Daronne et féministe : un livre essentiel pour (ré)concilier maternité et féminisme

livre maternité féminisme

Je suis les activités de Fabienne Lacoude autour de la maternité féministe depuis un certain temps et je suis abonnée à sa newsletter MILF qui traite de thèmes qui gratouillent, comme la domination adulte, l’accouchement non assisté ou encore une critique du concept de kid friendly. 

Quand elle a annoncé la sortie de son livre, je me suis empressée de l’acheter… et le contenu est à la hauteur de l’ambition affichée. Fabienne Lacoude a organisé son ouvrage autour de 5 chapitres : 

  1. De la jeune écervelée à la Madone à l’Enfant
  2. Accoucher ou être accouchée, telle est la question
  3. Post-partum : bienvenue en terre inconnue
  4. Toujours plus
  5. Papa, t’es où ?

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Dans la première partie, l’autrice critique l’infantilisation, l’hyperfocalisation sur le poids, la médicalisation présentée comme incontournable, ainsi que les informations contradictoires que subissent les femmes enceintes. Fabienne Lacoude propose une approche historique du contrôle accru sur les femmes enceintes sous couvert d’un meilleur suivi médical des grossesses. Elle rappelle que, parmi les informations contradictoires qui sont données aux futures mères, il y a cet écart entre un suivi hypercontrôlé et une incitation à ne pas trop se plaindre non plus des “petits maux” (nausées, fatigue, constipation, hémorroïdes…). Elle consacre un paragraphe à l’hyperémèse (vomissements incoercibles) comme symbole du mépris réservé aux « petits maux ».

Dans une approche féministe, il me semble nécessaire de relativiser le caractère systématique de certains actes, de réhabiliter la grossesse comme processus physiologique normal, sauf exception (et non l’inverse), de réinterroger la notion de risque, et d’alerter sur le contrôle du corps des femmes pendant la grossesse. Par ailleurs, il est étonnant que ce contrôle soit massivement toléré durant la grossesse alors que tant d’autres injonctions – épilation, minceur, maquillage, port du soutien-gorge – sont aujourd’hui remises en question. – Fabienne Lacoude

 

Dans la deuxième partie, Fabienne Lacoude traite de l’accouchement, notamment des violences obstétricales et gynécologiques (comme l’expression abdominale, le point du mari ou le racisme médical). Elle propose des ressources pour décrire ces violences car mettre des mots dessus, c’est être capable de les reconnaître, ainsi que des idées pour une autodéfense féministe et des rappels légaux. L’autrice mentionne le livre L’accouchement est politique de Béatrice Cascales et Laëtitia Négrié (éditions L’Instant Présent) que j’ai également présenté sur le blog pour réfléchir sur l’utilité de la « cascade des actes » fréquemment observée lors des accouchements à l’hôpital. En effet, l’éducation bientraitante, c’est aussi questionner la grossesse et l’accouchement (et connaître les freins à l’accouchement physiologique et à la naissance respectée).

Parce que nous sommes trop souvent dépossédées de nos accouchements, parce que nous pouvons subir des violences au moment où nous sommes le plus vulnérables, parce que nous méritons d’être accompagnées dans le respect de notre dignité, de notre intimité et de notre autonomie, nous devons nous armer de connaissances et d’outils pour nous réapproprier ce moment. – Fabienne Lacoude

 

Dans la troisième partie, il est question de ce qu’on appelle le quatrième trimestre de grossesse. C’est la sage-femme Ingrid Bayot qui a conçu l’expression « quatrième trimestre » comme une manière de décrire un processus qui se poursuit au-delà de la grossesse, un “mouvement tant du corps que de l’esprit qui n’est pas un retour à l’état antérieur, mais une évolution vers un nouvel équilibre physique et psychique”. Fabienne Lacoude y décrit les difficultés physiques et psychiques qui peuvent apparaître les jours, semaines et mois après l’accouchement. Ces difficultés sont souvent minimisées, peu médiatisées alors qu’elles sont fréquentes, conduisant les mères à souffrir en silence, se pensant anormales et faibles. Dans cette partie, il est aussi question d’allaitement. Fabienne Lacoude écrit que le désir d’allaiter, ou pas, d’une mère dépend de son contexte culturel et socio-économique, de son histoire personnelle et familiale, de sa santé physique et mentale. Il dépend surtout de la société dans laquelle elle vit. L’autrice expose des ressources utiles pour mieux vivre le post partum. Elle mentionne notamment le dispositif Prado (service de retour à domicile des patients hospitalisés) et propose 10 commandements du post partum à partager avec l’entourage pour communiquer ses besoins de nouvelle mère. Fabienne Lacoude aborde également les difficultés qui peuvent être rencontrées lors du retour au travail (le “cinquième trimestre). Elle propose en outre quelques solutions juridiques en cas de discrimination en lien avec la maternité.

conseils post partum

Source : Daronne & féministe – Grossesse, post-partum, charge mentale… quand la maternité rend féministe ! de Fabienne Lacoude (éditions Solar) 

