Enfants : prévenir les agressions sexuelles

Enfants _ prévenir les agressions sexuelles

Jocelyne Robert est sexologue et a écrit plusieurs ouvrages au sujet de l’éducation affective et sexuelle. Dans son livre Te laisse pas faire – Les agressions et les abus sexuels expliqués aux enfants (Les Editions de l’Homme), elle propose des pistes pour parler avec les enfants de la vie affective et sexuelle et des risques d’agression sexuelle.

Les pédocriminels savent inspirer confiance aux enfants… et aux parents !

Jocelyne Robert rappelle que les agressions sexuelles sont la plupart du temps commises par des personnes de l’entourage proche (famille, amis adultes de la famille, amis adolescents, voisins…) ou des personnes en contact régulier avec les enfants (enseignants, professeurs de sport ou de musique, bénévoles associatifs…). Il est donc important de ne pas focaliser la prévention sur les risques d’enlèvement ou sur la seule peur des inconnus mais d’avoir un discours suffisamment englobant pour inclure les situations les plus fréquentes dans les faits.

Les agresseurs sexuels pédocriminels sont en général des personnes qui inspirent confiance aussi bien aux adultes qu’aux enfants. Ils se montrent même souvent très gentils, aux “petits soins” pour gagner cette confiance et éloigner toute méfiance. Une fois sa toile tissée et un lien d’attachement créé avec l’enfant, le pédocriminel peut passer à l’acte. En tant que parents, nous devons avoir conscience de ce mécanisme pour l’aborder avec efficacité. Cela ne signifie pas pour autant que tous les encadrants d’enfants et bénévoles dans les clubs sportifs sont des agresseurs en puissance.

Un lien d’apparence positive qui évolue pour aboutir au pire

Dès lors, le lien créé avec l’enfant va progressivement se transformer en “amitié sexualisée” (expression de Jocelyne Robert) dans une intimité de plus en plus recherchée par l’agresseur qui crée des conditions et opportunités pour être seul avec l’enfant.

A ce moment-là, la prédation peut être stoppée si l’enfant fait part de son malaise à un autre adulte. L’enfant sensibilisé va être capable de sentir que cette proximité physique n’est pas normale et que quelque chose ne va pas. S’il sait que sa parole au sujet de ce malaise va être crue et accueillie, il peut se confier sans honte dès les premiers gestes trop intrusifs, les demandes déplacées ou une promiscuité qu’il juge gênante (avant l’agression sexuelle en soi). A partir du moment où l’enfant brise le silence, les agressions ne peuvent plus avoir lieu car l’agresseur est démasqué.

La priorité : des informations sur la vie affective et sexuelle

Bien nommer les choses (y compris le plaisir)

Pour Jocelyne Robert, la première des mesures de prévention est de parler de vie sexuelle et affective de manière simple et joyeuse avec les enfants dès leur plus jeune âge. Il est inefficace (et peut être effrayant) pour un enfant de parler des risques d’agressions sexuelles avant d’avoir parler de la “face lumineuse” de la vie sexuelle. Cela passe par exemple par le fait de nommer les parties du corps avec des mots explicites et sans gêne dès l’apparition du langage (pénis et vulve en particulier). Un enfant doit être capable de nommer ses organes génitaux comme toutes les autres parties de son corps.

En cela, Jocelyne Robert rejoint les recommandations de Maëlle Challan Belval (conseillère conjugale et formatrice en éducation sexuelle et affective) dont j’ai présenté le livre Osez en parler ! – Savoir parler d’amour et de sexualité avec ses enfants il y a quelques mois. Cette dernière estime qu’une éducation sexuelle et affective adaptée aux besoins des enfants et des adolescents, respectueuse, conduite dans un climat ouvert, les nourrit et les apaise. C’est l’absence d’information qui est préjudiciable. Maëlle Challan Belval raconte l’exemple d’une écolière qui, après avoir compris ce qu’était une érection après une séance d’éducation sexuelle et affective, a pu faire le lien avec la “bosse” qu’elle sentait sous ses fesses quand le chauffeur de bus l’invitait à monter sur ses genoux.

Cette éducation sexuelle et affective se fait au long cours selon le développement de l’enfant, ses questionnements et les occasions proposées par la vie (une visite au musée avec des statues nues, une publicité avec une femme dénudée dans la rue, l’annonce de la naissance d’un petit cousin, l’homosexualité d’un ami…). Il ne s’agit pas ici d’avoir un discours “technique” sur la fabrication des bébés (la plupart des rapports sexuels ne servant pas à la procréation…) mais de parler de plaisir et de désir.

