Aider les enfants et adolescents à s’affranchir du culte de l’apparence (et de la sur consommation)
Dans son livre Tout le monde en a un, sauf moi !: Libérer nos enfants de la surconsommation, Valérie Halfon insiste sur le fait que les marques suscitent un engagement émotionnel fort de la part des jeunes qui pensent être libres de leurs choix alors que ce sont les experts en communication, marketing et publicité qui tirent les ficelles. C’est d’autant plus fragrant pour les produits liés au “look” (vêtements, chaussures, accessoires, produits capillaires, maquillage…). C’est toute une industrie qui manipule les enfants (à travers les publicités ciblées, les placements produits dans leurs séries ou émissions préférées, le recours aux célébrités et influenceurs/ influenceuses, les jeux spécialement développés par les marqeus, les hashtags…) pour encourager les enfants et adolescents à considérer leur apparence comme valeur essentielle.
Si l’on n’adhère pas à ce créneau, on devrait prendre les devants, dès leur petite enfance, et commencer à leur inculquer un message différent : vous êtes vos dons, vos compétences, votre gentillesse, votre curiosité; et votre valeur n’a pas grand chose à voir avec ce que vous portez. – Valérie Halfon
Valérie Halfon propose plusieurs pistes pour aider les enfants et adolescents à s’affranchir du culte de l’apparence (et de la sur consommation) :
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trouver des alternatives à l’offre existante
Les alternatives sont nombreuses et accessibles au plus grand nombre : location de vêtements, réduire le nombre de vêtements achetés, acheter d’occasion (brocante, vide grenier, friperie) ou faire du troc, faire des échanges avec des ami.e.s, recycler (avec des tutoriels en ligne, il est possible de faire des jolies choses même sans être très doué.e en couture !)…
Adopter ce type de consommation permet d’exposer aux enfants nos motivations et les rendre sensibles à l’aspect écologique et éthique de la fabrication des vêtements.
Mon anecdote personnelle : cela fait plus de 5 ans que je ne suis pas acheté de vêtements neufs (sauf une paire de chaussures que j’ai achetée avec un bon cadeau) et que j’habille ma fille avec du troc ou des vêtements de seconde main (j’ai un super groupe de troc dans ma région et j’ai troqué des vêtements contre des jouets avec lesquels ma fille ne jouait plus, contre des choses que j’ai désencombrées quand j’ai déménagé ou encore contre de la nourriture faite maison…).
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encourager des valeurs qui nous sont chères et qui répondent à des critères éthiques
Valérie Halfon cite plusieurs ressources qui permettent de remettre en question la dictature de l’apparence :
- des influenceuses issues du mouvement Body Positive ou Body Neutrality (Ely Killeuse ou Clémentine Desseaux par exemple)
- les films et dessins animés qui mettent en avant des personnages féminins dotés d’une forte personnalité mais aussi de qualité morales (Valérie Halfon mentionne notamment Rebelle et je pense également aux personnages féminins des animations de Miyazaki avec une mention spéciale à Princesse Mononoké… et comment faire l’impasse sur Luna et Hermione de Harry Potter ?)
- des livres qui retracent la vie de femmes célèbres (scientifiques, sportives, artistes, femmes politiques, autrices…)
Je rajouterais que ces ressources sont également valables pour les garçons (s’épanouir en dehors des valeurs de force et de séduction) et que les œuvres qui mettent en scène des personnages plus stéréotypés (princesses/ super héros) sont également l’occasion de discussions : qu’en pensent les enfants ? est-ce qu’ils aimeraient leur ressembler ? pourquoi ? est-ce que ces personnages pourraient être plus heureux en s’affranchissant de certains codes ?
En parallèle, des films, documentaires et vidéos sur l’écologie peuvent donner du sens au discours parental qui peut paraître moralisateur (exemples : les dessous de la fast fashion, les Zenfants zéro déchet, les jeux Bioviva…).
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être plutôt qu’avoir
On peut faire comprendre à ses enfants que le but de la vie est moins de devenir le plus beau ou la plus belle que de se réaliser et d’apporter quelque chose au monde. – Valérie Halfon
Se focaliser sur l’être plutôt que l’avoir peut passer par du bénévolat, le fait de cultiver une passion et d’utiliser ses qualités et compétences au service d’un projet personnel et/ou collectif.
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résister à la pression sociale
Apprendre aux enfants et adolescents à résister à la pression sociale, c’est avant tout se connecter à leurs besoins avant et saisir l’occasion d’une écoute vraie. Les enfants et surtout les adolescents ont un besoin d’appartenance et, donc, de conformité important, ce qui explique leur tendance à vouloir acheter les dernières marques à la mode ou portées par les influenceurs/ influenceuses. Oui, c’est important pour eux d’avoir l’air cool, de ne pas se sentir différent, d’être reconnus comme membres de la tribu et de soigner leur apparence pour cela.
Il s’agit ici d’écouter avec empathie et d’accueillir les émotions des enfants et adolescents qui font des demandes. Une fois les émotions accueillies avec une empathie réelle dans un vrai souci de connexion coeur à coeur, il est possible d’exposer nos propres peurs et réticences (problématique du travail des enfants, de la juste rétribution des travailleurs, de l’impact écologique, du budget familial) et de rappeler nos valeurs (amour inconditionnel, authenticité, gentillesse…)
Il est ensuite possible d’envisager une/ des solutions ensemble : inscrire le vêtement sur la liste d’anniversaire ? faire un petit job pour le financer ? faire une avance sur argent de poche ? inscrire la demande sur une liste et vérifier dans 15 jours si la demande est toujours aussi importante, si elle est toujours d’actualité (parce que, la mode changeant tellement, il est possible qu’une demande à un instant T perde tout intérêt à T+1). L’idée est d’imaginer des solutions créatives qui conviendraient à la fois aux parents et aux enfants.
