Maternité féministe : la charge mentale n’est pas un problème de femmes mal organisées ou perfectionnistes

parler de travail domestique invisible plutôt que de charge mentale

Parler de charge mentale,  c’est en réalité parler de travail domestique invisible 

Dans son livre Daronne et féministe, Fabienne Lacoude regrette que la notion de charge mentale ait été médiatisée comme un problème que les femmes devraient régler elles-mêmes, à grand coup de conseils d’organisation, d’injonctions au lâcher-prise ou de critiques sur la tendance des femmes au perfectionnisme. Fabienne Lacoude compare la charge mentale inhérente à la vie de famille à celle nécessaire à l’organisation d’une réunion au travail : il faut caler une date, réserver une salle, communiquer l’heure et le lieu à l’ensemble des participants, prendre en compte les absences et imprévus, s’assurer que le matériel est disponible et fonctionne, aménager la pièce si nécessaire (compter le nombre de chaises, disposer les tables en U…), se rendre sur place en avance pour accueillir les premiers participants. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire à l’organisateur de la réunion de se détendre et de lâcher prise sur les détails. Fabienne Lacoude remarque que c’est pareil concernant le travail domestique. Personne ne s’impose une charge mentale par choix : il faut penser à tout pour que le foyer tourne correctement.

Le travail domestique est massivement pris en charge par les femmes.

Fabienne Lacoude différencie le concept de travail domestique de celui de charge mentale. L’Insee définit le travail domestique sur la base de trois critères :

  • être productif,
  • être non rémunéré,
  • pouvoir être délégué à quelqu’un d’autre.

Toutefois, certaines tâches peuvent poser question : jardiner, bricoler, jouer avec ses enfants, est-ce du travail domestique ou du loisir ? Le contexte joue également sur la nature de l’activité : repriser des chaussettes trouées n’est pas un loisir, tandis que coudre des robes pour les poupons s’apparente à une activité plus plaisante, de loisir. L’Insee divise par ailleurs le travail domestique en trois périmètres :

  • restreint : cuisine, vaisselle, ménage, rangement, soins matériels aux enfants et personnes dépendantes, linge, gestion du ménage, conduire pour accompagner les enfants ou une autre personne ;
  • intermédiaire : toutes les tâches du périmètre restreint + faire les courses, shopping, bricolage, jardinage, jeux avec les enfants ;
  • extensif : toutes les tâches du périmètre intermédiaire + trajets en voiture pour soi-même, promener le chien.

Fabienne Lacoude rappelle que, plus on se rapproche du périmètre restreint, plus l’écart du temps consacré à ces tâches se creuse entre femmes et hommes. Les femmes prennent en charge 60 % du travail domestique toutes tâches confondues, mais 72 % du cœur des tâches ( c’est-à-dire le périmètre restreint). On s’aperçoit donc que, plus une tâche est pénible, ennuyante, longue, répétitive, plus elle est prise en charge par les femmes. On lit souvent des hommes se défendre en disant qu’ils prennent en charge l’entretien de la voiture, la tonte de la pelouse ou le bricolage dans la maison, sans se rendre compte que ces tâches ne sont pas quotidiennes et qu’elles sont donc moins chronophage et énergivores que les tâches du périmètre restreint.

La charge mentale fait partie du travail domestique, bien qu’elle soit invisible.

La charge mentale fait partie du travail domestique. En effet, on ne peut pas faire le ménage s’il n’y a pas de produits ménagers dans le placards, ni équipements pour nettoyer (éponges, balai, aspirateur, serpillère…). Les produits sont à renouveler régulièrement : il faut donc penser à surveiller le niveau restant, à les inscrire sur la liste de courses, à choisir les plus efficaces ou les moins chers (selon des critères à définir auxquels il faudra penser en amont)… Il est un problème qui revient souvent quand les femmes parlent de charge mentale au sein de leur couple : les hommes demandent à leurs compagnes (en toute bonne foi) de leur indiquer ce qu’ils peuvent faire dans la maison. Mais cela signifie que les femmes restent en charge de la planification et de la répartition des tâches domestiques et que, d’autre part, les conditions du passage à l’action ne sont pas pensées par les hommes (comme si passer l’aspirateur se suffisait en soi-même, alors qu’il faudrait aussi penser à racheter des sacs et changer les sacs pleins, ou bien à vider le réservoir pour les aspirateurs sans sac et nettoyer le filtre).

