L’enfer des passes : un récit pour dénoncer les ravages de la prostitution (et le mythe du travail du sexe)

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Les éditions Libre ont eu la gentillesse de me faire parvenir un exemplaire du livre L’enfer des passes, suite à mon billet au sujet d’un autre livre paru chez eux au sujet de la pornograhie (PORNLAND : un essai percutant sur les dégâts du porno sur la culture dominante et nos imaginaires). Dans ce livre, Rachel Moran, libérée de l’industrie du sexe après 8 ans de prostitution en Irlande, raconte son expérience de la prostitution et explique en quoi seule l’abolition permet une réelle émancipation féministe.

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J’estime que la présentation de ce type d’ouvrage a toute sa place sur le blog car la bientraitance telle que je la définis ne peut pas être désolidarisée du féminisme universaliste. C’est en ce sens que j’ai recensé l’ouvrage Pornland, ainsi que l’ouvrage de Christine Le Doaré Fractures : un essai pour renouer avec un projet d’émancipation de la société (grâce au féminisme universaliste), et que j’ai mentionné à plusieurs reprises l’ampleur et les conséquences des violences sexuelles sur les enfants (lire : Les violences sexuelles sur les enfants sont un problème récurrent, relativement passé sous silence au regard de sa fréquence et de ses conséquences dramatiques).

Ce récit est sans concession et permet de prendre conscience de la violence que représente la prostitution sur les femmes qui se prostituent, mais aussi sur toutes les femmes et, au final, l’ensemble de la société car toutes les femmes sont vues comme des marchandises potentielles (ainsi que les enfants dans certains pays faisant profit du tourisme sexuel). On y comprend aussi que les femmes prostituées sont issues de communautés vulnérables. Rachel Moran raconte que la plupart des femmes prostituées qu’elle a croisées (et elle-même) venaient de familles dysfonctionnelles, “où se côtoyaient voire se cumulaient la misère, la toxicomanie, la maladie mentale, les agressions sexuelles”.

L’autrice parle d’une “bataille culturelle” à mener pour comprendre en quoi la prostitution est une exploitation abusive. Selon l’autrice, les femmes qui prétendent avoir librement choisi la prostitution, ne pas en souffrir et y trouver un moyen d’émancipation mentent, à commencer par se mentir à elles-mêmes pour ne pas s’effondrer physiquement et psychiquement. De plus, chez certaines femmes, des mécanismes psychotraumatiques entrent en jeu et ne permettent pas de voir les choses telles qu’elles sont réellement, voire poussent à rechercher des stimulations violentes. Muriel Salmona, psychiatre française spécialiste de la mémoire traumatique, rappelle que la dissociation des personnes traumatisées cache les impacts très graves des violences subies parce que la dissociation annihile la possibilité de s’opposer et de se révolter aux violences (physiques et/ou psychologiques). Ne pas savoir dire non peut être un symptôme de dissociation. Cela n’est pas lié à une impossibilité de dire non mais à une privation des moyens de dire non (via l’impossibilité d’éprouver des émotions) à cause de la dissociation. Une personne dissociée a donc plus de risques d’être à nouveau victime de violence puisqu’elle peut être réduite en esclavage sans protester. De plus, elle risque de ne pas aller consulter pour des maladies physiques étant donné qu’elle ne ressent pas ou mal ses sensations corporelles et ses émotions. On peut alors faire le lien avec les femmes exploitées dans le système prostitutionnel : non, elles ne choisissent pas ce métier car elles aiment ça; non, elle n’aiment pas ça, elles jouent la comédie, “aidées” par la dissociation et, souvent, par des drogues et analgésiques. 

Rachel Moran a voulu écrire ce livre pour briser le sceau de la honte qui entoure les prostituées, d’autant plus que les médias mainstream ont tendance à aller chercher les rares témoignages de femmes qui font une promotion idéalisée de leur métier. Rachel Moran rappelle d’ailleurs que, avant d’ouvrir les yeux, elle-même défendait son choix professionnel (qui n’en était pas un en réalité), était contre la loi de criminalisation des consommateurs de prostituées (les clients sans qui l’enfer prostitutionnel n’existerait pas) parce que c’était un moyen de protéger le peu de dignité personnelle qui lui restait, de “cacher son humiliation”.

Rachel Moran regrette que le fait de juger les femmes prostituées maintienne le système prostitutionnel en vie. Les femmes prostituées étant mises au ban de la société, elles se taisent et le commerce du sexe ne peut pas être dévoilé pour ce qu’il est réellement : une exploitation sexuelle et violente de personnes asservies (les femmes et les enfants, y compris des garçons). De plus, la toxicomanie et l’alcoolisme sont presque indissociables de la prostitution et Rachel Moran affirme que les femmes développent des dépendances qu’elles n’avaient pas auparavant car ces substances servent à engourdir le corps autant que l’esprit. 

