Esprit critique : activer notre vigilance épistémique
Dans son livre Quand est-ce qu’on biaise ? Comment ne pas se faire manipuler, Thomas Durand, coanimateur de la chaîne La Tronche en biais, rappelle à quel point l’influence sociale est puissante. Cette influence est utile, mais elle peut aussi avoir des effets pervers.
L’utilité de l’influence sociale
Thomas Durand écrit que les jeunes humains croient ce que leur disent les adultes qui les élèvent. Ce fonctionnement permet d’apprendre plus vite, et notamment de comprendre et appliquer les normes sociales qui permettent de vivre pacifiquement dans le groupe de naissance. Les humains retirent des bénéfices à croire ce que leur disent les personnes avec plus d’expérience. Cela ne signifie pas pour autant que les enfants sont incapables d’évaluer la compétence et la fiabilité des adultes qui les entourent. Ils deviennent moins naïfs avec l’âge, l’éducation reçus et l’expérience personnelle. Plusieurs facteurs interagissent pour façonner la manière dont nous choisissons d’accorder, ou non, notre confiance à telle ou telle source d’information.
Les effets pervers de l’influence sociale
L’influence sociale nous fait adhérer à ce que disent les personnes qui nous sont proches, physiquement ou en matière de représentation du monde. Cette adhésion peut toutefois se transformer en enfermement au point qu’une pensée différente devient une agression. Une simple confrontation d’idées peut évoluer en conflit violent (insulte, humiliation, menaces, coups, blessure…) quand un désaccord est vécu comme une agression. Si nous discréditons d’emblée toute idée émise par des personnes dont les opinions nous dérangent, nous maximisons nos risques d’être manipulés par des personnes faisant autorité dans le groupe auquel nous nous identifions. On ne peut être trahi que par les personnes auxquelles nous accordons notre confiance. En conséquence, les influences les plus puissantes sont celles qu’exercent les individus auxquels nous nous fions et c’est face à celles-ci dont nous devons le plus faire preuve d’esprit critique avec méthodologie.
Définir la vigilance épistémique
Viser la rationalité
La vigilance épistémique est un concept de Dan Sperber, définie comme la faculté que nous avons de traiter une information avant de l’intégrer à notre représentation du monde. Quand nous faisons preuve de vigilance épistémique, nous augmentons nos chances de ne pas croire (ni relayer) des informations de mauvaise qualité ou trompeuses. Les humains commencent leur vie avec une faible vigilance épistémique puis cette vigilance épistémique pourra être activée plus fréquemment et de manière plus méthodique avec l’âge.
Viser la rationalité, c’est vivre tous les jours comme si c’était le premier avril en sachant que les informations qui nous plaisent, nous étonnent, nous choquent pourraient bien être fausses ou ambiguës. La manière la plus prudente de faire le tri est de ne pas se focaliser sur l’identité de la source, mais sur la méthode qui a permis de produire cette information. Ce qui fait autorité, c’est la démarche et la pensée de groupe est l’ennemie de la pensée critique. – Thomas Durand
Déjouer le confort d’une pensée facile
Thomas Durand rappelle que les problèmes se posent avec les sujets pour lesquels nous avons peu (voire aucune) compréhension. Dans ce cas, nous devons mobiliser beaucoup d’efforts pour compléter notre compréhension du monde ou bien évaluer le degré de crédibilité de la thèse défendue, en fonction de la confiance que nous accordons à la compétence de la source. Thomas Durand parle d’effort dans le sens où nous avons tendance à relâcher notre vigilance épistémique face à une personne à laquelle nous faisons habituellement confiance. En général, nous ne remettons pas systématiquement et méthodiquement en cause les moindres paroles d’un expert dont la compétence a déjà été éprouvée par le passé (du fait d’un diplôme, de recherches en lien avec le sujet, de livres au succès littéraire, de prospectives qui se sont révélées justes dans le passé, de prix ou récompenses reçues…). Une personne ne doit jamais faire autorité. Il nous est très difficile d’admettre qu’une information peut être fausse alors qu’elle provient d’une source que nous aimons bien ou que nous tenons pour qualitative, pour fiable.
Nous aimons le confort d’une pensée facile perfusée par des sources sympathiques, alimentées en information confirmant nos idées préalables, protégées contre les discours alternatifs par une bulle de filtre, dispensée des efforts et de la prudence à déployer lorsqu’on s’aventure à réfléchir hors du terrain balisé de la pensée de groupe. – Thomas Durand
Ainsi, activer notre vigilance épistémique, c’est renoncer au confort de la pensée facile, qui se révèle être un piège dans lequel les humains tombent souvent.
Pour aller plus loin : De l’esprit critique dans la parentalité positive ?
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Source : Quand est-ce qu’on biaise ? de Thomas Durand (éditions HumenSciences). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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