Par ailleurs, insister auprès des enfants sur le fait que leur corps leur appartient et qu’ils sont les seuls à décider qui a le droit de les toucher. Un enfant a le droit de dire non à des câlins, des bisous ou des chatouilles (même venant de papa ou maman) quand il n’en a pas envie. Il a aussi le droit de dire oui puis non (par exemple pendant une séance de chatouille). Cela apprend aux enfants non seulement à connaître et affirmer leurs limites mais aussi à comprendre que le non des autres est à respecter de manière non négociable.

Enfin, une éducation respectueuse permet à l’enfant de développer une boussole interne efficace (connaissance de ses émotions comme guides fiables sur ce qui est bon pour lui et confiance en son intuition) et d’instaurer une relation de confiance avec ses parents auprès desquels il n’éprouvera pas d’appréhension pour se confier.

Ne pas confondre amour et sexualité

Il est également important de ne pas confondre amour et sexualité. Il est faux de dire que c’est normal pour les personnes qui s’aiment de faire l’amour ou d’avoir des relations physiques intimes. Toutes les personnes qui s’aiment n’ont pas forcément des relations sexuelles (les parents ou grands-parents et les enfants, les frères et soeurs). La sexualité, c’est agréable pour les couples d’amoureux où aucun des partenaires n’a de pouvoir sur l’autre (par exemple à cause d’une grande différence d’âge, d’une plus grande force physique, d’une capacité à nuire à l’autre en l’empêchant d’accéder à ce qui lui plaît comme un rôle dans un spectacle ou une place dans une équipe sportive…).

En effet, un enfant peut éprouver de l’affection pour son enseignant, son entraîneur de sport, un voisin ou encore son oncle, son grand-père ou son cousin âgé et, en cas d’attouchements ou d’agressions, peut être amené à penser que c’est parce qu’ils s’aiment qu’il y a contact physique intime. C’est d’autant plus délicat que c’est souvent le discours des agresseurs  (“c’est parce que je t’aime que je te touche, c’est normal entre personnes qui s’aiment”). Rappeler qu’un adulte n’a pas le droit de se comporter comme un amoureux ou une amoureuse avec un enfant permet d’ancrer le caractère anormal de cette situation dans la tête de l’enfant et qu’il n’en est pas responsable si cela lui arrive.

Tenir ce type de discours sur une sexualité agréable et joyeuse tout en rappelant les interdits impérieux construit les bases d’une sexualité saine. Couplé à des discours réalistes mais non alarmistes au sujet des agressions sexuelles, ils représentent une prévention efficace.

Dans un deuxième temps : de la prévention et des outils

Poser des mots explicites sur les interdits

Dans un discours de prévention, il est utile de dire que des grands (hommes ou femmes, adolescents ou vieillards) peuvent avoir des gestes déplacés envers les enfants. C’est notre rôle d’expliquer ce que peuvent être ces gestes déplacés avec des mots explicites : un grand peut demander à un petit de le regarder nu ou de se faire regarder nu, de le toucher ou de se faire toucher la vulve, les fesses, ou encore le pénis. Le grand n’a pas le droit de faire cela, c’est complètement interdit et cela l’est dans toutes les circonstances (même en offrant des bonbons, même en promettant une place dans la meilleure équipe ou un avantage quelconque, même en disant que c’est agréable).

Les grands n’ont pas le droit non plus de faire du chantage (“si tu ne fais pas ça, je ne m’occuperai plus de toi”), de donner des cadeaux (“si tu fais ça, je t’offrirai un jeu vidéo”) ou de proférer des menaces (“si tu le dis à tes parents, ils vont être tristes, tu vas leur briser le cœur”), ni de demander à un enfant de garder quelque chose secret.

Des règles que les adultes s’imposent

C’est aux parents de protéger au maximum les enfants des situations à risque (en évitant de laisser un enfant seul avec un adulte ou avec un enfant plus âgé/ ado). A l’école, la règle est pas d’enfant tout seul avec un adulte. Cette règle doit être valable partout et avec tout adulte. Certains disent même qu’il ne faudrait jamais laisser un enfant seul avec un autre enfant plus âgé.

