Les mots comptent pour notre santé mentale.

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L’agilité émotionnelle en lieu et place de la pensée positive 

Susan David est une chercheuse en psychologie sud-africaine. Elle travaille sur les méfaits de la pensée positive, qui conduit à une culture valorisant la positivité constante (au détriment d’une culture réellement humaine valorisant la compassion, l’authenticité et la vulnérabilité).

Susan David définit l‘agilité émotionnelle comme la capacité à vivre avec nos émotions avec curiosité, compassion et surtout, le courage de prendre des mesures liées à nos valeurs. Ce concept d’agilité émotionnelle est plus qu’une simple acceptation des émotions. L’exactitude des mots permise grâce à un lexique émotionnel riche compte. Nous avons tendance à utiliser des expressions toutes faites pour décrire nos sentiments. « Je suis stressé » fait partie de ces expressions fréquentes. Nous répondons souvent “Bien” ou “Mal” quand on nous demande comment nous allons.

Même à l’âge adulte, il n’est pas si facile de nommer les sentiments avec précision :

  • nous sommes plus souvent enclins à dire “Je me sens bien” ou “Je me sens mal” qu’à nommer les sentiments précis que nous éprouvons;
  • à la question “Quel est ton ressenti ?”, nous avons tendance à raisonner en termes de “J’aime/ j’aime pas“, “C’est intéressant/ ce n’est pas intéressant“;
  • même quand nous pouvons identifier la nature du sentiment que nous éprouvons, il reste difficile d’en évaluer l’intensité et de le désigner avec un mot précis qui nous apporte de la clarté et communique aux autres comment nous nous sentons réellement et ce à quoi nous aspirons.

Acquérir un lexique des émotions riche

Susan David nous invite à prendre un moment pour nommer la nature de l’émotion quand nous ressentons une émotion forte : est-ce de la colère, de la tristesse, de la peur, de la joie, de la honte, de la confiance ou encore du dégoût ? Nous pouvons même aller plus loin : une fois que nous avons identifié la nature de l’émotion éprouvée, nous pouvons essayer de trouver deux mots supplémentaires qui décrivent les ressentis pour qualifier leur intensité et leur nuance. Nous pourrions alors être surpris de l’ampleur de nos émotions ou découvrir une émotion plus profonde, une sorte de deuxième émotion enfouie sous la plus évidente. Ce petit exercice peut être réalisé tant avec les émotions désagréables (colère, tristesse, peur, dégoût) qu’agréables (joie, amour, confiance, gratitude, optimisme). La surprise peut être considérée comme une émotion neutre, qui permet une attention plus grande à ce qui se passe et une détermination de la nature de l’événement (fuite face à un danger ou réjouissement face à une bonne surprise).

Voici un lexique des émotions qui peut servir de guide :

lexique des émotions

>>En version PDF pour impression : lexique des émotions

 

Ainsi, quelqu’un qui se sent nerveux à l’idée de son premier jour dans un nouvel emploi peut comprendre qu’il est également excité. Ces deux émotions, masquée par le stress, révèlent que ce nouvel emploi compte pour cette personne, qu’elle appréhende de ne pas être à la hauteur parce qu’elle a à coeur de réussir.

 

Un super-pouvoir psychologique accessible à tous !

Etiqueter avec précision une émotion est un “super-pouvoir psychologique”.

Susan David estime qu’étiqueter avec précision une émotion est un “super-pouvoir psychologique”. Ce super-pouvoir transforme une expérience désagréable comme le « stress » en une expérience finie avec des limites et un nom comme « déçu » ou « épuisé ». Bien nommer les émotions permet d’avancer avec plus de conscience, en prenant en compte les besoins et les valeurs, les aspirations profondes. Par exemple, une personne qui éprouve de la rage en lisant les informations valorise l’équité et la justice et cette rage signale une opportunité d’agir pour façonner la vie dans cette direction. Quand nous sommes ouverts aux émotions difficiles, nous pouvons générer des réponses alignées avec nos valeurs.

Susan David rappelle toutefois que les émotions sont des données, non pas des directives, et que nous pouvons accepter toutes les émotions en les nommant et les vivant dans le corps (dire où et comment ça fait dans le corps) sans pour autant accepter tous les comportements. C’est toute la différence entre posséder ses émotions et être possédés par elles. Par exemple, lors d’une discussion où l’on se sent mis de côté ou ignoré, il peut arriver qu’on se dise : “ça recommence, personne ne s’intéresse à moi, ce n’est même plus la peine d’essayer de prendre la parole.” Une autre manière d’aborder le sujet serait de se dire : “Cela m’est inconfortable de me sentir transparent et ignoré. J’ai besoin de me sentir en sécurité pour m’exprimer et donner le meilleur de moi-même.” Un changement du langage interne peut faire une grosse différence entre une réaction impulsive inefficace (attaque, retrait, prostration, critique) et une réponse rationnelle (prise en compte des pensées internes, expression des émotions, des besoins et des aspirations, formulation d’une demande).