Valérie Halfon propose un petit test pour les enfants/ ados qui réclament un vêtement hors de prix parce que “tout le monde en a un” : demander à l’enfant de compter le nombre des copains/ copines qui en ont réellement un (histoire de relativiser).
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travailler sur notre histoire personnelle
Valérie Halfon insiste également sur l’influence de notre histoire personnelle sur nos réactions : si nous avons été frustré enfant (sans que cette frustration soit entendue, reconnue et permise sous forme de colère par nos parents), alors nous pourrons nous sentir d’autant plus coupables de ne pas pouvoir offrir tel vêtement ou telle marque à nos enfants (cela nous renvoyant à nos propres souffrances d’enfant mis à l’écart ou honteux de devoir porter des vêtements démodés).
Or cette peur nous appartient et ne doit pas nous amener à nous sentir exagérément coupables de ne pas pouvoir subvenir aux “besoins” de nos enfants ou, au contraire, à sortir la carte bleue à la moindre demande.
L’écoute active et empathique est ici la clé :
- pour les enfants/ ados : se rendre capable d’accueillir les frustrations des enfants en reconnaissant que c’est difficile pour eux, que leur besoin de ne pas être différent est important.
- pour nous-mêmes adultes : se rendre capable de faire preuve d’auto empathie en accueillant nos émotions douloureuses remontées du passé et les émotions douloureuses du présent : comment accueillir la honte d’être trop “pauvre” pour acheter à mes enfants ce qu’ils veulent ? comment accueillir la tristesse de voir que mes enfants ne partagent pas mes valeurs (écologie, sobriété, consommation éthique…) et soient “victimes” de la société de consommation ? est-ce que je peux accepter que mes enfants diffèrent de moi ?
Valérie Halfon expose une question qui pourrait nous aider à repenser notre rapport à l’argent concernant les dépenses pour nos enfants : “Imaginez que vous gagnez plusieurs millions au Loto demain. Accèderiez-vous à toutes les demandes d’achat de vos enfants ?” La réponse à cette question permet de comprendre où nous nous situons (est-ce que je pense que le bonheur de mes enfants se situe dans le fait de leur acheter une nouvelle paire de baskets tous les trois mois ? est-ce que je pense qu’ils vont plus m’aimer si je suis capable de leur acheter tout ce qu’ils désirent ? dans quelle mesure puis-je accepter de jouer le “jeu” du marketing et de la société de consommation ?) et de reconsidérer notre rapport non seulement à l’argent mais aussi à la notion de besoin/ envie (si les enfants ont tout ce dont ils ont envie, il y a de grandes chances pour qu’ils n’aient pas ce dont ils ont le plus besoin : la proximité avec des adultes responsables, authentiques et proches).
Il n’y a pas beaucoup de psychologie dans le fait de vouloir une glace ou une poupée Barbie en plus. C’est tout à fait normal. Mais quand l’enfant commence à nous tracasser et que cela crée sans cesse des conflits, ce ne sont alors ni une glace ni une poupée qui lui manquent. C’est autre chose, et c’est la responsabilité des parents de trouver ce que c’est. – Jesper Juul
Par ailleurs, les enfants sont les rois de l’imitation : nous pouvons donc interroger le modèle que nous leur offrons en termes de relation à l’argent, de dépenses et de consommation. Est-ce que j’incarne les valeurs que je souhaite transmettre ? Comment montrer l’exemple de ce que j’estime la “juste” mesure en sachant que cette juste mesure est mienne et seulement mienne (tension entre le couple besoins de conformité/ dépenses et le couple besoins d’authenticité/ équilibre budgétaire) ?
Pour ma part, je rajouterais que l’environnement dans lequel les enfants et adolescents évoluent fait beaucoup de différence. Nous pouvons décider, si cela correspond à des valeurs chères à nos yeux, d’aménager l’environnement de manière à limiter les tentations… tout en sachant que ces décisions pourront être contestées par les enfants (par exemple, ne pas avoir la télé chez soi pour limiter l’exposition aux pubs). Ou alors nous pouvons saisir les occasions de divergence de points de vue pour un dialogue où chacun expose ses valeurs, ses positions et son avis. De même, nous pouvons soulever l’aspect marketing et montrer l’envers du décor pour montrer à quel point les marques utilisent des ressorts émotionnels pour vendre.
Par ailleurs, cultiver une estime de soi solide dans une perspective altruiste (je sais que j’ai de la valeur tel que je suis, je sais que les autres en ont également et que les autres peuvent compter sur moi comme je peux compter sur les autres) permet d’offrir aux enfants et adolescents des ressources pour s’affranchir du regard des autres et s’affirmer. Cultiver l’estime de soi, c’est traiter la cause en profondeur (plutôt que seulement les symptômes).
Bien sûr, on peut soigner son look, mais si cela devient pour le jeune le début et la fin de tout, la base même de l’estime de soi, il faut lui montrer qu’il existe mille autres manières de s’épanouir. – Valérie Halfon
Quoi qu’il en soit, le lien et la relation sont les choses les plus importantes à préserver et il est fort probable que, une fois l’adolescence passée, les enfants devenus adultes se rapprochent finalement du mode de consommation qui leur a été donné en exemple, d’autant plus si les relations sont toujours restées empreintes de respect (à l’inverse, des enfants devenus adultes peuvent revendiquer un mode de consommation à l’opposé de leurs parents juste pour revendiquer leur différence, leur rejet du dogmatisme dont ils ont souffert).
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Source : Tout le monde en a un, sauf moi ! Libérer nos enfants de la surconsommation de Valérie Halfon (éditions Albin Michel). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur les sites de ecommerce.
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