5 pièges de l’amour conditionnel qui nous empêchent de vivre heureux (et nos enfants aussi)

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On ne peut pas sortir d’un piège tant qu’on ne sait pas qu’on est pris dedans. La plupart d’entre nous prennent leur fonctionnement (habitude de communication et de pensée) comme la seule façon de fonctionner. Même en prenant conscience qu’on est pris au piège, il n’est pas aisé de changer de manières de penser, de communiquer ou d’agir car ces pièges viennent de loin et sont engrammés dans la mémoire. Par ailleurs, des peurs (du jugement, du rejet, de l’exclusion du groupe/ de la famille) peuvent parasiter les envies de changement. Quels sont les pièges de l’amour conditionnel ? Comment les identifier pour les dépasser ?

Il est nécessaire non seulement de comprendre comment s’est enclenché le piège dans lequel nous sommes enfermés mais aussi de disposer d’une boîte à outils pour en sortir (en se donnant le droit de trouver cela difficile et que cela prenne du temps, un temps forcément personnel).

L’objectif est de retrouver de l’aisance, de la souplesse dans la relation à soi (avec toutes les parties de soi) et avec les autres (toutes les parties de l’autre).

Thomas d’Ansembourg, psychothérapeute spécialisé dans la communication non-violente, propose de parler de “conscience non violente” plutôt que de communication non violente parce qu’il est inutile (et inefficace) de plaquer des mécanismes de communication non violents sur des mécanismes de pensée restés pétris de violence.

Pour Thomas d’Ansembourg, les pièges de pensée et de communication dans lesquels nous sommes (presque) tous embourbés sont liés à l’amour conditionnel reçu dans l’enfance.

Nous avons appris dans notre enfance que nous ne serions plus aimés si nous ne nous conformions pas à la norme, si nous ne délivrions pas l’action ou le résultat attendu par les parents.

L’amour inconditionnel nous amène à des conditionnements (les pièges) pour maintenir l’amour parental (puisque, enfants, ne pas être aimés par les parents est égal à un risque de mort). L’amour conditionnel nous fait continuellement redouter le fait de perdre l’amour si nous ne sommes pas compétents, performants ou encore conformes aux attentes.

Ces éléments nous invitent également à repenser la manière dont nous abordons l’éducation et la parentalité que nous offrons à nos propres enfants. Savons-nous encore aimer sans condition et attente sur l’autre ? Comment adopter une parentalité inconditionnelle ?

1er piège de l’amour conditionnel : le piège du faire

Nous avons plus appris à faire qu’à être : faire de plus en plus, faire pour plaire, faire pour performer (et être enfin aimé, être aimé mieux ou aimé plus).

On n’a alors plus le temps d’être avec soi-même : réfléchir au sens de la (ma) vie, requalifier les priorités, se nourrir d’activités pleines de sens pour soi, se reposer, prendre du temps d’intériorité…

Être, c’est aussi être avec l’autre : est-ce que nous sommes vraiment proches ? est-ce que nous nous écoutons dans une intention de connexion ? est-ce que nous partageons une réelle intimité ? est-ce que nous nous ouvrons l’un à l’autre avec vulnérabilité ? est-ce que nous partageons de la pure joie sans rien attendre en retour ?

Une partie de nous donne dans la joie (par besoin de contribuer, de partager, de prendre soin) mais une autre partie donne par peur de perdre (et non pas par don de soi). Si cette autre partie domine, la vie devient une course : plus j’en fais, plus je serai compétent, plus je serai vu, plus je serai aimé.

Le problème est qu’on cherche alors l’amour qu’on n’arrive pas à se donner soi-même chez les autres.

Toute la différence est dans l’énergie : quand on contribue par joie et par plaisir pur, on est dans un élan régénérateur; quand on contribue par peur de perdre ou par devoir, on est dans un élan de perte d’énergie, destructeur.

Ce piège du faire nous empêche d’être en lien de manière authentique avec les autres car non seulement nous avons du mal à supporter l’immobilité nécessaire à l’écoute véritable mais nous avons tendance à penser “action/ réaction“. Or les problèmes des autres n’ont pas besoin d’être résolus par nous : quand une personne se confie à nous, elle cherche le plus souvent de l’empathie, elle cherche à combler ses besoins affectifs (être vue, être acceptée, se sentir exister et sentir sa valeur, être comprise); elle ne cherche pas des conseils ou une prise en charge. Une présence empathique est parfois (souvent même) suffisante.