 

Dans la quatrième partie, Fabienne Lacoude aborde la pression qui pèse sur les épaules des mères, le modèle dominant restant celui de la mère active professionnellement même si les mères au foyer portent elles aussi le fardeau de la charge mentale et du travail domestique invisible. Il n’est jamais question de monter les femmes les unes contre les autres, en disant qu’une bonne mère est celle qui reste auprès de ses enfants ou plutôt celle qui vit aussi pour elle. Fabienne Lacoude regrette que la notion de charge mentale ait été médiatisée comme un problème que les femmes devraient régler elles-mêmes, à grand coup de conseils d’organisation, d’injonctions au lâcher-prise ou de critiques sur la tendance des femmes au perfectionnisme. Plus on se rapproche du périmètre restreint, plus l’écart du temps consacré à ces tâches se creuse entre femmes et hommes. Les femmes prennent en charge 60 % du travail domestique toutes tâches confondues, mais 72 % du cœur des tâches ( c’est-à-dire le périmètre restreint). On s’aperçoit donc que, plus une tâche est pénible, ennuyante, longue, répétitive, plus elle est prise en charge par les femmes. On lit souvent des hommes se défendre en disant qu’ils prennent en charge l’entretien de la voiture, la tonte de la pelouse ou le bricolage dans la maison, sans se rendre compte que ces tâches ne sont pas quotidiennes et qu’elles sont donc moins chronophage et énergivores que les tâches du périmètre restreint.

Selon une étude menée par Isabelle Roskam, docteure en psychologie et professeure à l’Université catholique de Louvain, 79 % des mères se disent fatiguées (73 % pour l’ensemble des parents) et 66 % stressées (61 % % pour l’ensemble des parents). Entre 5 % et 8 % des parents seraient en burn-out parental, un syndrome d’épuisement qui touche trois fois plus les mères que les pères. – Fabienne Lacoude

Fabienne Lacoude est également critique du “parentalisme”, dans le sens où la surresponsabilisation des parents engendre facilement de la culpabilité car elle tend à mettre toute carence éducative sur le dos des parents (en particulier des mères), et ignore le poids des rapports sociaux et des conditions de vie dans l’apparition de ces carences. Elle regrette d’ailleurs que le terme “parentalité” soit la plupart du temps synonyme de “maternité“. Officiellement, les politiques familiales et les ressources autour de la parentalité s’adressent aux parents, pères et mères, mais, dans la pratique, ces politiques et ressources ciblent presque exclusivement les mères. Il semble indispensable de prendre la fatigue physique ou psychique des mères au sérieux et la parentalité positive (ou maternité positive ?) ne doit pas devenir un fardeau supplémentaire pour les mères, encore moins un facteur d’épuisement maternel. Fabienne Lacoude conseille même de faire régulièrement le tri dans les groupes privés sur Facebook et les comptes ou blogs qui mettent mal à l’aise sur les réseaux sociaux et génèrent une impression d’incompétence parentale.

 

Dans la cinquième et dernière partie, Fabienne Lacoude souligne que les mères sont trois fois plus touchées par le burnout (épuisement) que les pères, à cause de l’inégale répartition des tâches qui fait peser un lourd poids sur leurs épaules, mais aussi parce qu’elles attendent souvent d’avoir épuisé toutes leurs ressources avant de demander de l’aide. Rappelons que les quelques mesures qui visent l’investissement des hommes dans la sphère domestique sont récentes, et qu’elles ont des limites dans la pratique (moins de 1 % des pères prennent un congé parental à temps plein). De plus, ces politiques qui permettraient aux pères de concilier vie pro/ vie perso manquent d’ambition (par exemple, le congé second parent est de vingt-huit jours dont seulement sept sont obligatoires). Selon Fabienne Lacoude, un de noeuds du problème se trouve dans la question des privilèges auxquels la plupart des hommes ne sont pas prêts à renoncer, sans même avoir conscience qu’ils en bénéficient.

Car la question n’est pas tant une question de répartition mathématique des tâches qu’une question de privilèges auxquels il faut renoncer : le privilège d’avoir le choix, celui de se draper dans l’incompétence, celui de se dérober à ses obligations au motif que d’autres obligations plus importantes vous attendent ailleurs, celui d’être irresponsable et de ne pas se rendre compte que d’autres sont rendus responsables pour vous, celui de penser que prodiguer des soins aux autres n’est pas important alors que, tous les jours, vous bénéficiez vous-mêmes de ces soins. – Fabienne Lacoude

 

 

Ainsi, le féminisme n’est pas une question de mode de vie (sinon, on réduit la parentalité à des arrangements individuels en défaveur des femmes) mais une question politique dont nous pouvons toutes et tous nous emparer. Ce livre nous y invite grâce à ses informations fiables qui permettent de prendre des décisions (plus) éclairées en couple et s’engager dans une maternité féministe.

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Source : Daronne & féministe – Grossesse, post-partum, charge mentale… quand la maternité rend féministe ! de Fabienne Lacoude (éditions Solar). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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