Dans son livre, Jocelyne Robert propose plusieurs outils ludiques et des jeux de rôle (avec des questions du type “que ferais-tu si un voisin te propose d’aller avec lui dans sa cave pour chercher des outils pour réparer ton vélo ?”). Par exemple, elle propose de lister les personnes de confiance avec lesquelles l’enfant est absolument certain d’être en sécurité. Ces personnes sont les seules habilitées à rester toutes seules avec l’enfant.

Si personne ne sait où l’enfant se trouve ou si l’enfant se retrouve seul avec un adulte qui n’est pas sur cette liste, l’enfant doit avoir un signal qui s’allume dans sa tête pour détecter une situation à risque et s’en aller, crier ou demander de l’aide (par exemple, dans un magasin ou un bureau de Poste).

Quand l’enfant fait part d’attouchements ou d’une agression sexuelle

Un triptyque : je te crois, je suis content·e que tu ais parlé, on va agir

Il est fondamental de croire l’enfant quand il fait part d’un incident à caractère sexuel. L’enfant a besoin de se sentir cru, accepté tel qu’il est, sans ressentir de la gêne, de la honte ou du rejet de la part de l’adulte auquel il se confie.

Il peut nous être difficile de ne pas paniquer face à une confession mais le plus efficace est d’accueillir la parole de l’enfant, le remercier de sa confiance envers nous et manifester de l’empathie pour la difficulté qu’il a dû surmonter pour parler.

Se focaliser sur les faits (le déroulé des événements, les émotions ressenties par l’enfant, les gestes posés) permet à l’enfant de se décharger de son fardeau. Une fois la confession passé, nous pouvons rassurer l’enfant en lui disant qu’il a bien fait de nous parler et que nous allons voir comment traiter la situation (où et quand porter plainte, prendre contact avec des associations, choisir un psychologue spécialisé, couper tout contact avec la personne incriminée, aller voir un avocat…).

Éviter le “victim-blaming”

Il est indispensable d’éviter ce qu’on appelle en anglais le “victim-blaming” qui rend la victime responsable de ce qui lui arrive. Un enfant n’est jamais responsable d’une agression et il est nocif de chercher des circonstances atténuantes au pédocriminel.

Un enfant ne doit pas se voir reprocher le fait de ne pas s’être sauvé ou, comme c’est souvent le cas pour les jeunes filles, d’avoir porté une tenue qui aurait provoqué l’adulte. C’est toujours l’adulte qui porte la responsabilité de la relation avec l’enfant.

Par ailleurs, le mécanisme de la mémoire traumatique empêche les victimes de réagir.  De plus, le fait qu’il n’y ait pas eu de violence ou le fait que l’enfant ait éprouvé du plaisir ne disqualifie pas le caractère criminel de l’agression ou des attouchements. Le livre de Vanessa Springora “Le consentement” paru récemment montre à quel point la question du consentement est sujette à caution (quelle frontière entre emprise mentale et consentement ? entre manipulation et consentement ? une absence de cris ou de débattement vaut-elle consentement quand on sait comment fonctionne la sidération ?). C’est la raison pour laquelle de nombreuses voix s’élèvent pour un établir un âge minimum de non consentement (même s’il y a consentement de la part de l’enfant, le caractère criminel sera retenu).

Connaître et repérer les symptômes traumatiques

Enfin, on peut mentionner le travail de Muriel Salmona sur le traumatisme pour connaître et repérer les symptômes post traumatiques qui peuvent laisser penser qu’un enfant est victime de violence sexuelle. Selon Muriel Salmona, détecter les violences subies par les enfants passe par le fait de :

  • Poser des questions aux enfants qui ont l’air d’aller mal :
    • qu’est-ce qui t’est arrivé pour que tu ailles aussi mal ?
    • qu’est-ce qu’on t’a fait de gênant ou de douloureux pour que tu ailles aussi mal ?
    • qu’est-ce que tu as subi ?
    • est-ce que tu es en danger immédiat ?

Il est important de savoir que des soins appropriés apportés aux victimes de violences leur permettent de récupérer et de retrouver une vie normale ou presque. Par ailleurs, si on prend en charge les enfants victimes de violences, on évite qu’ils s’en prennent à eux-mêmes et aux autres.

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Pour aller plus loin : Te laisse pas faire – Les agressions et les abus sexuels expliqués aux enfants de Jocelyne Robert (Les éditions de l’Homme). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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