Nous n’avons pas appris à cohabiter avec le doute et la souffrance (ni avec les nôtres ni avec ceux des autres). Or nous pouvons apprendre à accueillir le doute comme le signe que nous ne sommes plus tout à fait sur notre chemin et qu’il est temps de réaligner. Nous pouvons apprendre à accueillir la peur à sa juste valeur sans nous blinder/ serrer les dents ni la laisser nous submerger : que me dit ma peur ? est-ce que je vais trop vite ou bien trop lentement ? est-ce que j’ai oublié quelque chose en cours de route ?

Apprendre le langage de la vie intérieure, de la conscience non violente permet de rejoindre l’autre là où il est, sans le mener là où nous voudrions qu’il soit (parce que nous croyons que nous savons mieux ce qui est juste, ajusté). L’écoute non jugeante et bienveillante, sans conseil ni attente, fait que, souvent, l’autre trouve toutes les solutions en lui (parce que, précisément, nous lui laissons la liberté d’entrer en lui).

2ème piège : mettre notre estime de nous dans le regard de l’autre

Quand nous sommes sous la coupe du regard des autres, nous n’avons plus d’énergie pour vivre notre vie : c’est la sur-adaptation.

Quand une personne manque d’estime de soi, elle a du mal à supporter les désaccords et les conflits. Pourtant, les conflits peuvent être envisagés comme des occasions de croissance, d’enrichissement mutuel, d’apprentissage. Cela peut être intéressant de diverger de point de vue car la confrontation est source de richesse.

Nous pouvons accepter de grandir dans la rencontre en abandonnant les réflexes du type : “Non, tu as tort./ Oui mais…!/ Moi, je…”. Nous associons souvent “tu as raison” avec “tu es le plus beau/ le plus intelligent/ le plus aimable” (et donc “tu as tort” avec “tu n’es pas intelligent/ tu n’es pas aimable… tu n’es pas aimé”).

Pourtant, désaccord n’est pas synonyme de désamour. Nous pouvons avoir beaucoup de points communs avec une personne et pourtant avoir des opinions différentes sans que cela mette en jeu la relation.

Thomas d’Ansembourg nous invite au test des 30 secondes : 30 secondes sans rien dire pour tolérer le désaccord. Cet exercice nous invite à simplement laisser l’autre exposer sans point de vue sans l’interrompre pendant au minimum 30 secondes. Cet exercice laisse l’autre être et s’exprimer sans rien projeter sur lui (en l’occurrence notre peur de perdre notre valeur en ayant tort, notre peur de perdre son amour).

Le schéma “je t’aime si tu es d’accord avec moi” est un héritage que nous pouvons choisir d’abandonner. C’est quand la sécurité affective est assurée (“je t’aime, tu es mon/ma partenaire de vie/ tu es mon enfant chéri, je t’aimerai toute ma vie”) que nous pouvons entendre le désaccord sans nous sentir menacé (“ET en même temps, je suis hors de moi quand tu fais ci/ dis ça”).

3ème piège : voir la différence comme une menace

Encore une fois, c’est la peur de ne pas être aimé en lien avec l’amour conditionnel qui nous conduit à voir l’autre comme une menace.

Si nous percevons notre propre différence comme menaçante car on a appris à la réprimer (“ne rigole pas si fort”, “ne colorie pas les nuages en rouge”, “fais comme ton frère”, “c’est pas comme ça qu’on fait, c’est comme ci qu’il faut faire !”, “pourquoi tu passes tant de temps à lire ?”), on apprend à percevoir celle des autres comme menaçante aussi (quand on n’en vient pas à la jalouser).

Nous pouvons apprendre à craindre notre différence en lien avec notre besoin d’intégration et de lien : nous étouffons nos propres goûts, nos valeurs, nos aspirations profondes pour nourrir ce besoin d’appartenance à un groupe (la famille, la classe d’école, le groupe d’amis, la communauté religieuse…).

Par le biais de la socialisation et selon les codes de notre culture, nous apprenons qu’une personne libre, spontanée, trop introvertie ou trop extravertie, intéressée par une chose dévalorisée voire taboue dans notre culture dérange, voire menace le groupe (et donc la survie personnelle et collective). Cette personne doit rentrer dans l’ordre (ou rentrer “chez elle” si elle vient de loin).

Notre seuil de tolérance à la différence est vite atteint malgré nos belles idées parce que, si nous avons senti que notre propre différence n’est pas bienvenue, nous considèrerons celle des autres comme une réelle menace.

