Vieille peau : un livre pour déconstruire la norme jeuniste et l’injonction à bien vieillir adressée aux femmes (penser la dépendance, le vieillissement et la mort d’un point de vue féministe)

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J’ai déjà mentionné l’autrice de cet ouvrage, Fiona Schmidt, sur le blog car elle a précédemment rédigé un livre sur le rôle des belles-mères (à savoir Comment ne pas devenir une marâtre : Guide féministe de la famille recomposée). Elle s’y adresse avec beaucoup de bienveillance et de déculpabilisation aux femmes devenues belles-mères et reconnaît le grand inconfort de cette situation. Dans le présent ouvrage, elle fait à nouveau preuve d’humour sérieux pour aborder un thème peu sexy : la vieillesse des femmes. 

Fiona Schmidt a organisé son livre Vieille peau autour de 7 grandes parties :

  1. Bienvenue dans l’âge ingrat (encore un)
  2. “Tu es mûre pour ton âge” : ou la construction genrée de l’âgisme
  3. Ménopausée, moi ? Jamais !
  4. “Être bien conservée”, coûte que coûte
  5. Rester baisable : pour qui, pourquoi ?
  6. Le burn-out des working girls
  7. Qui vieillira verra

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Fiona Schmidt introduit son livre par une réflexion sur ce que signifie “faire attention” à soi quand on est une femme : “faire attention à son corps, pas tant pour qu’il soit agréable d’y habiter mais pour qu’il ne soit pas désagréable au regard des autres”. Elle aborde le thème de l’âgisme qui, selon elle, n’est pas perçue comme une discrimination. Pourtant, elle rapproche la manière dont on s’adresse aux personnes âgées à celle dont on s’adresse aux enfants : avec une légère condescendance, en pensant mieux savoir qu’elles ce dont elles ont besoin, en anticipant leurs demandes et en faisant à leur place, en remettant à leur place leurs envies sous prétexte que ce n’est pas (du moins, plus) de leur âge.

Pour Fiona Shmidt, la vieillesse est un monde de femmes : la majorité des personnes âgées sont des femmes (car les femmes ont une espérance de vie plus longue que les hommes) et la majorité des personnes qui s’occupent des personnes âgées sont des femmes (épouses, filles, famille élargie, aides-soignantes, aides à domicile, infirmières…). Ce travail d’assistance est d’ailleurs souvent dévalorisé, voire invisibilisé.

La thèse de Fiona Schmidt est que l’antidote à l’âgisme ne consiste pas à rester jeune jusqu’à la mort, comme le sous entendent les innombrables crèmes “anti rides”, les sérums “anti âge” ou encore les magazines féminins qui donnent des conseils pour ne pas paraître son âge ou, plus pernicieusement, déclarent que 50 ans, c’est le nouveau 40. Ces initiatives ne font que renforcer l’idée que “l’existence féminine est une montagne que l’on finit tôt ou tard par dévaler à pic” Ainsi, l’objectif du livre de Fiona Schmidt est de déconstruire la norme jeuniste et l’injonction à bien vieillir adressées principalement aux femmes.

C’est à ce prix que le rapport des femmes à leur âge et au temps qui passe cessera d’être défensif ou passif pour devenir enfin actif et créatif. – Fiona Schmidt

Le livre est très riche en termes de témoignages de femmes, en particulier celui de l’autrice dans sa quarantaine, d’exemples d’âgisme qu’on ne repère même pas comme tels et de données sociologiques et historiques. L’autrice aborde notamment les problèmes de la retraite des femmes, les privilèges de classe, ou encore les discriminations dont les femmes sont victimes (et qui augmentent avec l’âge).

Selon Fiona Schmidt, l’âgisme concerne plus les femmes car les filles sont incitées à paraître plus mûres que les garçons (en réalité, l’immaturité des garçons est vue comme un trait positif puisqu’ils s’amusent et elle est mieux tolérée que celle des filles). De plus, la différence d’âge moyenne dans l’entrée dans la parentalité est de 3 ans, si bien que les femmes vieillissent symboliquement plus tôt que les hommes vu qu’elles entrent plus tôt dans l’âge adulte.

Fiona Schmidt souligne que la ménopause devrait être une bonne nouvelle pour les femmes car elles ne sont plus dérangées par les règles une fois par mois (avec ce que cela entraîne d’inconfort et de douleurs) et qu’il n’y a plus de risque de tomber enceinte (la sexualité devient donc moins source de stress en lien avec une grossesse non désirée). Pourtant, ne plus avoir ses règles est un tabou.

La disparition des règles se vit, beaucoup plus que leur apparition, dans le silence et la solitude. La couche de tabou est encore plus épaisse à briser : à celui de l’intime et du corps féminin s’ajoute celui de la vieillessse. – Fiona Schmidt

La ménopause entraîne elle-même son lot de douleurs et de désagréments, et, à celles-là, s’ajoute la considération sociale de ne plus vraiment être une femme. Cet éclairage fait sur la ménopause sert le propos de Fiona Schmidt car elle écrit qu’associer l’infertilité des femmes au manque ou à la perte – de féminité, de santé, de capacités physiques, de sens – réduit leur identité sociale à la maternité.

Ainsi, ce livre nous fait réfléchir aux multiples raisons pour lesquelles les femmes sont incitées à lutter contre les signes de l’âge et pourquoi la société fait passer la haine de soi des femmes pour des soins appréciables. Aller recouvrir ses cheveux blancs chez le coiffeur, prendre le temps d’un masque du visage ou acheter la dernière crème jeunesse sont vendus comme du “self care”. D’ailleurs, la masturbation féminine est très rarement mentionnée dans les manières de prendre soin de soi.

Fiona Schmidt nous invite, à tout âge et quel que soit notre sexe, à réfléchir à la manière dont nous dépensons notre argent, notre temps et notre énergie. Elle nous demande de faire de notre vieillissement un projet de vie comme un autre et de redéfinir les notions d’autonomie et de dépendance, de vieillissement, et même de mort afin de continuer à ouvrir des portes plutôt qu’à en fermer.

 

PS : Oui, il y a un chapitre consacré aux hommes. Les hommes “aussi” sont affectés par la vieillesse. Fiona Schmidt cite des chiffres au sujet des suicides chez les hommes : en 2006, les hommes de plus de 85 ans se suicident 6,6 fois plus que les femmes du même âge. L’autrice se demande donc si ce chiffre est lié au fait que les hommes soient moins éduqués à prendre soin d’eux-mêmes, et à affronter des formes de vulnérabilité qui peuvent s’accentuer avec l’avancée en âge.

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Vieille peau : les femmes, leur corps, leur âge de Fiona Schmidt (éditions Belfond) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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