Le témoignage de Rachel Moran est précieux parce qu’elle décrit les mécanismes qui poussent des femmes vulnérables (souvent abusées sexuellement dans leur enfance) à voir la prostitution comme une solution. Elle raconte que sa propre enfance l’a, en quelque sorte, préparé à la prostitution, dans le sens où elle a été habituée à vivre en dehors des normes sociales, à être ostracisée du fait de la pauvreté de sa famille et des problèmes de santé mentale mal pris en charge de ses parents. L’autrice parle d’ “exclusion précoce”, l’habituant à vivre en marge et à être jugée.

Rachel Moran estime que l’expression “travail du sexe” est une mystification scandaleuse car la prostitution ne peut pas être un travail. Cette activité diffère des autres métiers dans le sens où il y a une perte de la décence humaine. Rachel Moran appuie ses propos avec des exemples de demandes d’hommes qui l’ont payée et des agressions dont elle a été victime, y compris des viols car les consommateurs estiment avoir tous les droits sur le corps d’une femme qu’ils ont payée pour avoir du sexe, même quand cette dernière dit ouvertement non à certaines pratiques. Rachel Moran estime que la prostitution entraîne une perte de conscience de soi, des douleurs physiques et une peur permanente (peur des agressions, peur de la précarité, peur des proxénètes pour celles qui en ont, peur de la police, peur des jugements sociaux, peur de la déchéance complète de laquelle il ne sera plus jamais possible de revenir).

Chez McDonald, ce n’est pas vous la viande. Dans la prostitution, si. – Rachel Moran

Les descriptions de certaines scènes avec des hommes sont insoutenables et rendent bien compte de l‘enfer prostitutionnel. Il y est question de perversité, de condescendance, de mépris humain, d‘argent (certains hommes refusant de payer s’ils n’ont pas réussi à jouir par exemple), de soumission, de violence physique, de douleurs dans toutes les parties du corps malmenées, battues, voire violées. Rachel Moran mentionne avec révolte les femmes qu’elle a connues et qui ont été battues et même assassinées par des soit-disant clients (mot qui cache la nature des rapports aliénants dans la prostitution), sans compter celles qui se sont suicidées (ou ont tenté de le faire). La prostitution n’est rien d’autre que la maltraitance rémunérée et tolérée socialement. 

Rachel Moran estime que toutes les formes de prostitution sont dégradantes et à abolir, que ce soit la prostitution de rue, en “bordel”, en tant qu’escort girl, avec ou sans proxénète. Elles sont toutes avilissantes et ont des conséquences à long terme sur la santé tant physique que mentale des femmes (problèmes gynécologiques, stress post-traumatique, addictions, honte sociale, difficulté à réintégrer le monde professionnel hors prostitution…).

Rachel Moran milite pour l’abolition de la prostitution sous toutes ses formes car, écrit-elle, “les hommes doivent s’habituer au fait que les femmes ne sont pas à vendre”. Pour éliminer la prostitution, il faut éliminer la demande. L’autrice affirme que ceux qui plaident en faveur de la prostitution sont ceux qui ont des intérêts et des objectifs dans ce système d’exploitation humaine. Ils tirent un profit soit sexuel, soit financier du corps des femmes prostituées. Celles et ceux qui ne se préoccupent pas de ce sujet, qui n’ont pas d’avis ou qui recourent à des arguments du type “leur corps, leur choix” ne comprennent pas l’impact de la prostitution sur la vie de ces femmes et ne sont pas informés au sujet du fonctionnement psychotraumatique car ils croient les témoignages des prostituées soit-disant heureuses, émancipées. Tolérer la prostitution, c’est dégager les hommes de leur responsabilité morale car cela devient acceptable de payer pour utiliser le corps féminin, en occultant le fait que la femme payée n’est pas consentante puisqu’elle n’aurait pas eu de rapport sexuel sans cet échange monétaire. La prostitution n’est pas un mal nécessaire et la prostitution ne protège pas les “honnêtes” femmes du viol (regardons les statistiques au sujet des agressions sexuelles pour réaliser l’énormité de cette pseudo justification de la prostitution). Rachel Moran estime plutôt que “la prostitution est une école de formation pour misogynes“.

Essayer de faire de la prostitution un travail légitime et normal s’oppose à la logique sur bon nombre de plans, l’un des plus évidents (et presque risibles) étant que la législation sur l’hygiène et la sécurité du travail interdit le harcèlement sexuel, la violence et le stress lié à l’activité professionnelle. – Rachel Moran

Il y a un vrai problème de déni de la violence dans notre société et il est nécessaire de s’occuper de toutes les facettes de cette violence.

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L’enfer des passes : mon expérience de la prostitution de Rachel Moran (éditions LIBRE) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet (site de l’éditeur)

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Cette chronique fait suite à un exemplaire reçu en service presse.