Lutter contre les méfaits de la répression émotionnelle et de la pensée positive 

L’agilité émotionnelle n’est pas synonyme d’épisodes de colère explosive non retenue ou de lamentations perpétuelles. Il s’agit plutôt de se présenter à soi-même et à son entourage avec honnêteté et vulnérabilité. Notre capacité à ressentir toute une gamme d’émotions fait partie de notre humanité partagée. Ainsi, l’agilité émotionnelle permet de lutter contre les méfaits de la positivité toxique. Toute émotion a en effet une utilité physiologique au service de la vie :

  • la colère répare face à l’impuissance, à la frustration, au deuil et fait réagir à l’injustice;
  • la peur protège du danger et pousse à l’action (soit fuir, soit attaquer, soit se prostrer si ni la fuite ni l’attaque ne sont possibles);
  • la tristesse est l’émotion de la séparation qui permet un retour sur soi et attire la compassion des autres.

Susan David regrette que des émotions normales, naturelles reçoivent un jugement moral (bonnes/ positives ou mauvaises/ négatives). S’il était si facile de se “débarrasser” des pensées négatives, les personnes déprimées ou dépressives seraient très rares. De plus, un bon moyen de se créer une obsession est de porter exagérément attention à toutes ses pensées et d’en débusquer une qui nous rend honteux   (“je ne devrais pas avoir cette pensée, pourquoi je n’arrive pas à la maîtriser, je fais tout pour la contrôler mais je n’y arrive pas”…). L’idéologie de la pensée positive peut avoir comme effet pervers possible de faire reposer toute la responsabilité d’une situation sur l’individu au détriment des déterminants sociaux et du contexte.

Pour aller plus loin : Le mythe de la loi de l’attraction et les méfaits de la pensée positive

 

De la théorie à la pratique

Deux exercices d’agilité émotionnelle

Susan David nous propose de réaliser un petit exercice sur une journée : dire à quelqu’un ce que nous ressentons vraiment et lui demander d’être honnête avec nous sur ce qu’il ressent.

Un autre petit exercice d’agilité émotionnelle consiste à aborder les discours de la petite voix interne avec curiosité et souplesse (plutôt qu’en se jugeant durement ou en accusant les autres). Le fait de contextualiser la situation aide à faire émerger une voie vers un changement, dans le sens d’un alignement avec les besoins profonds et les aspirations.

Les besoins profonds et inspirants nous font pétiller, nous donnent de l’élan, parlent de nos rêves et de nos aspirations. Nous nous sentons solides quand nous sommes en lien avec ces besoins car il nous indiquent que nos actes et nos valeurs sont alignés. Ces besoins sont sources de motivation car ils sont inspirants tant pour soi que pour l’entourage. Par exemple : « J’ai besoin de créer du beau. » Ils n’impliquent que nous-même et ne cherchent pas à faire faire quelque chose à autrui. Par exemple, « J’ai besoin de donner le meilleur de moi et j’y arrive mieux dans le calme » est différent de « J’ai besoin de silence » (qui sous-entend que l’autre doit se taire et qu’il est trop bruyant, incapable de se rendre compte par lui-même qu’il dérange les autres).

Une fois le besoin profond identifié (comme « J’ai à cœur d’accomplir au mieux mon travail »), nous pouvons imaginer une demande, à faire à nous-même ou à l’autre. Si cette demande s’adresse à une autre personne, elle émergera d’une aspiration profonde et non pas d’un reproche ou d’une plainte.

Les 3C : compassion, curiosité, courage

Susan David propose de passer nos discours internes à la moulinette de 3 C :

  • Compassion : “C’est vrai que je ressens… et cela raconte quelque chose sur moi. J’ai le droit d’avoir des fêlures, je suis un humain, pas une machine.”
  • Curiosité : “De quoi cette émotion ou cette pensée essaie-t-elle de me protéger ? Elle a sa part d’utilité et je peux lui dire merci avant de lui dire que je n’ai désormais plus besoin d’elle.”
  • Courage : “C’est vrai que je me sens comme cela. C’est désagréable mais ce n’est pas dangereux. Je vais vivre avec, plutôt que contre.”

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Susan David est l’autrice du livre L’agilité émotionnelle : Accueillir ses émotions et les transformer (éditions J’ai Lu).

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