’a tout simplement pas sommeil ;
- l’enfant est en train de faire quelque chose d’important (ex : jouer, regarder une émission qui lui plaît) ;
- le réservoir affectif de l’enfant est vide et il a besoin d’attention de la part de ses parents ; il va alors tout faire pour remplir son besoin d’attention et d’attachement avant d’être séparés d’eux à nouveau pour la nuit;
- souvent, ce n’est pas tant l’heure du coucher que l’heure du réveil qui pose problème (on couche les enfants tôt en semaine parce que le réveil sonne tôt le lendemain matin, indépendamment du rythme personnel de l’enfant et même du nôtre !).
Pour autant, les besoins et motivations des parents peuvent être tout à fait légitimes : les parents ont le droit de vouloir la paix et de passer du temps en couple le soir, c’est légitime de vouloir être sûrs que les enfants soient suffisamment reposés pour le lendemain. Les parents peuvent alors user de leur statut supérieur par la force et la taille pour forcer un enfant à aller se coucher à l’heure qu’ils ont décidée pour lui. En revanche, les parents restent seuls responsables si l’interaction se passe mal et ils doivent se préparer à des protestations de la part de l’enfant qui a, lui aussi on l’a vu, de bonnes raisons pour agir ainsi.
Dans ce cas, les parents peuvent choisir de changer leur décision et leur attitude. Ce n’est pas parce qu’on a besoin de calme et qu’on veut le bien de l’enfant que cela autorise à lui manquer de respect, à bafouer sa dignité. On peut réagir avec l’enfant comme on le ferait avec un adulte : lui demander ce qui se passe, lui dire qu’on voit bien que ça a l’air difficile ce soir, lui offrir une présence…
Jesper Juul, thérapeute danois, reconnaît que c’est probablement ce qu’il y a de plus sain pour les enfants d’avoir une bonne nuit de sommeil, mais si les conflits destructeurs se passent à l’heure du coucher, ils sont manifestement encore plus néfastes à la santé (physique et mentale). Le processus l’emporte alors sur le contenu; la qualité de l’interaction sur le comportement et la méthode.
Pour aller plus loin : Quand les enfants nous opposent des refus, nous pouvons chercher les “bonnes” raisons de ces refus et les prendre en compte
Dépasser la simple bienveillance
Une éthique : ne jamais s’autoriser à faire du mal au nom du bien
Quand on dépasse la simple bienveillance, la question devient : comment assurer la bonne santé/ la sécurité de mon enfant, respecter sa dignité et la mienne en même temps ? On reboucle alors avec la notion de parentalité créative chère à Catherine Dumonteil-Kremer : il n’y a pas de solution miracle. C’est l’interaction avec cet enfant selon sa personnalité, son humeur du moment ou encore son âge, dans cette situation, avec notre propre état d’esprit et notre disponibilité qui va déterminer la manière la plus efficace d’agir.
Dans tous les cas, l’éducation respectueuse n’est jamais une éducation qui fait “taire” les émotions : il n’y a pas de formule magique qui permette d’imposer quelque chose à l’enfant en bafouant ses droits et son consentement sans qu’il ne se révolte. La colère de l’enfant est justement l’émotion saine qui lui permet de se réparer face aux injustices et au non respect de ses limites personnelles.
La bienveillance ne doit donc pas être vue comme un moyen de faire faire des choses aux enfants en les manipulant gentiment et en évitant les colères. Quand on raisonne en termes de bientraitance plutôt qu’en termes de bienveillance, on comprend qu’on ne peut jamais s’autoriser à faire du mal au nom du bien. Changer de paradigme est un choix conscient. Ce choix est d’autant plus difficile que le contexte culturel et social est défavorable : comment laisser un enfant gérer l’heure de son coucher quand il y a école le lendemain matin et quand nous devons nous-mêmes nous lever pour aller travailler le lendemain matin ?
Le “tamis du sens” de nos attentes
De nombreux livres sur l’éducation prennent pour point de départ ce que les parents veulent faire faire aux enfants, sans questionner la finalité. Nous pouvons nous demander si telle ou telle demande en vaut la peine ou si elle est adaptée aux capacités ou encore aux besoins de l’enfant. Catherine Dumonteil Kremer parle du “tamis du sens”.