Concrètement, la charge mentale se résume en un seul mot : penser. Au PQ qu’il faut ajouter sur la liste des courses, aux habits des enfants devenus trop petits et qu’il faut remplacer, au rendez-vous qui doit être pris pour la vaccination du bébé, aux cadeaux de Noël dont il serait bon de se préoccuper avant le 24 décembre au soir, aux impôts qu’il faut déclarer… La charge mentale est un travail permanent, épuisant et invisible. – Fabienne Lacoude

La charge mentale est une source de fatigue intense et de stress. Or la fatigue et le stress font le lit de l’épuisement. Pour Fabienne Lacoude, il vaudrait donc mieux parler de travail domestique que de charge mentale car cette charge invisible est incluse dans le travail domestique. C’est la raison pour laquelle elle utilise l’expression “travail domestique invisible“.

livre maternité féministe

Les femmes sont d’excellentes candidates au burnout.

Les femmes qui ont un ou plusieurs enfants ont du mal à reconnaître le stress engendré par leurs responsabilités de mères. Pourtant, les mères sont trois fois plus touchées par le burnout (épuisement) que les pères, à cause de l’inégale répartition des tâches qui fait peser un lourd poids sur leurs épaules, mais aussi parce qu’elles attendent souvent d’avoir épuisé toutes leurs ressources avant de demander de l’aide.

Fabienne Lacoude estime que le burn-out parental révèle aussi les manquements d’une société dans laquelle les parents, et en particulier les mères, doivent se débrouiller pour tout concilier, sans faillir, sans se plaindre et, si possible, sans demander d’aide. Dans le langage courant, parler de parentalité, c’est en réalité parler de maternité. Or les mères ne sont pas corvéables à merci, ni par leurs enfants ni par leurs compagnons, encore moins par la société qui profite du travail domestique gratuit que les femmes fournissent à grande échelle.

Fabienne Lacoude regrette que la majorité des politiques de conciliation vie pro/ vie perso soient conçues pour les femmes. En effet, il faut rendre les femmes actives sur le marché du travail et, en même temps, ne pas laisser le taux de natalité s’effondrer. Comme les mères sont les seules (ou presque) à réfléchir à la conciliation emploi/ parentalité, les problèmes sont renvoyés à des arrangements individuels, laissant de côté sa dimension politique. Rappelons que les quelques mesures qui visent l’investissement des hommes dans la sphère domestique sont récentes, et qu’elles ont des limites dans la pratique (moins de 1 % des pères prennent un congé parental à temps plein). De plus, ces politiques qui permettraient aux pères de concilier vie pro/ vie perso manquent d’ambition (par exemple, le congé second parent est de vingt-huit jours dont seulement sept sont obligatoires).

Selon Fabienne Lacoude, un de noeuds du problème se trouve dans la question des privilèges auxquels la plupart des hommes ne sont pas prêts à renoncer, sans même avoir conscience qu’ils en bénéficient).

Car la question n’est pas tant une question de répartition mathématique des tâches qu’une question de privilèges auxquels il faut renoncer : le privilège d’avoir le choix, celui de se draper dans l’incompétence, celui de se dérober à ses obligations au motif que d’autres obligations plus importantes vous attendent ailleurs, celui d’être irresponsable et de ne pas se rendre compte que d’autres sont rendus responsables pour vous, celui de penser que prodiguer des soins aux autres n’est pas important alors que, tous les jours, vous bénéficiez vous-mêmes de ces soins. – Fabienne Lacoude

Ainsi, le féminisme n’est pas une question de mode de vie (on en revient aux arrangements individuels en défaveur des femmes) mais une question politique dont nous pouvons toutes et tous nous emparer.

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Source : Daronne & féministe – Grossesse, post-partum, charge mentale… quand la maternité rend féministe ! de Fabienne Lacoude (éditions Solar). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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