Nous pouvons alors reprendre contact avec notre propre identité avant de pouvoir accueillir la différence de l’autre :

  • Est-ce que je peux me donner le droit d’être vraiment qui je suis ?
  • Est-ce que je peux entrer en contact avec ma fantaisie, ma créativité, ma capacité d’affirmation, ma force intérieure ?
  • Est-ce que je maintiens mon personnage ou est-ce que j’entre dans mon être profond, guidé par la joie et la sensation d’expansion dans le corps ?
  • Est-ce que je peux supporter les remous engendrés (questions, reproches, exclusion du groupe) par mon changement ?

Pour traverser les conflits sans violence, nous avons besoin de deux ingrédients :

  • une bonne estime de soi (pour ne pas voir le conflit comme une menace qui nous ébranle et nous désorganise mais comme une occasion de se connaître et grandir)
  • un accueil de l’autre dans son droit à la différence

C’est à ces conditions que le conflit peut devenir source de changement, d’apprentissage et d’expansion.

4ème piège : la difficulté à dire et entendre non (à temps et à la bonne personne)

L’accumulation de ouis non authentiques (formulés par fausse gentillesse héritée de l’amour conditionnel “je t’aime si tu es gentille/ si tu es poli…”) finit par avoir un effet cocotte minute. Avec le temps, la cocotte minute risque d’exploser de façon inappropriée et excessive. En fait, à force d’être (faussement) gentils, nous devenons… méchants !

La fausse gentillesse s’accompagne souvent d’une tendance à l’angoisse parce qu’on sait qu’on risque d’exploser à tout moment. Or, si on a appris à être gentil, on ne se donne pas le droit d’exploser. Donc il faut faire attention en permanence à ce qu’on fait ou dit, on se contrôle, on continue à accumuler de la pression dans la cocotte. Thomas d’Ansembourg estime que certaines personnes ne vont jamais exploser (pour différentes raisons comme les conditionnements sociaux, culturels ou familiaux) mais vont alors entrer en dépression.

Si je réprime ce qu’il faudrait que j’exprime, tôt ou tard, je déprime. – Thomas d’Ansembourg

Nous pouvons apprendre à dire nos désaccords à temps, à la bonne personne, avec la bonne intensité et en prenant notre place comme sujets. Nous pouvons apprendre à dire notre tristesse, à ne pas la laisser couver en nous disant que ce n’est pas si grave et qu’il y a des personnes plus malheureuses dans le monde. Nous pouvons apprendre à être vrais avec toutes nos émotions et avec toutes nos aspirations. Nous pouvons apprendre à dire oui à toutes nos parties intérieures (les besoins n’ont pas forcément besoin d’être satisfaits ici et maintenant mais au minimum d’être entendus, validés par un grand oui).

C’est un travail que nous nous devons à nous-mêmes et aux autre que de ne pas nous laisser polluer par des frustrations non exprimées. Ce travail nous permet d’avoir des réactions ajustées à chaque situation plutôt que des réactions disproportionnées de cocotte minute (en général sur les plus faibles comme les enfants ou sur nos plus proches comme le/la conjoint.e).

Thomas d’Ansembourg nous invite à prendre des “douches de conscience” pour revenir sur les émotions non exprimées et les accueillir avec auto-empathie : “C’est vrai, j’ai dit oui alors que je pensais non. Ça m’est tellement difficile de dire ce que je pense face à une figure d’autorité. Quand j’y pense, cela génère en moi de la tension et je sens que ça me titille. Ça se contracte en moi quand j’y repense, il y a un mélange de tristesse parce que je n’ai pas su m’affirmer et de colère parce que je ressens de l’injustice. J’aurais eu besoin de m’exprimer et je sens que j’ai besoin d’en reparler demain pour dire ce que je pense vraiment. J’ai aussi besoin d’un peu de temps pour trouver les mots avant de pouvoir prendre la parole.”

Quand il s’agit du non des autres, nous pouvons accepter de voir à quoi ils disent oui quand ils nous disent non à nous. Les gens disent “oui” à ce qui est vivant en eux et nous pouvons décider d’accompagner ce qui est vivant en eux… tout en restant en contact avec ce qui est vivant en nous. Thomas d’Ansembourg appelle cela “chercher le point de rencontre“, au-delà du rapport de force, de la domination/ soumission et du jeu “qui a raison ? qui a tort ?”.