Avant de chercher des méthodes pour obtenir des enfants qu’ils fassent ce qu’on leur dit, nous devons d’abord prendre le temps de vérifier la pertinence ou l’utilité de nos demandes.
L’abandon des veilles méthodes doit toutefois aussi s’accompagner d’un changement de but. Plus précisément, notre question ne devrait pas être : “Comment obtenir que mon enfant fasse ce que je dis ?” mais : “De quoi mon enfant a-t-il besoin et comment puis-je l’aider ?” – Alfie Kohn
A quoi bon forcer les enfants à manger s’ils n’ont pas faim ou à finir leur assiette s’ils n’ont plus faim ? (On aurait le droit du simple fait de notre statut d’adulte de faire manger les enfants en fonction de la portion qu’on leur a servie plutôt qu’en fonction de leur appétit.)
La bientraitance en pratique
Parents : ni paillassons ni rongés par la culpabilité
Pour autant, cela ne signifie ni devenir un parent paillasson (en s’oubliant complètement) ni d’être rongé par la culpabilité en permanence. Il s’agit juste de mettre de la conscience sur nos demandes, nos automatismes et de continuer à être gênés quand nous nous rendons compte que nous avons été moins respectueux que ce que nous aurions aimé. Cette gêne peut devenir un terreau fertile pour progresser.
En parallèle, nous pouvons nous montrer tels que nous sommes à travers l’adoption d’un langage personnel et authentique. Les “vraies” personnes ont des besoins, des choses qu’elles aiment faire et d’autres qu’elles détestent, sont parfois énervées ou distraites, font parfois des erreurs ou ne savent pas, disent des choses qu’elles ne pensent pas et qu’elles regrettent ensuite. Nous sommes faillibles.
Cette authenticité devrait nous conduire à nous excuser quand nous faisons des erreurs, quand nous manquons de respect envers les enfants, quand nous ne les prenons pas au sérieux.
Même après avoir fait le tri dans nos attentes vis-à-vis de nos enfants (en fonction de leur niveau de développement, de leur maturité émotionnelle, de leurs besoins et de nos propres besoins, de notre “tamis du sens“), certaines demandes ne sont pas négociables, notamment en ce qui concerne la sécurité ou les impératifs d’horaires.
Je vous propose dans cet article des pistes pour réagir avec bientraitance dans ces cas-là : Quand les enfants doivent faire quelque chose… mais ne veulent pas le faire !
Un enfant qui a le droit d’exprimer sa colère n’est pas un tyran
Une des grandes peurs quand on développe cette idée de respect inconditionnel de l’enfant est celle des “enfants tyrans” ou “rois”. Il serait faux de dire que les enfants violents n’existent pas. Pourtant, ces enfants en souffrance ont plus besoin d’un accompagnement respectueux que de contrôle ou de de répression. Généralement, la source du problème est extérieure (comme du harcèlement scolaire ou bien des violences sexuelles, de la propagande de type religieuse ou étatique) ou intérieure (violences familiales, y compris violences éducatives dites ordinaires; violences conjugales; effacement/ absence des parents; négligence émotionnelle…). Certains enfants sont étiquetés violents alors qu’il s’agit de comportements non intentionnels (comme cela peut être le cas de certains enfants avec un trouble du spectre autistique). Par ailleurs, l’agressivité est normale jusqu’à 5 ans car les enfants ne sont pas capables de maîtriser leur impulsivité.
Un enfant ne sera jamais maltraitant envers ses parents dans un but éducatif, en se disant qu’il le fait pour leur “bien”. Seuls les adultes s’accordent ce droit.
Quand on manque de respect à un enfant, il est important de lui laisser le droit de manifester sa révolte à travers la colère car c’est précisément cette colère qui lui permet de se réparer et d’affirmer ses limites personnelles, son “je”.
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Des livres pour aller plus loin :
C’est pour ton bien ! de Alice Miller (éditions Champs Essais Flammarion)
Regarde, ton enfant est compétent ! de Jesper Juul (éditions Chronique Sociale)
Aimer nos enfants inconditionnellement de Alfie Kohn (éditions Instant Présent)
Le mythe de l’enfant gâté de Alfie Kohn (éditions Instant Présent)