Les enfants sont-ils dignes de confiance ? (ou plutôt : pourquoi partons-nous du principe qu’ils sont indignes de confiance ?)
La confiance a un côté subversif.
En tant que parents, nous pouvons avoir tendance à penser que les enfants doivent mériter notre confiance et à considérer de prime abord que les enfants ne sont pas dignes de confiance. Pourtant, la confiance doit être première pour induire un comportement digne de confiance. La confiance n’a pas à être la conséquence d’un comportement fiable mais, à l’inverse, donner un gage de confiance sans condition ni attente peut changer la dynamique d’une relation. Le fait de faire confiance à une personne (un enfant en particulier) sans attendre que cette personne fasse ses preuves peut induire un comportement fiable et digne de confiance (c’est ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice). Mais il se peut que la personne choisisse une autre voie : la confiance est donc un pari sur l’avenir. En ce sens, la confiance a quelque chose de subversif.
Au lieu de penser la confiance comme une conséquence, il est possible de la penser comme une manière d’être en relation, comme la condition d’une relation respectueuse et empreinte de dignité.
La confiance ne peut pas être un contrat.
La confiance ne peut pas être un contrat. Dans le cadre d’un contrat, on prévoit les conséquences d’un comportement au sein d’une relation symétrique. Les personnes qui signent le contrat s’engagent réciproquement et volontairement. Le futur est ainsi encadré car telle action entraînera telle conséquence et cette chaîne de cause/conséquence est connue par toutes les personnes ayant signé le contrat.
La confiance est exactement l’inverse d’un futur ordonné, encadré mais relève d’une relation asymétrique: on ne sait pas ce qu’on va recevoir en échange de notre confiance. Celui ou celle qui accorde sa confiance se pose en situation de vulnérabilité et devient en quelque sorte dépendant.e de la personne à laquelle la confiance est accordée. Il n’y a rien de prévisible ni de maîtrisable dans la confiance. La confiance porte du risque en elle et accepte la possibilité d’une défaillance. Et c’est la raison pour laquelle, en tant que parent, nous pouvons avoir du mal à accorder une confiance inconditionnelle aux enfants (en plus des angoisses parentales sur la santé, la sécurité ou l’avenir des enfants).
Si on a besoin de contrôler pour faire confiance, ce n’est pas de la confiance. La phrase “La confiance n’exclut pas le contrôle” est un non-sens : il s’agit soit de confiance, soit de contrôle mais les deux sont irréconciliables. Ainsi, la confiance suppose une force en soi, une robustesse personnelle car accorder sa confiance, c’est prendre le risque d’être trahi, d’être blessé, de voir des espoirs déçus. Ce risque est pourtant fécond en opportunités et en apprentissages (et en est même la condition).
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Repenser le risque comme fécond (plutôt que comme une menace)
Les process, routines et ordres dispensent l’esprit de penser.
Le risque ne doit pas toujours être synonyme de menace car, sinon, on réduit nos relations à des process, à des routines rigides, à des ordres, des normes comportementales où l’action personnelle est censurée. Les process, routines et ordres dispensent l’esprit de penser. Or les enfants sont précisément en train d’exercer leur pensée, d’apprendre, d’exercer leur pouvoir personnel, de construire leur autonomie. Le problème apparaît quand les routines familiales et les normes deviennent le sommet des priorités au détriment du sens, de l’action, des apprentissages, des émotions et, au final, des relations humaines. Ainsi, une routine du coucher peut être utile pour rappeler aux enfants que le brossage de dents est important avant le coucher mais elle pose problème quand elle ignore les besoins réels des enfants.
Pencher plutôt du côté du contrôle que de la confiance, c’est ne pas être prêt à prendre le risque d’être déçu ou trahi parce qu’il y a des enjeux de dépendance aux regards extérieurs (ex : que vont penser les gens si mon enfant agit ainsi ?) et de responsabilité parentale (ex : je veux que mon enfant soit poli/ ne vole pas; j’ai peur pour la sécurité de mon enfant quand il ne rentre pas à l’heure prévue). Le problème est que, plutôt de nous ouvrir authentiquement sur nos émotions, nos peurs, nos valeurs dans un langage personnel, nous basculons du côté du contrôle de l’enfant (punition, récompense, chantage).
Apprendre suppose du risque et passe par les erreurs.
Pourtant, l’action, les apprentissages, la vie, les relations supposent du risque, l’incertitude, le sens et la confiance. La confiance suppose également qu’on puisse apprendre des erreurs, qu’on puisse réparer des erreurs et qu’on ait de la considération pour les autres (et leur intégrité physique et morale).
S’il n’y a aucune incertitude dans ce qu’on entreprend, il n’y a pas d’apprentissage mais seulement de l’exécution. L’action ne doit pas être simplement un mouvement sans conscience qui se répète. Les enfants ont besoin de jouer avec les aléas, de prendre en compte les changements, de faire des expériences, de connaître la véritable personnalité de leurs parents .
S’ouvrir à l’autre, c’est être autonome et suffisamment “fort” pour encaisser une trahison, une erreur ou une déception. En tant que parents, c’est raisonner en termes d’enseignement et de réparation plutôt que de punition; en termes de besoins et de motivation des actions plutôt que de contrôle; en termes d’histoire personnelle (ce qui est touché en nous et pourquoi le contrôle nous paraît la seule option) plutôt qu’en termes de faute de l’enfant; en termes de petits pas et d’erreur plutôt que de maîtrise immédiate.
Pour aller plus loin : Et si nous réapprenions à faire confiance aux enfants ?
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Inspiration : conférence de Julia de Funès – Absurdités en entreprise à l’USI (2018)