5ème piège de l’amour conditionnel : la difficulté à faire bon usage de nos émotions

Nous sommes très peu à avoir connu un modèle de discernement et de clarté émotionnelle. Presque aucun d’entre nous n’a connu de parents capables de dire Stop quand ils étaient en colère et de prendre un temps d’introspection pour aller chercher ce qui se jouait en terme de besoins insatisfaits, d’intensité d’émotions, de valeurs touchées et de demandes à formuler.

Nous sommes nombreux à avoir entendu des phrases du type “Ne pleure pas“, “Arrête ton cinéma”, “Vas dans ta chambre et reviens quand tu te seras calmé”, “N’aie pas peur”, “Ça fait pas si mal” ou encore “C’est pas grave, il y a bien plus malheureux que toi”. Ces phrases nous ont appris à ne pas écouter notre boussole interne, à savoir nos émotions qui nous alertent sur ce qui est ajusté pour nous. Nous avons reçu le message de nous couper de nos émotions parce qu’elles dérangent, elles empêchent l’intégration dans le groupe, dans la communauté.

Pourtant, nos émotions sont nos guides car elles émergent en lien avec des besoins communs à tous les humains. En conscience non violente, les besoins sont à prendre au sens de valeurs humaines. Quand nos besoins sont satisfaits, quand nous sommes en contact avec les valeurs humaines qui nous sont chères, nous éprouvons des émotions agréables; quand nos besoins sont insatisfaits, quand nous perdons le contact avec nos valeurs, nous éprouvons des émotions désagréables. Ces émotions sont justement là pour nous alerter que nous avons perdu le contact et pour nous inviter à combler nos besoins pour retrouver l’élan de vie.

De plus, notre capacité à entrer en contact avec les émotions des autres par empathie dépend de notre capacité à entrer en contact avec nos propres émotions. Comment comprendre les doutes de nos enfants/ de notre conjoint.e si nous n’avons fréquenté les nôtres et appris d’eux ?

A partir du moment où nous comprenons les fonctions des émotions (les émotions ne sont pas dangereuses mais utiles) ainsi que leur mouvement (les émotions sont passagères, elles sont comme des saisons), nous pouvons les accueillir comme l’expression de la vie et entreprendre des démarches à partir de l’énergie des émotions en les laissant être, en nous laissant traverser.

C’est un long chemin que d’apprendre le langage de la vie intérieure, les mots qui disent la vérité de ce qui se passe en nous. Peut-être que le reproche “Tu ne m’écoutes jamais” veut en réalité dire “J’ai un profond besoin d’écoute et je ne sais même pas m’écouter moi-même”.

Le processus de la Communication NonViolente, tel que formulé par Marshall Rosenberg, peut venir en soutien à la conscience non violente :

  • nommer les émotions : Je suis profondément triste
  • parler des besoins : parce que j’ai tellement besoin qu’on retrouve le lien qu’on avait plus jeunes
  • formuler des demandes concrètes en langage positif : je réalise que j’ai pu partager mes émotions en jugements mais aujourd’hui, je décide d’exprimer mes besoins de manière authentique : serais-tu d’accord pour qu’on prenne un temps à deux, rien que d’aller faire les courses main dans la main cet après-midi ?

Nos besoins nous rassemblent alors que nos jugements nous séparent. Ce qui nous divise ne sont pas les besoins puisque nous avons tous les mêmes (besoin de douceur, de reconnaissance, d’amour, de proximité, d’appartenance, de compréhension, de rêver, de jeu, de créativité, de paix, de partage, de chaleur humaine, de respect, de justice, d’identité, de liberté, d’expression personnelle, de sens…) mais plutôt les stratégies (les démarches) que nous mettons en place pour satisfaire des besoins humains fondamentaux.

L’idée de la conscience non violente, par le biais de la Communication NonViolente, est d’apprendre à se relier aux émotions et aux besoins (les nôtres et ceux des autres) au-delà des jugements et des stratégies. Ce processus n’est pas magique et n’a pas pour but d’éviter les conflits mais d’apprendre à les traverser dans une intention de connexion et de vie plus heureuse.

Les changements que Thomas d’Ansembourg nous invitent à faire sont utiles pour passer d’une vie de “petits malheurs supportables avec quelques plaisirs pour ne pas sombrer” à une vie pleine de sens, qui donne envie à ceux qui nous regardent (en particulier les enfants) de vivre (et de grandir).

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Source : conférence de Thomas d’Ansemboug “Cessez d’être gentil, soyez vrai” basé sur son livre éponyme

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